Chapitre 9.1: L'heure des festivités a sonné

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“Tu vis par le pistolet et le couteau et ils te tueront”. Joe Valachi(1)

L’enquête de la police fut conclue en 48h sur un accident de la route. L’automobiliste étant mort, Grégoire à l'hôpital, il n’y avait personne à mettre derrière les barreaux. La cérémonie d’enterrement eut lieu deux jours plus tard dans l’église Notre Dame d’Espérance dans le 11ème. Le lieu avait été suggeré par son école et sa tante avait tout organisé. La salle était moderne avec des cubes oranges et marrons au plafond, le sol était gris. Au centre de la scène, se dressait un rondin de bois censé rappelé le corps du Christ. Je ne savais pas comment sa tante sarrivait à tenir. J’avais passé quatre jours sous l’eau, incapable de ressentir la moindre émotion, j’étais vide. Une partie de mon cœur avait été arrachée lors de cet accident. Elle nous avait quitté si soudainement, elle ne pouvait pas ne plus être là. Je niais de toutes mes forces, mais tout dénis du monde ne pourrait pas la ramener. J’en devenais dingue.

Tout le gang était présent pour lui rendre hommage, sauf Grégoire, trop abîmé pour quitter l’hôpital. Lucas, Val, Alex et moi étions devant son cercueil ouvert, incapables de bouger. Ma si belle Marie était allongée sur un coussin blanc. La couleur de sa peau s’effaçait, ses cheveux perdaient leur intensité. Une poupée de marbre avait remplacé la femme pleine de vie que j’aimais. Elle portait une robe marron claire, avec ses éternels talons rouges, cadeau de mon chef. Je n’allais quand même pas les laisser l’enterrer avec un objet qu’il avait choisi. Je fis mine de vouloir les enlever lorsque Alex me rappela à l’ordre. Val m'entraîna vers un banc avant que je ne déclenche une scène. Le prêtre ouvrit la bouche, déblatèra sur la vie, la mort. Mais qu’est-ce qu’il y connaissait? Alors que son flot de paroles augmentait, je repensais à nos pistolets, nos armes. Ils ôtaient la vie si facilement, un déclic, un homme qui tombe et c’est fini. Le religieux lut ses textes à deux balles. Incapable de l’écouter plus longtemps, je quittai la pièce pour me refugier aux toilettes. Personne ne prêta attention à un gamin, enfin presque.

Mes trois mousquetaires me rejoignirent. Ils s’installèrent à mes côtés. Alex sortit une flasque, Lucas un joint et Val sa pochette magique.

— On a pensé qu’un remontant nous aiderait à affronter cette journée, expliqua Alex, un sourire triste sur son visage.

Lucas s’assit contre moi, alluma son joint. Il prit quelques bouffés avant de me le tendre. J’acceptai, noyant mes émotions dans le THC.

— On s’est ce qu’il s’est passé ? demanda Val.

Cette question m’accompagnait à chaque minute depuis l’accident. J’avais écouté les théories des policiers, peu convaincu.

— On ne le saura jamais, déclarai-je d’une voix mauvaise.

— Pourquoi ? s’enquerra Lucas.

— Parce que l’automobiliste est mort, Ami…Marie aussi. Il ne reste que Grégoire, qui est sérieusement amoché d’après Tula. La criminelle a laissé tomber l’affaire hier, quelqu’un a dû les y pousser généreusement.

— Tu ne penses quand même pas que Grégoire a quelque chose à voir là-dedans ? enchaîna Alex. Il l’aimait.

— Qui sinon ?

Ils ne dirent mot, se contentant de prendre leur drogue. Inutile de choisir, je pris les trois. Une taff, un rail, une gorgée rythmèrent l’heure qui suivit. Je n’étais qu’une coquille vide, incapable de se relever. Grégoire avait gagné, il venait de prouver que tout ce qu’on aimait pouvait disparaître d’un claquement de doigt. L’alcool, la beuh, et la cocaïne, commencèrent à faire effet, emmenant son cerveau dans une autre dimension.

Elle était là, elle me tenait le bras pour me réconforter. Je distinguais ses cheveux roux auréolant sa tête, ses yeux verts me fixaient. Cette scène s’était déroulée deux jours avant le gala. J’avais décidé qu’il était temps pour mon premier tatouage, et je voulais qu’elle m’accompagne. Le modèle d’un attrape rêve m’était apparu comme une évidence, comparaison naïve avec sa lumière qui écartait les ombres. Nous avions trouvé un moine bouddhiste devenu tatoueur dans les dédales des rues parisiennes. J’avais foncé. Pendant trois heures, l’aiguille m’avait charcuté la peau, traçant millimètre par millimètre, cet objet mystique censé capturer les cauchemars au sein de sa toile et les détruire. Marie était restée debout tout ce temps, me rassurant pendant que mon sang perlait sur le sol. Le moine nous avait raconté sa vie dans les montagnes, de la légende de la paix intérieure. Il n’y avait pas cru, alors il était parti exercer le dessin. Écrire sur sa peau était une forme d’immortalité, et d’offrande de soi. Nous sortîmes du salon, aminci de 400 euros. Ce tatouage représentait mon offrande à Amina et à moi-même je suppose.

L’image changea. J’étais au gala, en train de boire avec Alex, dont la fiancée avait disparu. Je me vis prendre congé de mon ami pour me diriger vers les toilettes. Je la croisais alors qu’elle sortait d’une pièce de la boîte. A bien y regarder, elle semblait pressée, voire même coupable. J'observais la scène, qu’avais-je manqué ? Je m’attardai sur cette silhouette sortant de la pièce, son rouge à lèvre dépassant sur sa joue, sa robe à franges partiellement remise. Avec qui venait-elle joué ? Quelle importance ? Je m’en fichais moi. Je me la serai bien tapé aussi. Enfin, mon indifférence laissa vite place à la colère lorsque je vis Grégoire sortir de la même pièce peu après, saluant le moi réel qui se dirigeait vers les toilettes.

A la manière qu’on zappe une chaîne sur la télévision, je fus transporté sur le lieu de l’accident. Du sang recouvrait le sol, des hommes en uniforme couraient indifférents à ma présence. Amina était allongée près de la moto, son corps disposé dans un angle qui ne laissait rien présager de bon, ses yeux révulsés sous son casque. « Non, je ne veux pas me rappeler d’elle ainsi », pensais-je. Je voulais me souvenir d’une Amina heureuse, sauvage, indomptable, vivante. Je forçais ma manifestation psychique à fermer les yeux, espérant les rouvrir à l’église. Mais rien n’y fit, mon esprit s’accrochait à cet instant, où ma vie avait basculé. « J’aurai peut-être dû mourir, moi aussi. » Au moins, nous aurions été à deux. Je me résolus à explorer la scène, dont les visages des protagonistes étaient flous. Je me tournai vers moi-même, vis mon visage se décomposer alors que les brancardiers transportaient Grégoire vers l’ambulance. Dans les yeux de ce garçon qui en avait déjà trop vu se lisait une tristesse sans nom, un gouffre s’ouvrait sous ses pieds pour l’aspirer. Il tremblait, le regard perdu. Je me détournai, c’était trop dur de me regarder m’effondrer. Je suivis des yeux les croque-morts enfermer le corps d’Amina dans un sac noir, effaçant son existence derrière ce fin plastique. La voiture démarra.

Cette dernière scène recommença encore et encore, jusqu’à ce que j’observe plus attentivement. Je me rapprochai du brancard de Grégoire. Ses yeux étaient ouverts, il tentait de parler. Les infirmiers ne l'écoutaient pas, lui plaquant un masque d’oxygène sur la bouche. Il respira trois fois avant que les portes de l’ambulance ne se referment et j’aurai juré qu’il souriait.

Je repris conscience d’un coup, le sourire de Grégoire s’imprima dans mon esprit. Les garçons, paniqués, me fixaient intensément.

— Victor ! Tu te sens comment ? s’enquit Alex.

— Content que tu ouvres enfin les yeux ! poursuivis Lucas.

— J’ai failli avoir une attaque ! plaisanta Val.

Ne sachant quoi répondre, je leur demandais simplement ce qu’il venait de se passer.

— Après un joint de beuh, deux rails de coc, et quatre gorgés de Whisky tu t’es évanoui, me raconta Val. On a tenté de te réanimer, tu ne répondais pas. Je t'ai même mis des claques! Avant qu’on ait pu aller quérir un médecin, tu t’es mis à parler. Tu as cité Amina, Tatia, Grégoire, l’accident. On avait l’impression que tu étais perdu dans ta tête. Au bout de 10 minutes de paroles incompréhensibles, tu nous es revenu.

Je réfléchis et leur racontai mes étranges rêves. Alex fut le moins surpris des trois. Je lui balançai :

— Tu le savais.

Il baissa les yeux, triste.

— Je l’ai découvert juste avant le gala. Je les ai surpris en plein acte dans les vestiaires. Ils ne cherchaient pas à se cacher, Grégoire offrait la vue de ma fiancée nue en levrette au premier qui ouvrirait la porte. Manque de bol, cet idiot ce fut moi. Vous auriez vu la tête de Julia, elle n’avait pas honte, elle n’avait jamais été aussi fière. Je savais qu’elle voulait le pouvoir. Elle trouvait qu’Amina était indigne de sa place. J’aurai dû m’y attendre. Grégoire n’a rien dit, ne s’arrêtant pas pour moi, il a continué de la prendre sous mes yeux, dit-il, une larme aux yeux. Et elle, elle gémissait de plaisir. Je suis sorti vomir, Amina m’a trouvé. Sans hésité, je lui ai tout raconté. Elle a simplement répondu qu’elle s’en occuperait. Je n’ai pas réussi à lire sur son visage. Je suis désolé Victor, après tout ce que Julia et moi avions traversé, je ne me doutais pas qu’elle me tromperait et que cette liaison ferait tuer notre chère Marie, conclut-il sincèrement peiné.

— Tu n’as rien à te reprocher. Grégoire ne l’a sûrement pas tué exprès, il a failli y passer, rappela Lucas.

— Sans oublier que la tuer pour sauver sa liaison, c’est nul, et petit même pour lui, conclus-je.

— On ne saura jamais si c’était un accident, insista Alex.

— On fera avec. On fait toujours avec, rappela Val avant de sniffer.

Nous hochâmes la tête en silence, titubant vers la cérémonie.

Le service s’acheva 30 minutes plus tard par le discours émouvant de sa tante. Lucas pleurait.

- Si vous êtes assis dans cette église, c’est que Marie a eu une importance dans votre vie, commença-t-elle en lisant son discours malgré ses larmes, ses mains tremblaient. Elle a su vous transporter par sa lumière, vous faire voyager avec ses dessins colorés. Peut-être qu’elle a fait de vous quelqu’un d’autre au travers de son art. Elle aimait marier les couleurs, s’inventer un rôle, jouer la comédie pour échapper à sa vie. Car oui, elle a eu une vie courte, mouvementée, une tragédie qui débuta à la mort de ses parents mais elle n’a jamais arrêté de sourire, et de croire en ses rêves. Je n’ai jamais eu d’enfant mais Marie était ma fille, mon rayon de soleil.

A ce moment-là, la moitié des téléphones de la pièce vibra à l’unisson, couvrant la voix de notre auditrice. Un message de Tula suffit à nous mettre en alerte.

« Ils savent, la guerre a commencé. Hangar maintenant. »

(1)

Joe Valachi, né en 1904 dans l’East Harlem à New York, est le fils d’une famille d’immigrants napolitains. Il commence sa carrière très tôt en rejoignant le gang des “Minutemen”, une bande de cambrioleurs réputés pour qui il joue les taxis. Arrêté en 1923, il plaide coupable. En sortant de prison 6 mois plus tard, il fonde sa propre bande. En 1930, il rejoint la mafia de New York comme soldat de la famille Reina. Au fil des guerres, il devient le garde du corps de nombreux grands noms de la mafia. Le dernier fut le Capo Vito Ginovese. En 1960, Joe Valachi est inculpé pour trafic de drogues. Il contacte alors le FBI et leur livre nombre de secrets pour l’organisation criminelle qui mèneront à plusieurs arrestations. Sa tête est mise à prix pour avoir brisé l’omerta. Après une tentative de suicide non réussi, il meurt en 1971 d’un cancer.

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