Bradineries scribayennes

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Assis à sa table d'écriture, Brad planche sur sa nouvelle de la semaine. Nous sommes dimanche soir, il ne lui reste que quelques heures avant les douze coups fatidiques. Rien ne vient. Le vide intersidéral !

Le syndrome de la page blanche n'est qu'un argument procrastinatoire chez beaucoup de plumitifs en herbe, Il le sait mieux que personne. Il connaît les mécanismes de l'inspiration : c'est un chemin. Plus on l'emprunte, plus on l'apprivoise et plus l'orientation devient naturelle. On ne naît pas écrivain, on le devient, à force de régularité dans le travail.

Brad peine à se concentrer. Il s'est détourné de l'écriture juste le temps d'un week-end, pour retrouver un semblant de vie sociale. Pour vivre, tout simplement, il le faut bien de temps à autres !

Mais c'est à éviter en pleine période de création. Une ballade solitaire en forêt avec un carnet et un stylo aurait sûrement été plus appropriée. Au-delà du défi hebdomadaire, parader ainsi en ville dans les endroits branchés ne fait que retarder la publication de son roman !

Résigné, Brad lâche sa plume et se connecte à son site préféré, une plate-forme gratuite de relecture entre écrivains. Une notification prioritaire lui indique que sa nouvelle de la semaine précédente a été annotée par un certain Armand. Brad clique sur le lien et trouve son texte recouvert de stabylo virtuel. Certaines annotations concernant le fond sont pleines de bon sens. D'autres un peu moins.

Sur la forme, c'est différent : il est surpris de voir la terminaison de son participe passé "la main qu'il avait serrée" surlignée dans la catégorie « Grammaire / orthographe ». Le participe "serrée", est-il besoin de le rappeler, s'accorde ici avec le complément d'objet direct "la main", car celui-ci est placé avant l'auxiliaire. En cliquant sur l'annotation, Brad ne peut retenir un sourire :

é ! on n'accorde pas les participes avec le verbe avoir !

Il est sûr de lui mais consulte malgré tout son Bescherelle pour vérifier, par acquis de conscience.

À la cinquième remarque sur la ponctuation, Brad s'interroge : certes, une virgule oubliée ou mal placée peut tout changer sur la rythmique d’une phrase. Il y a des standards à connaître. Il les a étudiés, ne serait-ce que pour mieux les transgresser. Mais il ne boit pas les remarques comme parole d'évangile. La ponctuation c'est personnel, on entre dans le domaine de l'intime...

On pourrait presque psychanalyser un auteur rien qu'en s'attardant sur la manière dont il utilise ces petits signes typographiques. Brad, par exemple, est un grand adepte du point d'exclamation. Quand il a quelque chose à dire, il le crie sur les toits, il veut qu'on l'entende. En revanche, il a en horreur le point-virgule ; cette hésitation avouée au lecteur permettant de rallonger les phrases… Il faut savoir ce que l’on veut, dans l’écriture comme dans la vie. Un point ou une virgule, mais pas les deux dans le même signe. Quelle aberration ! Les filles sont en général plus introverties et beaucoup d'entre elles, il l'a souvent remarqué, utilisent les points de suspension à outrance... Sans doute un signe d'introspection, de subtilité, pour laisser le lecteur deviner.

Il y a aussi les manies : son binôme de relecture par exemple, aime faire se suivre le point d'exclamation et le point d'interrogation dans les dialogues sulfureux !? Elle leur ajoute même parfois trois points de suspension sans le moindre espace !?... Et alors ? Ça lui appartient. Qui peut se permettre d'en juger ?

Brad reste calme et prend les choses avec philosophie. Même si les avis divergent, il sait que ces conversations virtuelles sont bénéfiques. Elles incitent à se remettre en question, argumenter ses opinions et permettent de progresser, d'enrichir son répertoire lexical, la syntaxe, la grammaire, l'orthographe, la conjugaison... et la ponctuation !

Quelle aubaine de pouvoir lire les œuvres de centaines d'auteurs, leur suggérer des idées, échanger des points de vue.

Brad éprouve une certaine reconnaissance, mais surtout de l'admiration vis-à-vis des deux administrateurs. Quelle brillante idée ils ont eu là ! Il a découvert ce site il y peu, par hasard, mais y a trouvé tout ce dont il n'aurait jamais osé rêver : une communauté de gens sympathiques qui partagent la même passion que lui. Des œuvres à lire à l'infini, dans tous les styles, qui sont parfois de véritables trésors cachés. Il y a peut-être ici ou là, quelque-part sur le serveur, le Goncourt de l'année prochaine !

Va savoir…

Soudain, une idée lui vient. Pourquoi ne pas imaginer un piratage du site ? Un terroriste plagiaire qui s'approprierait tous les contenus ! Les attentats de demain seront numériques, on le sait. Brad tient sa nouvelle de la semaine. Il ouvre son éditeur de texte et se met au travail. Il est 22h15, ce qui lui laisse trois quarts d'heure pour cracher le premier jet et une petite heure de corrections avec son binôme, si elle est connectée. C'est limite mais c'est jouable !

À 23h08, Brad contacte Brenda en message privé pour relecture. Elle est en ligne. « Ouf ! »

Ensemble ils corrigent, reformulent, étoffent, enrichissent le vocabulaire, chassent les périphrases, suppriment les "mots-réflexes" inutiles. À 23h56, Brad poste sa nouvelle sur le fil du rasoir.

Mission accomplie !

Quelques minutes plus tard, à minuit pile, l'écran de son ordinateur devient noir. Brad panique, il n'a plus la main. Une tête de mort apparaît alors à l'écran et un message défile en surbrillance :

MERCI DE VOTRE CONTRIBUTION...

" Écrire n’est rien qu’une illumination, une pensée éphémère dont on prend note dans un état de transe.

C’est à la relecture que le vrai travail démarre… "

Celle-ci est de moi… Merde, c’est tout de même mon livre !!!

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