Chapitre V

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 L’odeur cuivrée du sang imprégnait l’entrepôt. Kourman était allongé au sol contre une cage vide. Il se réveillait épris d’une vive douleur. Quelque chose avait mastiqué ses jambes comme un vieil os abandonné à un chien. Il grimaçait face aux épaisses croûtes rougeâtres qui tiraient sur ses plaies.

 Il tenta de se relever sans y parvenir. Elles ne lui répondaient plus. Combien de temps était-il resté inconscient ? Comment avait-il survécu ? Un son coupa court à ses questionnements. Quelque chose approchait. Des pas feutrés. Léger. Il chercha une arme, mais ne trouva rien d’autre que sa ceinture qu’il défit avec difficulté.

 Une petite fille nue tomba soudain devant lui. Elle ne devait pas avoir plus de dix printemps. Le visage rond, le nez retroussé, les formes juvéniles et, surtout, ses yeux, grand et luisant d’une rougeur dorée inhumaine. Il la reconnut immédiatement. Il s’agissait de l’une des pongyas qu’il avait prise pour des enfants. La chevelure noire de la créature ondulait autour de sa tête, un sourire taquin étirait ses lèvres charnues alors qu’elle s’approchait à quatre pattes.

 Elle lui donna un coup sur les orteils, et observa sa réaction. Il n’osa pas crier pour la faire fuir. Peut-être que des monstres plus dangereux qu’elle arpentait encore ces lieux. Il ne voulait pas les attirer. Il fit cingler le cuir de sa ceinture à la place. « Va-t’en ! » lui criait-il intérieurement. Cependant, une mèche d’ébène lui attrapa le poignet et le serra si fort qu’il n’eut d’autres choix que de lâcher prise. Les cheveux tentaculaires de la pongya restreignirent ses mouvements, lui bloquèrent la tête contre la cage, et l’empêchèrent de répondre au baiser qu’elle lui délivra. Il se débattit furieusement lorsqu’il sentit un appendice écarter ses lèvres et s’enfoncer au fond de sa gorge où la créature dégurgita de la nourriture.

 Peu après, alors qu’il se sentait souillé, le vétéran vit apparaître une deuxième pongya, semblable à l’autre, quoiqu’un peu plus adulte. Elle vint le renifler comme un chien devant un nouveau compagnon. Il la repoussa et lâcha un beuglement qu’il n’avait pas voulu, excédé par la fatigue et la douleur qu’il éprouvait.

 Il passa les doigts dans ses cheveux humides où se tenait encore le serre-tête aux antennes d’insecte. Il le laissa tomber sur ses cuisses. Les pompons roses ensanglantés. Ce symbole de paix ravagé par son erreur. Il acquit une nouvelle détermination. Il devait sortir d’ici. Il devait savoir ce qui était advenu de la ville.

 Une dernière pongya se laissa tomber devant lui. Les yeux plus grands et la chevelure plus blanche. Son regard trahissait un âge plus avancé. Il pouvait presque y lire de la sagesse. La femelle se dressa sur ses jambes et le regarda, faible et fragile qu’il était. Lui qui avait tenu tête à un démon. Lui qui s’était opposé à une lania sans trembler. Lui qui avait survécu à la mort elle-même. Elle espérait le voir survivre. Une admiration pour ce mâle était née en elle. Rares sont-ils à ainsi braver le danger pour une femelle.

 Kourman brava la faiblesse de ses jambes plus fragiles que celles d’un faon. Il utilisa les cages pour se maintenir debout. Il traîna sa carcasse usée dans le dédale obscur sans savoir où aller. Les minutes lui paraissaient des heures. La douleur le lançait comme des flèches dans ses cuisses. Le souffle haletant, la transpiration abondante, il continua d’avancer inlassablement. Il finit par atteindre son objectif, la sortie. Il dut alors faire face à la réalité. Pernicieuse, la folie frôla le bord de son esprit lorsque ses yeux se posèrent sur la rue autrefois animée de vie, aujourd’hui maculée de sang, jonchée de cadavres et empestée par l’odeur de la mort. Les bâtiments éventrés, les étals dévastés, les visages tordus d’horreurs. Tout trahissait une fin subite et brutale.

 « Qu’ai-je fait… souffla-t-il, une main devant la bouche.

 Une partie de lui se déchira. Il avait tout détruit. Hommes, femmes, vieillards et enfants. Personne n’y avait échappé. Il pensait que la guerre l’avait rendu insensible. Pourtant, l’émotion qu’il ressentait aujourd’hui était la plus violente de toute sa vie. Il fut incapable de la gérer.

 Il tomba à genoux.

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