Chapitre 8- Laurena

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Snow Heaven

Le temps aurait pu paraître suspendu si mes yeux n'étaient pas rivés sur sa pomme d'Adam qui monte et descend à chaque déglutition.

« Ton père a demandé à ton frère d'intégrer le bataillon ! »

Telle la mélodie d'une chanson qu'on déteste, cette phrase tourne en boucle dans mon esprit. Et chaque fois, elle me semble plus atroce.

Sans attendre, je décroche ma ceinture de sécurité, ouvre la portière et m'élance hors du véhicule. 

Portée par le souffle du vent, je cours sans me retourner malgré les appels de Trevor. Autour de moi, il n'existe plus rien, tout a été balayé. Effacé. Lui également. Ma seule motivation : Empêcher cette folie.

En passant devant l'attelage du vieux Will, Guss, le chien de tête et véritable champion , est pris de frénésie. Le magnifique husky blanc aux yeux d'un bleu presque translucides n'a de cesse de bondir sur ses pattes, cherchant par tous les moyens à faire démarrer le traîneau.

Il n'en fera rien. Les deux locomotives des neiges attachées à l'arrière ont déjà creusé un large trou capable d'accueillir leurs corps massifs et semblent plus intéressées par la sieste qu'à partir en vadrouille.

Une dizaine de minutes plus tard, j'atteins les marches de ma maison familiale et  en pousse la porte dans un brouhaha infernal.

Alerté par mes cris, mon frère ne perd pas une minute pour apparaître. Et si j'en crois son torse nu, il a tout laissé en plan pour venir me rejoindre. Il m'est étrange de le voir ainsi. Au fil de ces derniers mois, son corps s'est métamorphosé. Bien que de huit ans mon aîné, le petit garçon svelte qu'il était est devenu un homme bien bâti.

— Laurena ? Que se passe-t-il ? dit-il la voix tremblante d'inquiétude.

— C'est... de la folie ! je réponds, essoufflée.

Cherchant à comprendre, il fronce les sourcils.

Les yeux rivés dans les siens, mes pulsations cardiaques s'accélèrent sans que je puisse les ralentir.

— Tu ne partiras pas à la chasse au loup !

— Comment tu...

— Je suis désolé, Lucas, j'ai été obligé de le lui dire, s'excuse Trevor en arrivant à son tour.

Le regard dur que mon frère lance à mon petit ami pourrait me faire peur si je ne le connaissais pas. Parce que même si physiquement il s'est métamorphosé, il n'en reste pas moins une personne bienveillante dont la cruauté lui est étrangère. Je le vois avec ses conquêtes. Lucas a beau posséder un joli palmarès, aucune d'elle ne semble réussir à lui faire éprouver des sentiments suffisamment forts pour lui donner envie de construire une histoire alors quand vient le moment pour lui de les laisser partir, la crainte de les blesser ne le quitte pas.

— La guerre est imminente, Laurena, commence-t-il en posant sa main sur mon épaule dans un geste qui se veut rassurant.

Mais ce n'est pas assez. Au fond de moi, j'ai la sensation désagréable de perdre le contrôle.

Au-dessus de nos têtes, les lumières du lustre diminuent en intensité. Le regard rivé au plafond, Lucas s'en aperçoit l'obligeant à peser ses mots :

— Mes dons peuvent nous servir à vaincre l'ennemi. On doit saisir cette chance !

Je déglutis. Bien que j'en sois consciente, je suis effrayée à l'idée que cela puisse mal tourner. Et j'ai beau essayer de chercher à contrôler mes émotions, lorsque ma vision commence à se brouiller et que les tableaux frappent les murs défraîchis, je sais que mon combat est vain.

Peu habitué à ce genre de scène et voulant se montrer utile, Trevor plaque sa main sur l'un d'entre eux afin de lui éviter de tomber. Parfois, j'en oublie la difficulté qu'il se doit d'endurer chaque jour en vivant dans un monde où les créatures surnaturelles sont bien réelles. En tant que simple mortel, il a du mal à trouver sa place.

— Tu ne partiras pas à la chasse au loup !

À bout de nerfs, ma voix a monté dans les octaves.

Je ne peux pas le laisser faire une telle chose.

Comment ferais-je si la vie se décidait à me le prendre ?

— Tant que tu vivras sous mon toit, je te demanderai de surveiller tes paroles.

Surprise de sa présence, je me retourne sur mon père. Sa voix est dépourvue de chaleur. Aussi froide que l'hiver qui sévit à l'extérieur de cette bâtisse.

— Ne pas les nommer ne change en rien à leur existence.

— Ta haine pour ces derniers se serait-elle tarie ? m'interroge-t-il.

À pas lents, il se rapproche m'offrant la possibilité de noter l'intérêt sur son visage.

— Bien sûr que non !

Mon timbre se veut fragile. Comment ose-t-il me poser la question ? Ces monstres ont tué maman.

— N'ai-je pas le droit d'être inquiète à l'idée qu'il puisse vous arriver quelque chose ?

— Je ne suis pas stupide au point de mettre la vie de Lucas en danger. Il faut que je me renseigne sur les plans de notre ennemi afin d'être prêt à le recevoir. Je dois connaître ses faiblesses pour mieux le détruire. Avec ses capacités exceptionnelles de métamorphose, ton frère est en mesure de m'obtenir ce genre d'informations.

— Tu veux qu'il se mêle à la meute comme l'un d'entre eux. Comment peux-tu croire que Konur va l'accepter dans ses rangs ?

— Il n'est pas question que je les intègre, continue Lucas. Les loups se montrent impitoyables avec les étrangers ! Ce serait du suicide !

— Ton frère restera à distance sous l'apparence d'un oiseau, poursuit notre paternel. C'est l'espion idéal. Ils sont partout, sur chaque branche, camouflés derrière les feuillages. Personne ne s'en soucie ni se méfie de ce qu'ils peuvent entendre... ou observer.

Je remarque cette pointe de tristesse qu'il cherche à dissimuler. Son chagrin est palpable, mais j'ai abandonné l'idée de lui accorder un simple geste d'affection. Il ne me laisserait pas faire. Depuis la mort de ma mère, il a bâti un mur infranchissable autour de lui. Lui et moi ne partageons plus rien. Ma ressemblance avec elle en est la cause. Me regarder est un rappel douloureux de sa mort.

— Et si cela tourne mal ? Que feras-tu ?

— Tout sera sous contrôle ! Me répond mon père d'un ton laconique.

— Tu ne peux pas...

— ça suffit ! me coupe t-il. Le sujet est clos et tu n'as pas ton mot à dire. Maintenant, j'aimerais avoir la possibilité de me reposer sans avoir à me soucier que le toit ne me tombe dessus, termine-t-il.

Et sans rien ajouter, après m'avoir une nouvelle fois montré à quel point mon avis est sans importance , notre père disparaît dans sa chambre.

— C'était de loin la plus longue conversation que nous avons eue depuis des mois ! je raille, à regret.

— Il n'a pas tort sur ce point, Laurena, tu dois apprendre à gérer tes émotions avant qu'elles ne finissent par avoir la peau de cette maudite baraque. À tes dix-huit ans, ta magie se réveillera totalement et au vu de ce que tu arrives à faire, je pense que nous avons du souci à nous faire si tu ne fais rien pour garder le contrôle.

— Pourtant, j'essaie !

— Je sais, Laurena ! admet-il, m'attirant dans une étreinte. Fais-moi plaisir, reste avec Trevor, ce soir. Je te promets de ne prendre aucun risque ! 

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