L'entretien de famille

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Le jour de l’entretien de famille arriva, ils avaient rendez-vous à 16h, Valentine était stressée, Sébastien l’avait accompagné et comptait siroter un café à proximité pour être présent à la fin de la réunion.

Le visage de Valentine s’éclaira lorsqu’elle vit son frère arriver, accompagné de Françoise. Cette dernière tomba d’accord avec Sébastien pour siroter un café avec lui en attendant la fin de l’entrevue.

Une fois arrivés dans le couloir de consultation des thérapeutes familiaux, Valentine et Grégory furent accueillis et l’un des thérapeutes ouvrit la porte d’un vaste bureau en invitant Valentine et Grégory à entrer et choisir leur place. Il y avait sept chaises vides, Valentine posa la question,

— Dites-moi, je ne comprends pas, vous êtes deux thérapeutes, il y a mes parents, pour qui est la cinquième place, vous le savez pourtant que mon frère est en chaise roulante.

Etonné, le thérapeute lui répondit,

— Oh, mais, c’est pour votre tante, votre tante Annie, la sœur de votre mère.

À voir la mine abasourdie des deux jeunes gens, le thérapeute reprit,

— Visiblement, vous ne connaissez pas votre tante Annie. C’est votre père qui a insisté pour qu’elle soit présente.

Les deux hochèrent négativement la tête, ils étaient éberlués. Valentine balbutia

— Non … Nous ne la connaissons pas …

Elle s’assit à côté de son frère et lui dit,

— Et de un ! Waouh, nous avons une tante et nous ne le savons pas, frérot ! Tu crois qu’il y en aura d’autre comme ça aujourd’hui ?

— Oh, eh bien, attendons de voir, nous serons peut-être servis ! Dis, t’as une mine de déterrée, tu fais toujours des cauchemars ? Ça ne s’est pas calmé ?

Valentine soupira tristement, elle en avait déjà discuté avec son frère, il s’inquiétait pour elle.

— Non, c’est toutes les nuits… J’espère que cela s’arrêtera un jour.

Alors qu’ils discutaient, une personne entra discrètement et resta plantée à fixer Valentine. Elle n’était pas grande, de l’âge de leurs parents, des vêtements passe-partout, discrets, mais bien coupés. Elle tenait un joli petit sac en cuir brun par la anse, avec ses deux mains.

Valentine la fixa, elle aussi, trouvant qu’elle avait un air de famille, mais plutôt vague. Elle entendit son frère demander,

— Bonjour, c’est vous notre « tante Annie » ?

Son regard passa sur Grégory à qui elle sourit et lui répondit, avant de refixer Valentine.

— Exactement, tu es Grégory, je pense que tu ne dois avoir que très peu de souvenirs de moi, ta mère n’a plus voulu entendre parler de moi après les incidents avec Valentine.

Après avoir marqué un arrêt, « Tante Annie » souffla, en s’adressant à Valentine,

— Seigneur que tu lui ressembles.

Interloquée, cette dernière demanda,

— Quels incidents ? Je ressemble à qui ?

En souriant, « Tante Annie » lui précisa,

— À ma mère…

Rompant l’étrangeté du moment, l’un des thérapeutes intervint,

— Nous sommes tous là, les derniers attendus arrivent, installez-vous madame.

Tante Annie hésita, regarda les chaises restantes puis s’installa à côté de Valentine. Cette dernière trouva cela un peu intrusif ; elle ne la connaissait pas, mais bon, c’était peut-être mieux que d’avoir sa mère à côté d’elle.

Justement, sa mère arriva, suivie de son père et du second thérapeute. Elle s’installa juste en face de Valentine qui eut du mal à déglutir. Le regard de sa mère était noir et fixé sur elle.

Super, pensa-t-elle, je vais voir sa tronche durant tout l’entretien, Oh joie !

Elle sentit que son frère lui serra la main, elle lui en fut reconnaissante et serra aussi sa main, qu’elle garda dans la sienne.

L’entretien commença, le premier thérapeute pointa le fait qu’il avait remarqué qu’aucun des deux enfants du couple ne connaissait Annie. La mère de Valentine arrêta de foudroyer Valentine du regard pour répondre en foudroyant Annie du regard, Valentine pensa, tiens, ça me change !

— C’est normal, je lui ai interdit de revenir chez moi ou de tenter le moindre contact, pour moi, Annie n’existe plus.

Calmement mais fermement, Annie répondit,

— Pourtant, je suis bien là, bien vivante, Agnès !

— Oui, je vois, tu es là… Alors quoi ? Il paraît que je suis ici pour expliquer des choses, non ?

L’un des thérapeutes confirma,

— Oui, il était prévu que vous puissiez expliquer certains de vos gestes et de vos paroles, notamment à vos enfants.

— Mon enfant, l’autre, elle ne compte pas !

Grégory serra la main de sa sœur et respira profondément. Agnès le repéra et tonna,

— Mais regardez, elle l’a ensorcelé, pourquoi est-il près d’elle et pas près de sa mère ? Elle a hérité ça de ma mère, c’est à se demander si elle ne s’est pas réincarnée en elle quand j’en ai eu terminé… La proximité peut-être….

Elle s’arrêta de parler et marmonna des choses incompréhensibles. Annie intervint en s’adressant à Valentine,

— Il est vrai que votre ressemblance est frappante, regardez, j’ai rapporté des photos de l’époque.

Elle ouvrit une petite boîte en fer et en sortit quelques clichés, Grégory fit de grands yeux et lança,

— Ah merde ! Oui, c’est dingue ! C’est ton portrait craché !

Valentine les regarda et trouva aussi un air de ressemblance, elle prit alors son courage à deux mains pour oser demander à sa mère,

— Maman, c’est à cause de ça que tu ne me supportes pas ? Mais quand j’étais bébé, tu ne pouvais pas savoir que je lui ressemblerais autant…

Après l’avoir dévisagée d’un air mauvais, elle lança à sa fille,

— Ah, mais je ne t’ai jamais supporté, vilaine ! Et c’est encore pire maintenant que tu ramènes son portrait pour me narguer !

Elle se retourna vivement vers sa sœur en lui disant d’une voix plus sourde, qui fit trembler Valentine,

— Tu vois bien, tu aurais dû me laisser la crever !

— Non Agnès, je ne t’aurais jamais laissé faire !

Valentine sentit son cœur battre dans ses tempes, elle se sentit étouffer, comme dans ses cauchemars… Elle se sentit vaciller, elle eu l’impression qu’elle était en train d’être écrasée, que toute sa cage thoracique était broyée. Elle revint à elle en entendant son frère l’appeler. Il la secouait.

— Valentine, réponds-moi !

Grégory contempla sa sœur, livide, des gouttes de sueur perlant sur son visage, au bout d’un moment, elle cligna des yeux, prit une grande respiration, comme si elle avait été en apnée pendant tout ce temps. Annie lui caressa les cheveux et lui dit,

— C’est fini ma chérie, tu es vivante…

Agnès grogna,

— Ouais… C’est ça, elle est vivante… Elle aurait dû rester dedans pourtant…

Vivement, sa sœur lui répondit,

— Agnès, tu es un monstre !

L’un des thérapeutes intervint,

— Valentine, avez-vous souvent ce genre de manifestation ? Vous avez parlé de cauchemars là-tantôt.

Elle prit péniblement la parole, épuisée par ce qu’il venait de se passer en elle.

— Oui, en fait, c’était comme dans mes cauchemars, j’étouffe, je n’arrive plus à respirer, je ne vois plus rien sauf un sourire, par moment, puis ça recommence. Et je ne sais pas ce que cela signifie, mais cela me fait peur d’avoir ce genre de réaction en étant éveillée.

Annie se tourna vers Agnès les yeux pleins de rage,

— Eh bien, tu vois, tu as atteint l’un de tes buts, lui pourrir la vie !

Interpellé par cet échange musclé, Grégory qui tenait toujours sa sœur dans ses bras, demanda,

— Que voulez-vous dire ? De quels buts de ma mère parlez-vous ?

— Tu ne t’en souviens pas mon petit Greg ?

Annie le regarda avec beaucoup de douceur, puis prit une grande inspiration et expliqua,

— Non, tu étais jeune… Et tu as dû refouler tout ça. En fait, ta mère a tenté plusieurs fois de tuer ta sœur lorsqu’elle était encore un nouveau-né, et pour une des fois, c’est toi qui es venu me chercher, tu devais trouver bizarre que ta mère joue à mettre un oreiller sur la tête de ta petite sœur… Alors que je t’expliquais souvent que c’était dangereux.

Agnès hurla,

— Tu vas te taire ! Ce sont mes affaires ! Tu n’as pas à t’en mêler ! Laisse mon fils tranquille !

Annie se tourna vers Agnès et continua à déballer ce à quoi elle avait assisté,

— Ce sont mes affaires lorsque tu tentes sous mes yeux de tuer ma nièce qui n’a que trois semaines en la maintenant sous l’eau de son bain, quand tu tentes de l’étouffer avec un oreiller ou quand tu « oublies » de lui donner plusieurs biberons d’affilée… Elle a vite compris qu’elle devait se faire oublier de toi, pour sauver sa peau ! Elle ne faisait plus un bruit dès qu’elle captait que tu étais dans les parages. Heureusement que ton mari veillait au grain et s’occupait de sa fille en rentrant de son travail, heureusement que je restais la journée pour sortir ta fille de l’eau ou retirer la main qui l’étouffait.

D’une voix sourde, Agnès trancha,

— Elle n’avait pas à naître, c’est tout.

Grégory et Valentine n’en crurent pas leurs oreilles et se tinrent l’un à l’autre. Grégory interpella son père,

— Papa ! Tu ne nous as jamais expliqué cela, pourquoi ?

Son père était écroulé sur sa chaise, en pleurs, il finit par répondre,

— Je pensais, non… J’espérais que vous deux, vous oublieriez cela en grandissant pendant que votre mère était internée. Je suis désolé.

Ne comprenant pas la réaction de son père, il continua à le questionner,

— Comment as-tu pu rester avec une femme qui a voulu tuer son propre enfant, papa ?

— Je l’aime Grégory, malgré tout ce qu’elle a fait, je continue à l’aimer. Et j’ai toujours gardé espoir que les choses s’arrangent.

Il était abattu. Grégory gigota dans sa chaise et fusilla sa mère du regard. Valentine lui dit doucement,

— Greg, arrête, ça ne sert à rien, il restera toujours avec elle.

Elle l’enlaça, et lui dit,

— Merci de m’avoir sauvée quand j’étais petite Greg, sans toi et cette tante Annie qui tombe du ciel, je ne serais probablement plus de ce monde.

L’entretien fut clôturé, un autre allait avoir lieu, mais il ne fut pas possible de fixer la date au moment même, au vu de l’ambiance.

Gregory et Valentine laissèrent d’abord sortir leurs parents, leur tante Annie leur proposa ses coordonnées pour pouvoir discuter avec eux d’autres choses de l’histoire familiale. Les deux acceptèrent, mais en indiquant qu’ils auraient d’abord à digérer ce qu’ils venaient d’apprendre.

Les thérapeutes proposèrent aussi leur aide, des cartes de visite furent échangées.

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