Triste crémaillère

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Le jour de la crémaillère arriva, Françoise était dans ses petits souliers, elle allait devoir gérer pas mal de choses aujourd’hui. Grégory la seconda, dans la mesure de ses moyens pour l’intendance. Il s’occupa surtout de faire la conversation avec tout le monde dans le salon.

Les parents de Françoise l’aidèrent, Valentine aussi, beaucoup d’échanges se firent dans la cuisine, notamment la présentation de Marianne à Françoise ou encore des retrouvailles de Valentine avec les parents de Françoise qu’elle connaissait depuis l’adolescence.

Ces derniers étaient très contents de voir leur fille heureuse avec Grégory, qu’ils avaient connu brièvement avant son accident. La mère de Françoise avoua,

— Je suis heureuse qu’elle l’ait retrouvé, ma fille dépérissait loin de lui, et là, quand je la vois et malgré le handicap de ton frère, elle est heureuse, c’est tout ce qui compte à mes yeux, Valentine. Et toi ? C’est lui Sébastien, qui parle avec mon mari ?

— Oui, c’est lui et à côté, la dame un peu austère, c’est sa mère.

— Ah oui, elle donne l’impression de scanner tout le monde, tu t’entends avec elle ?

— Oui, heureusement ! Au début, j’ai eu un peu peur, mais finalement, je crois qu’elle m’a adoptée.

Elle rigola doucement. La mère de Françoise lui demanda,

— Et avec ta mère, ça se passe comment ?

Valentine fit de grands yeux, et pensa… Que répondre

— Eh bien, c’est comme d’habitude, alors moins je la vois, mieux je me porte.

— Ça n’a pas changé entre vous… Pourtant, là, elle semble calme, elle n’a pas encore fait de remarque. Tant mieux, note, elle a peut-être appris à un peu mieux se tenir depuis que ton frère l’a mise à la porte, non ?

Etonnée, Valentine s’enquit,

— C’est Fran qui t’a expliqué ça ?

— Oui… Et elle a eu raison de lui tenir tête, je trouve. Bon, allez, je vais retrouver mon mari.

— Ok, je termine les recharges des chips et des petits fours.

Valentine se concentra sur les bols de chips qu’elle comptait remplir, lorsque sa mère lui adressa la parole, sur un ton où pointa un certain cynisme

— Alors Valentine, tu es heureuse ?

Saisie par la question de sa mère, elle se retourna, tenant un sac de chips en main.

— Euh… Oui, maman, je suis heureuse. Et toi, comment vas-tu ?

Sa mère aiguisa son regard et pinça les lèvres avant de lui siffler,

— Comment voudrais-tu que j’aille bien alors que ton amie, aussi abjecte que toi, a mis le grappin sur mon fils !

Valentine ravala sa salive et lui indiqua,

— Je n’ai pas envie d’entendre ce genre de chose maman, si tu n’as pas envie de faire la fête pour le bonheur de ton fils, tu es libre de partir, je crois.

— Oh que oui, je suis libre de partir et cette intrigante serait très heureuse de me foutre à nouveau à la porte, ça, je le sais !

— Maman, s’il te plaît, pour Grégory, reste correcte.

Valentine sentit un sanglot monter dans sa gorge… Elle se retrouvait, petite, devant cette mère qui ne lui disait que des mots qui faisaient mal, tout en gardant un sourire de façade. Allait-elle recommencer, là, dans cette cuisine, alors qu’elle-même ne voulait penser qu’au bonheur qu’elle connaissait avec Sébastien et partager le bonheur de son amie et de son frère ? Sa mère arrivait toujours à gâcher tout le positif que pouvait ressentir Valentine.

Sa mère lui répondit sur un ton agressif,

— Mais je suis correcte Valentine, je suis tout sourire, personne ne te croira si tu oses prétendre que je t’ai « encore une fois » rabaissée… Pff, pas besoin de te rabaisser, tu ne représentes rien à mes yeux, si ce n’est un poids que j’ai dû sortir de mon ventre, déjà là, tu m’as fait souffrir, et puis tous ces gens qui estimaient que je devais m’occuper de toi. Tu es le portrait craché de ma mère… Ces cheveux, ce teint… Je haïssais ma mère, te l’ai-je déjà dit ?

— Non, maman…

Valentine murmura sa réponse avec une toute petite voix, elle eut envie de se transformer en une petite souris et de s’encourir de cette cuisine. Sa mère, elle continua à l’invectiver,

— Je la haïssais au point de vouloir la tuer… Tu veux savoir pourquoi ?

— Je ne suis pas sûre de vouloir le savoir maman…

Valentine baissa les yeux, sa mère s’approcha d’elle et la singea en répétant avec une voix haut perchée ;

— « Je ne suis pas sûre de vouloir le savoir maman » ! Regarde-toi, pas de courage, tu n’es que faiblesse, tu n’es qu’une incapable, comme elle !

— Et qu’a-t-elle donc fait, votre mère, pour que vous ayez eu envie de la tuer ? Moi j’aimerais savoir.

Valentine et sa mère se tournèrent vers l’endroit d’où venait la voix, Valentine reconnut Marianne entre les larmes qui commencèrent à brouiller ses yeux. La mère de Valentine demanda, sur un ton abrupt,

— Qui êtes-vous ?

— Je suis la belle-mère de Valentine et j’aimerais en savoir plus sur la personne à qui vous la comparez.

Elle se radoucit et répondit à Marianne,

— Ah, la « belle » mère, j’aime qu’on utilise ce terme-là …

Le regard de la mère de Valentine se posa à nouveau sur cette dernière et dit,

— Elle a tout hérité de cette femme, physiquement et moralement, c’était une incapable, comme ce qui me sert de fille.

Elle énonça cela en pointant son menton en direction de Valentine. Marianne la laissa continuer, tout en jetant un œil vers Valentine qui n’était plus que l’ombre d’elle-même et se retenait au paquet de chips qu’elle avait toujours en main. Marianne ferma les yeux dans sa direction, en signe d’apaisement, Valentine le vit, mais ne comprit pas ce que cela pouvait bien signifier pour Marianne.

— Mais vous, madame, pourquoi haïssez-vous autant votre mère ?

La mère de Valentine se retourna et eut des éclairs dans les yeux lorsqu’elle lâcha le morceau,

— Elle a poussé mon père à se donner la mort et puis elle a joué les veuves éplorées !

Elle se tourna à nouveau vers Valentine et rajouta,

— Elle pleurnichait toute la journée comme cette chose le fait pour le moment.

Elle pointa Valentine du doigt.

— Elle disait qu’elle voulait mourir… Soi-disant pour le retrouver, pff ! Eh bien, avec toute la force que m’a donnée la tristesse que j’avais d’avoir perdu mon père, je l’ai aidée à obtenir ce qu’elle voulait !

Devant cet aveu, Marianne fut quelque peu abasourdie et, d’étonnement, lâcha

— Ah…

La mère de Valentine poursuivit son explication,

— Et puis j’ai su pour elle… J’étais enceinte, d’une fille ! J’ai horreur des filles ! C’est faible une fille, rien ne vaut un solide petit garçon, comme mon petit, là, dans le salon.

Pleine de rage, elle s’adressa à Valentine qui se décomposa littéralement.

— C’est toi qui aurais dû crever dans cet accident, cela aurait réglé les choses, tu n’aurais jamais dû naître, j’ai voulu me faire avorter, mais ton père ne voulait pas, je t’ai haie dès que j’ai su que tu existais dans mon ventre !

Le père de Valentine déboula dans la cuisine, toute l’assemblée, dans le salon, s’était figée en entendant les dernières phrases de la mère de Valentine.

— Arrête ! Nous rentrons, immédiatement !

— Oh toi, ça va hein !

— Tu te tais et tu viens, maintenant !

Comme elle fit mine d’obtempérer, le père de Valentine lança à sa fille, des larmes dans les yeux,

— Je suis désolé ma chérie, je pensais qu’elle avait pris ses médicaments, mais visiblement elle n’en a rien fait, je la ramène et je repasserai si j’en ai l’occasion après.

Il passa entre sa mère et elle pour lui donner un baiser sur le front en lui tenant sa tête dans les mains.

— Je suis horrifié, mais tu connais ta mère.

Entre deux sanglots, elle couina,

— Oui papa.

Le père de Valentine s’éclipsa avec sa femme sous le bras. Marianne détailla Valentine en s’approchant d’elle. Valentine s’excusa en déposant mécaniquement son paquet de chips sur le plan de travail

— Je suis désolée que vous ayez dû assister à ça, Marianne.

Soucieuse, Marianne lui répondit,

— Valentine, moi je suis désolée pour toi, pour ce que tu as dû entendre de la part de cette femme qui ose prétendre être ta mère !

En tentant d’esquisser un sourire, Valentine lui lança,

— Oh, elle aimerait bien ne pas l’être !

— Oui, ça je l’ai bien compris.

Marianne ouvrit ses bras et y recueillit Valentine qui s’y effondra, en pleurs. Marianne repéra deux petits tabourets sur lesquels s’installer, elle guida Valentine qui était submergée de sanglots.

Sébastien arriva dans la cuisine, Marianne lui fit signe de s’en aller, elle fit le même signe à tous ceux qui vinrent aux nouvelles.

Marianne la berça, doucement, fredonnant une chanson tout en caressant ses cheveux, comme elle l’aurait fait avec un enfant qui a un gros chagrin.

Valentine s’agrippa à elle tout en pleurant toutes les larmes de son corps… Sa mère avait été claire, elle voulait sa mort. Elle ne connaissait rien de cette grand-mère maternelle que sa mère haïssait tant, elle savait juste qu’elle était morte avant sa naissance et que c’est pour cela que sa mère n’avait pas voulu d’elle, mais apparemment il n’y avait pas que cela.

Elle savait aussi que les bras dans lesquels elle était, étaient ceux de Marianne. Elle la trouvait si … douce, cette belle-mère pour laquelle elle avait eu tant d’appréhension.

Valentine fut partagée, elle se sentait entourée de douceur dans les bras de Marianne, mais en même temps, elle se sentait mal ; qu’allait penser Marianne de son comportement ? Allait-elle la trouver faible, comme sa mère ? Elle sursauta, elle ne voulait pas donner cette image à Marianne, elle devait se montrer forte. Elle tenta de se dégager de ses bras.

— Chut… Valentine, apaises-toi d’abord, elle est partie.

— Mais, je dois aller remettre des chips pour les autres…

— On s’en fout des autres Valentine ! C’est toi qui as été attaquée, prends le temps de récupérer.

En se frottant les yeux et en se redressant, elle répondit,

— Mais, c’est bon, je vais mieux…

— Après des horreurs pareilles ? Je ne te crois pas.

— Mais si, je ne suis pas faible… J’ai l’habitude, ça va passer …

Sa voix mourut et des sanglots remontèrent brusquement, Marianne la reprit contre elle.

— Pour ça, non, tu n’es pas faible, loin de là… Réussir à vivre, à survivre dans une ambiance pareille, il en faut de la force.

En entendant cela, les sanglots de Valentine redoublèrent… Marianne continua à la bercer.

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