Tante Annie

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Grégory contacta Valentine pour prendre rendez-vous avec leur tante Annie et fixa un rendez-vous, chez lui, un samedi en début d’après-midi.

Françoise était chez ses parents, Grégory lui avait expliqué qu’il désirait ne la voir qu’avec Valentine.

— Tu es sûr, Greg, vraiment ?

— Oui… Je crois que Val et moi, on va peut-être encore apprendre des horreurs, mais nous préférons, tous les deux, d’abord digérer ça entre nous, entre frère et sœur.

Françoise s’inclina devant leur choix.

— Ok, je peux comprendre… Mais je serai inquiète, pour vous deux.

— Mais non, Fran, cette tante qui nous vient de nulle part ne peut que nous apprendre des choses. Et puis, je crois qu’elle devait avoir une influence positive à l’époque où Valentine est née.

— Quoi, tu te souviens de certaines choses ?

— Non, mais j’en ai le sentiment.

— Ok, et Val, elle est prête ?

— Oui, elle veut en savoir plus.

— Protège-la Greg… J’ai peur qu’elle n’aille pas bien si elle apprend encore d’autres horreurs.

— Mais ne t’inquiète pas Fran, je la soutiens et Sébastien aussi.

— Oui mais…

— Quoi ?

Elle hésita puis se lança,

— Elle a peur d’être mère parce qu’elle croit qu’elle sera comme sa mère Greg.

Piqué par la curiosité il lui demanda,

— Et quoi, ils parlent de faire des bébés, Seb et elle ?

— Non, mais Valentine appréhende le moment où Sébastien amènera le sujet.

— Ils en ont parlé ? Eux deux, je veux dire, dans leur couple.

— Je ne sais pas… Je n’en suis pas sûre.

Grégory soupira,

— Laissons-les gérer ça Fran, je veux bien tenter de savoir ce qu’il se passe pour elle, si elle a envie d’en parler, mais je ne vais pas jouer les inquisiteurs.

— Ce sera déjà ça Greg. Merci.

Le jour du rendez-vous arriva, Annie se présenta un peu plus tôt que prévu, Grégory l’invita à entrer, en indiquant qu’il attendait encore Valentine.

— Oui, désolée, je suis là un peu trop tôt Grégory.

— Non, pas de souci… Tante Annie.

Elle sourit

— Tu m’appelais tante Ni quand tu étais petit, Grégory

— Ah… Je n’en ai aucun souvenir en fait.

— Cela ne m’étonne pas, ma sœur a tout fait pour que tu oublies que tu avais une tante.

Valentine, qui venait d’entrer avec ses clés, arriva dans le salon et les trouva en pleine discussion.

— Ah, vous êtes déjà arrivée…

— Oui Valentine, je suis arrivée un peu à l’avance.

— Viens, Val, installes-toi, qu’on puisse commencer cette remontée dans le temps.

Valentine s’installa et grignota quelques chips que Grégory avait préparé pour l’occasion, Tante Annie sortit une enveloppe de son sac.

— Je vous ai ramené les photos que j’avais gardées de la période où je vous gardais chez moi, surtout toi, Valentine.

Sceptique Valentine rétorqua,

— Mais… Je croyais que j’avais été ballotée dans toute la famille avant mes quatre ans.

Annie acquiesça,

— C’est ce que ma sœur t’a raconté durant tout ton enfance ; mais en fait, je te gardais la semaine et le weekend tu étais chez ta grand-mère paternelle, avec Grégory.

A l’évocation de leur grand-mère paternelle, Gregory et sa sœur réagirent,

— Ça, je m’en souviens.

— Moi aussi, Greg, de ça j’ai des souvenirs.

Annie les regarda en souriant tristement puis ouvrit l’enveloppe et sortit un petit paquet de photos.

— Regarde Valentine, quelques photos de toi et moi, là tu as deux ans et sur les suivantes tu as trois ans.

Elle les tendit vers eux, Valentine les réceptionna et découvrit ces clichés inconnus.

Sur les premiers, elle figurait, souriante, dans un champ de fleurs dont certaines étaient aussi hautes qu’elle, vêtue d’une robe bleu clair, elle faisait signe au photographe.

Elle demanda,

— Ici, c’est vous qui prenez la photo ? C’est à vous que je fais signe ?

— Oui c’est à moi que tu fais signe, mais… Valentine, tu peux me tutoyer tu sais.

— Oh, euh… Mais… C’est que je n’ai pas l’impression de vous connaître… Nous n’avons appris votre… Ton existence que le mois passé.

— Je le sais… Mais nous avons vécu ensemble presque quatre ans.

— Je… J’ai vécu avec toi quatre ans ?

— Oui, jusqu’à ce que ta mère sorte de l’hôpital.

— Mais… Je n’en ai aucun souvenir…

Valentine fut un peu désemparée, comment se pouvait-il qu’elle n’ait aucun souvenir de ses quatre premières années. Annie la rassura,

— C’est normal, j’ai disparu de vos vies, à tous les deux lorsque votre mère est revenue et que j’ai perdu mon époux dans un accident de voiture la même année. Je suis partie à l’étranger, j’ai travaillé dans des ONG comme médecins sans frontières ou handicap international, je suis revenue il y a quatre ans, votre père a repris contact de façon plus formelle lorsque tu as eu ton accident Grégory.

Il voulut comprendre,

— Mais, pourquoi est-ce que vous ne vous êtes pas manifestée plus tôt ?

Annie tiqua, son regard parti dans ses souvenirs,

— En fait, j’aurais bien voulu, voyez-vous, mais lorsque votre mère a appris que votre père avait repris contact avec moi, elle lui a fait une scène d’anthologie, le menaçant de le quitter si je revenais sur le devant de la scène. J’ai choisi de rester dans l’ombre. C’est lorsque votre père m’a raconté l’esclandre de la crémaillère que je lui ai imposé de vous rencontrer, l’entretien familial était le seul moyen ; je n’aurais jamais osé venir sonner chez l’un de vous deux et dire « bonjour, je suis ta tante, tu ne te souviens probablement pas de moi, mais j’ai des choses à te dire ».

Vivement, Valentine confirma,

— De fait, je ne t’aurais jamais cru !

Grégory renchérit,

— Moi non plus ! Dis, sur celle-ci, nous sommes là tous les deux, Val et moi, non ?

— Oui, il s’agit de la période de Pâques lorsque tu avais huit ans et Valentine trois ans, tu lui ramenais les œufs en chocolat dans son petit panier. Je me souviens, tu avais reçu un « big Jim », tu ne voulais que ça ! Et Valentine, toi, tu avais reçu une poupée, tu voulais jouer à la maman, tu avais déjà déniché une petite poussette improvisée et tu l’as baladée avec dans toute la maison et dans le jardin. Je me souviens, tu lui expliquais tout ce que tu voyais autour de toi ; le papier peint, les meubles, les fleurs …

Annie soupira,

— Il y a juste que tu lui disais tout le temps « chut, pas pleurer bébé ! »

Valentine l’écouta en laissant couler des larmes sur ses joues, Grégory se rapprocha d’elle et prit sa main dans la sienne.

Timidement, Valentine demanda à sa tante,

— J’ai joué à la maman ?

— Oh oui, tu n’arrêtais pas… Je pense que cela devait exorciser quelque chose ; tu faisais tout ce que je faisais, sauf que le « chut bébé » ne venait pas de moi.

Grégory glissa,

— C’était sûrement en rapport avec notre mère.

— Probablement. Tu sais, Valentine, en présence de ta mère, tu ne faisais aucun bruit… Tu te faisais oublier, pour ta propre survie, au vu de ses réactions.

Chamboulée par ce qu’elle apprenait, elle réfléchit tout haut

— Mais donc… En quelque sorte, c’est toi qui m’as élevée pendant quatre ans.

— Oui, pendant presque quatre ans, effectivement, pendant que ta mère était internée.

Sur un ton plat, Grégory lança,

— Une fois maman sortie, tu es revenue à la maison, je m’en souviens ! L’ambiance a changé… Elle ne tolérait aucun bruit… Ça je m’en souviens très bien, j’allais avoir neuf ans et c’était mortel !

Annie soupira mais ne put que renchérir,

— Oui, je sais, lorsque je passais, quand elle me l’autorisait encore, tes yeux brillaient Valentine, et toi aussi Grégory ; vous étiez toujours sur mes genoux et nous papotions de longs moments… Mais cela ne lui a pas plu et elle a refusé que je vous rende encore visite ; pour elle, j’avais une très mauvaise influence sur vous deux.

Tachant de mettre de l’ordre dans ses idées, Valentine demanda,

— Et quoi, tout s’est arrêté d’un coup alors ?

— Non, l’année qui suivit, j’arrivais encore à vous voir tous les mois, lorsque Grégory avait un match de hockey ; votre père vous prenait tous les deux, je restais dans les gradins avec Valentine puis nous prenions un goûter à quatre.

Grégory rebondit sur ce qu’elle venait d’expliquer

— Maintenant que tu en parles, je me souviens de ces moments… Mais j’y mettais ma mère. Donc c’était toi ; c’est pour cela que j’ai un très bon souvenir de ces moments, et toi Val, tu t’en souviens ?

— Vaguement, oui, mais comme toi, je pensais qu’il s’agissait de maman… Et je m’y raccrochais comme à un des seuls souvenirs de chaleur humaine de sa part. Comme quoi, même ça, je ne peux pas le garder comme un bon point pour elle ; il ne s’agissait pas d’elle !

— Et quoi, après ? Tu n’es plus revenue ?

Annie soupira,

— Effectivement, comme je l’ai expliqué tantôt, mon époux est décédé à la fin de cette année-là, un accident de voiture à cause d’un chauffard ivre. Je n’ai reçu aucun soutien de la part de ma sœur, elle en a même profité pour vous détourner de moi ; je n’étais pas en état de réagir, je venais de perdre l’homme de ma vie.

Valentine compatit,

— J’imagine, tu étais en plein deuil…

— Par la suite, votre père n’a plus réussi à trouver des moments de rencontre et je suis partie à l’étranger avec Médecins Sans Frontières.

— Tu es médecin ?

— Non, infirmière… Comme toi, Valentine.

Valentine ricana,

— Oh… Quand je pense que maman se demandait d’où pouvait bien me venir cette idée d’études… Maintenant, je sais !

Après deux heures et demie de discussion où Valentine et Grégory éclaircirent certains de leurs souvenirs, Annie prit congé d’eux en promettant de faire des fouilles pour tenter de trouver d’autres photographies de l’époque pour leur prochaine rencontre.

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