Nature sacrée

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Nature sacrée

Tu grimpes sur ton cocotier préféré. Son tronc penché, poussé par les alizés, a adopté un angle insolent et s’est courbé au-dessus des vagues, débordant sur la courte plage. Tu t’assieds à califourchon, l’enserres de tes bras et appuies ta joue sur son écorce rugueuse, encore humide de la fraîcheur de la nuit.

C’est ta position de prédilection pour observer le soleil qui se lève. D’ici peu, quelques nuages blancs le couronneront, mais, pour l’instant, il pointe fièrement ses premiers rayons et t’éblouit. Tu lui souris, recevant ce premier baiser comme la promesse d’une journée sereine. Juste en dessous de toi, les vagues dansent sur le sable ; les crabes jaillissent de leurs trous et croisent les coquilles colorées des bernard-l’ermite moins rapides. Cette chorégraphie fluide et harmonieuse t’hypnotise. Tu respires lentement au rythme de la marée qui descend et tu remplis tes poumons de l’air doux du matin.

Un mince croissant de lune s’affiche encore dans le ciel. Tu penses à Téa Kanaké, le premier homme, né d’une dent de lune plantée dans un rocher. Tu imagines la dent qui se décompose sous l’effet des rayons du soleil et donne naissance aux êtres vivants. Les uns restent sur le rocher et se transforment en lézards, les autres glissent dans l’eau et engendrent les anguilles et les serpents. D’autres créatures viennent encore et, enfin, Téa, l’ancêtre de tous les clans, apparaît à son tour.

Tu aimes cette histoire qui t’a été racontée mille fois. Tu te vois déjà, aux abords de la vieillesse, assise sur une natte, entourée de petits-enfants à qui tu la raconteras. Tu te réjouis d’appartenir à cette nature sacrée, et regagnes la case d’un pas joyeux.

La plate, votre barque à fond plat, est là, remontée sur l’herbe. Ton père n’est pas encore parti pêcher avec ton frère. Ce soir, vous mangerez un bossu ou des langoustes qu’ils auront attrapés en plongeant en apnée.

Des sanglots t’alertent. Tu accélères le pas. Ta mère, debout devant la case, très agitée, pleure et crie : « Non… ce n’est pas possible, cela devait arriver… ». Ton frère, à côté d’elle, donne des coups de pied violents dans une souche. Tu comprends que quelque chose de grave est arrivé. « C’est ton père. Il ne s’est pas réveillé. »

Ton père est mort de son métier de plongeur. Son cœur et ses poumons ne se sont plus compris. Il a arrêté de respirer.

Tu grimpes sur ton cocotier. La lune est toujours là. Tu repenses à Téa et à la suite de son histoire, quand il a voulu connaître la mort. Son âme est entrée dans l’arbre des esprits, le banian, et a plongé dans ses racines, jusqu’aux pays souterrains où elle a rejoint les anciens. Tu crois que ton père a emprunté le même chemin, et que, comme Téa, il renaîtra parmi les vivants, dans la nature qui nous entoure.

Tu te demandes s’il est déjà présent dans le sourire de la lune et du soleil qui te saluent ce matin. Oui… tu en es sûre. D’ailleurs, c’est bien sa voix que tu entends, dans les feuilles du bois-de-fer, maintenant que le vent les agite.

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