Chapitre II

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 Une petite muraille de pierre protégeait la ville de Baie-Rouge où l’animation n’arrêtait pas en cette période de fête estivale. Deux soldats, frères d’armes depuis peu – à peines des connaissances –, lance à la main, dague au ceinturon, plaque de cuir sur le torse et serre-tête à pompons roses sur la tête, gardaient la porte nord.

  « Qu’est-ce qu’on a l’air bête avec ces trucs », se plaignit le plus alerte des deux. Un jeunot aussi fier de son poste qu’impatient de s’en retourner aux occupations volages qu’incombe sa jeunesse. L’autre, quant à lui, un vétéran au faciès buriné marqué par les combats, voyait sa chevelure relâchée, grasse et mal peignée, se rabattre devant ses yeux pour cacher son assoupissement, une épaule appuyée contre sa lance plantée dans le sol.

 Le jeune homme lui administra un coup de manche dans les côtes.

 « T’es vraiment qu’un lézard, Kourman ! lui lança-t-il. Arrête de pioncer n’importe où, crétin ! Si le capitaine te voit : il va encore nous rallonger le temps de garde. J’ai une minette qui m’attends, moi.

 — Que, quoi ? fit l’intéressé, une main sur le flanc, l’autre sur sa lance. T’as une côtelette qui t’attends ? T’as les moyens, toi ? La bonne veine.

  — Une minette, blaireau ! Une nana ! Une gonzesse ! Tu sais : ce que tu n’as pas ! T’es une vraie calamité ambulante ! J’en ai marre de faire la garde avec toi ! Tu me stresses de dingue ! »

 Des raclements de gorge les firent se retourner pour découvrir la présence du capitaine, interpellé par la conversation houleuse.

 « Qu’est-ce qui se passe, ici ? s’interrogea ce dernier.

 — Rien, capitaine ! » fit le jeune pendant que l’autre baillait aux corneilles.

 — Encore entrain de dormir au travail, Kourman ? s’exaspéra le chef. Dire que le commandant Busard t’as recommandé… Tu ne lui rends pas honneur. Je cherche toujours ce “Serpent colossal” dont il m’a parlé.

 — Il est rangé dans le froc. Désolé, chef, répondit le vétéran, pince-sans-rire. Puis, après avoir combattu jour et nuit pendant huit ans : j’ai un peu de mal avec la vie tranquille de garde. Je suis né dans les bras de la guerre, moi. Pas au chaud dans les jupes de ma mère à l’abri derrière les murailles ! J’ai besoin d’action !

 — Il a désossé un gars qui essayait de passer illégalement des armes ce matin, dénonça son collègue. Il a juré de me faire la même chose si j’en parlai à quelqu’un. »

 Kourman le foudroya du regard.

 « Vous l’avez cuisiné, au moins ? demanda le capitaine. Il est dans les geôles ?

 — Non, chef. Il l’a vraiment désossé. J’ai envoyé le nouveau chercher le fossoyeur. Il doit être dans la fosse commune, maintenant. Certains bouts, au moins. »

 Le capitaine enfonça son visage dans la paume de sa main.

 « Kourman, c’est le troisième… Tu feras équipe avec Lantam, dorénavant. J’espère qu’il pourra contenir ton feu sanglant. Tu es pire qu’un démon !

 — Je n’aime pas les connards, répliqua l’intéressé. Ils méritent de crever.

 — Le prochain cadavre c’est la pendaison, comprit ?! s’emporta son supérieur. Rien à faire que tu aies le soutien de Busard ou du général Pâteux ! Rien à faire ! Tu as intérêt de t’adoucir comme un agneau, crois-moi ! Je ne vais plus rien te passer à partir de maintenant. T’as épuisé ma patience ! »

 Il l’envoya au baraquement d’un geste autoritaire. Après un court temps de réflexion, il décida de l’accompagner.

 Devant la grande bâtisse faite d’échelles, de ponts de bois et de murs de planches accrochés à la muraille intérieure, les attendait un homme au faciès dur, habillé d’un gambison, d’un haubert de mailles et de brassards de cuirs ; ses jambes n’arboraient, quant à elles, qu’une simple paire de braies usées et de bottes boueuses aux semelles décousues.

 « Mais qu’est-ce que c’est que ça ?! aboya le capitaine. Qui m’a fichue une telle équipe de bras cassés ?! Tu me feras le plaisir d’aller voir un cordonnier, Lantam ! Tu ressembles à un bouseux ! »

 Il lui administra une tape sur l’épaule et reprit : « Bon. Je te laisse le Serpent. Garde-le à l’œil : il est plus dangereux que les criminels.

 — Oui, maman, répondit Lantam d’un ton railleur. Tu diras à papa d’allonger ma paie en passant ? L’entretien de l’armure coûte un bras avec la crise sur le cuir. Je suis obligé de tout faire moi-même.

 — Arrête de picoler, ça débloquera la moitié de ta solde. Allez. À la patrouille ! Et que le Jour te garde mon ami ! »

 De son côté, Kourman feignait de dormir debout. Il reçut une bonne tape de Lantam qui s’exclama : « En route ! » avant de s’engouffrer dans les allées sinueuses remplient de badauds et de marchants aux antennes saillantes.

 Les deux hommes ne pouvaient pas s’entendre parler tant l’agitation était grande. Non pas qu’ils se parlaient. Lantam était un fier combattant, un preux chevalier qui volerait au secours de la veuve et de l’orphelin qu’importe le danger qui se dresserait sur son chemin ; intelligent et lettré, il était aussi d’une franchise déroutante, radin et un tantinet attaché à la boisson. Kourman, lui, n’était rien d’autre qu’un soldat né dans la guerre et forgé dans le sang et la violence, le physique et l’esprit marqué par des horreurs inimaginables. Ils étaient foncièrement différents. Ils ne s’aimaient pas. C’était instinctif.

 Ils arpentaient les rues pavées de l’odeur nauséabonde des caniveaux, des porcs qui les nettoyaient, des mendiants qui agglutinaient le long des façades et des nombreuses marchandises farfelues qu’importaient les marchants. Ils rabrouèrent beaucoup de femmes hystériques, des hommes trop entreprenant et des escrocs à peine cachés. Jusqu’à ce que Lantam ne les firent s’arrêter devant une grande bâtisse. Un entrepôt en plein centre-ville. Gardé par de nombreux mercenaires.

 « Nous allons contrôler cet endroit ! clama-t-il, déterminé. Dès fois qu’ils auraient quelque chose à cacher. Non. Je suis même certain qu’ils détiennent illégalement des esclaves humains, là-dedans.

 — C’est l’entrepôt du vieux Poinpoin. Tu espères vraiment que tu vas y entrer ? Idiot-bête de Lantam ! lui lança Kourman.

 — Ce n’est pas Poinpoin, mais Poinpont, d’abord. Puis, ce n’est pas parce qu’il dirige la ville qu’il est absout de tout péché. Au contraire. Il est certainement le plus grand criminel du pays ! En tant que soldat de la royauté et du peuple : nous nous devons de contrôler ses marchandises. C’est notre devoir sacré !

 — Idiot-bête…

 — Regarde. Ces mercenaires sont des tueurs, des violeurs ou des voleurs pour la plupart. Ils sont tolérés tant qu’ils ne font pas de vagues. Mais le capitaine fermerait les yeux s’ils venaient à disparaître. L’intérêt de notre entreprise est d’assurer la protection des citoyens. Si un criminel se met en travers de ce devoir sacré : qu’il en paye le prix ! Tu comprends ?

 — Je vais me faire pendre, déclina Kourman.

 — Il suffit de les brutaliser et non pas de les tuer. N’es-tu pas le Serpent colossal ? N’es-tu pas assez fort pour maîtriser quelques blaireaux avec des couteaux ?

 — Qu’est-ce que tu attends ? On y va ou pas ?! Ô la bonne chair ! J’ai la patate d’un coup ! Je me sens vaillant comme un saumon ! »

 Un sourire aux lèvres, Lantam le suivit jusqu’aux portes de l’entrepôt où les attendaient quatre mercenaires prêts à en découdre. Il allait enfin pouvoir pénétrer ce lieu interdit.

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