Chapitre 6

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Ce jour-là, ils avaient décidé de sécher les cours. Kris se souvenait qu’Ashil avait lancé l’idée, tout de suite acceptée par lui et leur ami Shan. Ennuyés par leur quotidien mortel, les étudiants s’étaient donné rendez-vous dans le centre. Ils furent rejoints par Jordan qui réussit également à se défiler de ses responsabilités ignorant les répercutions que cela engendreraient. Ils avaient erré plusieurs heures en ville à la recherche d’une occupation. En passant d’abord par une arcade, ils lapidèrent le peu de monnaie qu’ils leurs restaient. Cela étant, ils squattèrent un terrain de basketball. Les murs tagués de graffitis, le sol râpeux, la clôture cassée emportée par le vent claquait contre un piquet. Tous ces détails insignifiants étaient pourtant gravés dans la mémoire de Kris. Une vieille balle dégonflée trainait dans un coin du terrain. Jordan avait tenté de marquer des paniers aussitôt rejoins par les garçons. Une autre bande de jeunes avait débarqué. Ils disputèrent un court match avant de se fritter avec eux jusqu’à en venir aux poings. Ils s'étaient échangés quelques coups pour finalement se séparer. Tel était le quotidien de ces jeunes noyés dans l’immensité de la ville. Un peu plus tard, les quatre amis rassasièrent leurs estomacs affamés dans un fastfood. Ils déambulèrent encore dans leur habituel quartier jusqu’à ce que le soleil touche l’horizon, annonçant la métamorphose obscure de la ville. Tandis que Kris, Jordan, Ashil et Shan avaient fini leur journée dans leur planque. Ils squattaient l’infirmerie d’une petite école abandonnée. Meublée que d’un vieux lit, de deux chaises et bureaux récupérés dans les classes, la pièce était vétuste et poussiéreuse. Pourtant, elle avait un charme qui avait immédiatement séduit les complices.

Kris se revoyait se balancer sur la chaise. Les derniers rayons du soleil baignaient l’infirmerie de couleurs orange. Pour une fois, aucun des jeunes ne buvait ou ne fumait. Shan fredonnait de sa voix mélodieuse, inondant le cœur de ses amis. Ashil, debout à la fenêtre, semblait ailleurs, loin de ce pénible monde. Scrutant l’horizon, il observait l’achèvement d’une journée. Ses cheveux se balançaient au vent. Jordan, elle, était couchée sur le matelas, fixant le plafond. C’était l’un des moments les plus paisibles que les quatre jeunes n’avaient jamais vécus. Personne n’osait parler de peur de brisé la magie qui s’était emparé du lieu. Cet instant de paix si rare et si fragile, Kris et ses compagnons s’illusionnaient à le préserver éternellement. Ils restaient là, ignorant tout de leur monde. Ce moment leurs appartenait et ils n’étaient pas prêt à le lâcher…

  • Kris. Kris. Kris, répéta une voix en écho.

Cette voix familière se faisait de plus en plus insistante résonnant dans son esprit. Kris ne lui prêta pas attention, ensorcelé par ce doux souvenir. Mais, la voix l’appelait encore et encore incessante. Kris se leva alors de la chaise et supplia à la voix de se taire. Ses souvenirs se brouillèrent. Le visage de ses amis se superposa avec celui d’une femme aux cheveux argentées que le garçon reconnut. Son esprit était embrouillé. Que faisait-elle ici ? Ou plutôt que faisait-il là ? Ashil était mort, il y a plusieurs années déjà et il n’avait plus fréquenter Shan depuis longtemps. Une multitude d’images s’imposèrent dans l’esprit de Kris. Il vit sa mère et son père épanouis. Il vit un champ de bataille et de fidèles camarades. Il vit le vieux chien de son oncle. Il vit une grotte obscure. Il vit le corps d’Ashil sans vie. Il vit un homme combattant avec bravoure. Il vit Jordan les mains ensanglantés, un couteau à la main, une rage folle habitant ses yeux. Il vit un ciel bleu et un champ de blé… il vit. Joyeux, angoissant, heureux, déchirant. Perdu dans un flot d’émotions, chaque vision éveillait ses mémoires.

Le décor se brisa en mille morceaux, rappelant avec cruauté à Kris la réalité. Le passé est une notion. Il est inatteignable.

Un mal le frappa au ventre. La douleur était vive. Son sang s’échappait de son corps pour rejoindre le sol. Il examina le reflet de son visage déformé par la douleur dans la flaque rougeâtre. Seulement, ce visage ne lui appartenait pas. La mare de sang reflétait la figure d’un autre homme. Un individu à la barbe naissante, plusieurs cicatrices barraient son visage et ses cheveux étaient retenus en queue de cheval. C’était l’homme que Kris avait rencontré plutôt sur la colline. La douleur s’évapora aussi vite qu’elle s’était abattue. Kris se releva et vit une quinzaine de personnes se tenir devant lui. Ils lui souriaient d’un air compatissant. Ils étaient tous d’apparences, d’époques, de races et de mondes différents. Pourtant, Kris savait qu’un lien puissant les liait inévitablement. Il ignorait encore qui ils étaient. Mais le garçon comprit que la réponse se trouvait enfuie en lui. L’un d’eux s’approcha et lui tendis un pendentif. Une griffe noire et brillante pendait le long d’une chaine dorée. L’adolescent s’avança à son tour et toucha le bijou. Au moment où ses doigts frôlèrent la griffe, un frison parcouru son être.

Un dragon noir de jais s’éleva derrière la foule. Massif, il imposait son pouvoir hors norme, démontrant au monde entier sa suprématie. L’animal se tenait ancré sur ses quatre aplombs. Des écailles plus solides que le roc protégeaient son corps et des cornes paraient sa tête le rendant plus effrayant encore. Ses impressionnantes ailes s’ouvrirent lentement. Ses yeux brillants brûlaient de fierté. Le dragon rugis révélant ses terribles crocs acérés. Cette créature représentait à elle seule la puissance d’un ouragan, indomptable et imprévisible.

Le sang de Kris bouillonnait. Son corps tremblait et il transpirait comme prit d’une soudaine fièvre. Kris réalisa que son existence était insignifiante comparé au pouvoir écrasant de la bête. Cette puissance lui faisait tourner la tête. Le garçon frissonna face à cette vision. Un torrent de questions submergea son esprit. Cependant, une le hanta, persistante. Qui était-il ?

Kris ouvrit les yeux, vaseux. Il était couché dans un lit. Mais, le plafond qui se trouvait au-dessus de lui, il ne le reconnut pas. Son esprit brumeux, il sommeilla. Sa conscience s’engouffra entre la frontière des songes et des souvenirs. Ce n’est que lentement qu’il réussit à se sortir de sa torpeur. S’aidant de ses bras pour se relever, il s’assis et s'adossa au mur. Pris d’une soudaine panique, il releva son pull. Le garçon était choqué de constater qu’il n’avait rien, aucune blessure. Ses souvenirs étaient vagues mais la douleur qui s’était abattu sur lui avait été trop intense pour être fictive. Il était pourtant obligé d’admettre que son ventre était indemne. Kris fut pris de panique. Sombrait-il dans la folie ? Il inspira et expira. Son calme recouvré, il inspecta les lieux. L’adolescent découvrit une chambre sombre, éclairé par quelques bougies. Il trouva sa veste et quelques-unes de ses affaires sur une chaise à côté du lit. Un vacarme extérieur traversait les murs et lui parvenait en bourdonnement continu. Kris posa ses pieds sur le planché froid. Il enfila ses chaussures et sa veste. Il fallait qu’il sache où il se trouvait. Et plus important encore, où se trouvait Jordan ?

Kris tata les murs de la chambre à la recherche d’une porte. A son étonnement, il n’y en avait pas. Il remarqua une petite lanterne à huile posé dans un coin de la pièce. Rectangulaire, elle laissait échapper, à travers les barreaux de fer, la lumière d’une flamme dansante. La lanterne reposait sur une trappe camouflée par l’obscurité. La trappe grinça lorsqu’il l’ouvrit. Le jeune homme entreprit de descendre l’échelle en bois à reculons, en prenant la peine de prendre la lanterne avec lui. Le bruit d’un rassemblement s’entendait de plus en plus fort. Il franchit un couloir guidé par le son et sa faible lumière. Il aboutit sur un escalier et le descendit pour atteindre l’étage inférieure. Le sol n’était plus un parquet mais bien de la pierre. Cet escalier donnait sur une lourde porte. Celle-ci ouverte, une lumière jaunâtre débordait de son embrassure. Kris pénétra dans une salle animée par des attroupements d’hommes et de femmes, responsable de ce brouhaha omniprésent. Ces gens attablés dévoraient des plats appétissants, tout en buvant et discutant gaiement. Le garçon déduisit que cet endroit était une taverne. Il venait certainement du grenier de la bâtisse. Perdu, il ne savait à qui s’adresser pour solliciter de l’aide. Il fouilla la foule du regard à la recherche d’un visage familier sans résultat. Il se rendit compte que son accoutrement dénotait très fort avec les lieux. Il se loua de porter des vêtements sombres, grâce à cela il n’attirait pas trop les regards.

L’odeur de viande arracha une plainte à son estomac. Kris constata que la nuit tombait déjà. Seule une lumière lointaine traversait les fenêtres de la taverne. Ça ne le rassura guère. Leurs deuxièmes jours à Draïr, à lui et Jordan, touchait déjà à sa fin, sans qu’il n’ait eu le temps de s’en apercevoir. Il repéra un serveur, occupé à allumer les bougies des chandeliers et se lança vers lui, décidé à le questionner sur sa situation.

  • Qui ne tente rien, n’a rien, s’encouragea-t-il à voix haute.

Kris se rapprochait du serveur quand il fut brusquement bousculé. Déséquilibré, il se rattrapa au bras de la personne qui venait de le cogner. L’individu se révélait être une femme d’âge moyen. En pleine discussion enflammé avec ses interlocuteurs, elle s’était brutalement relevé de sa chaise, la renversant au passage.

  • Bande de tubercules avariés ! les insulta-t-elle. Vos cervelles ne sont pas suffisamment développées pour mesurer la valeur de cette découverte historique.

Ses opposants riaient de la situation et n’avaient même pas prie la peine de relever son injure. La dame réajusta sa longue tunique pourpre, récupéra ses parchemins éparpillés sur la table et tourna les talons. Furieuse, elle marmonnait des injures entre ses dents.

  • Deux verres et elle est déjà ivre, pouffa un homme dans sa barbe grise.
  • Eh Yama ! Olof a remis ça. Tu ferais mieux de la suivre avant qu’elle se s’acharne sur une pauvre âme, prévint un second personnage à l’attention du serveur, toujours occupé avec ses chandeliers.

Celui-ci descendit de son tabouret en soufflant et essuya ses mains sur son tablier. Il rattrapa la dénommée Olof, effectivement occupée à s’exciter sur une autre tablée. Il l’emmena à l’écart en s’excusant auprès des clients. Il essaya en vain de calmer la femme entêtée dans son raisonnement. Kris inspecta à nouveau la salle cherchant un autre employé ou une quelconque personne susceptible de l’aider. Malheureusement, les gens étaient soit trop intimidant, soit trop soules pour qu’il ose les abordés. Kris choisit finalement d’accoster l’unique serveur des lieux. Celui-ci força la furie à s’asseoir.

  • Oui, c’est très intéressant et vous avez raison. Mais, tenez vous tranquille, vous importunez les clients, supplia le garçon.
  • Ils devraient être honorés de ma présence, objecta-t-elle.
  • Je vous amène un verre d’eau, ne bougez pas.
  • Euh… excusez-moi, intervint Kris.

Le serveur débordé par son travail se tourna désespéré vers le nouveau venu. Son visage s’illumina d’un sourire lorsqu’il vit Kris.

  • Vous êtes Kris, le garçon escorté par Tcur ! déclara-t-il. Vous êtes réveillé.
  • Oui...
  • Yama ! Une autre tournée d’estout ! commanda un client.
  • Tout de suite, répondit-il.
  • Allez-y. Je vous attends ici, le rassura Kris compatissant.

Le serveur ne se le fit pas dire deux fois et s’en alla terminer ses tâches. Kris se retrouva avec Olof, occupée a griffonné sur des papiers. Sans prendre la peine de relever la tête, elle désigna la chaise libre en face d’elle, invitant l’inconnu à s’asseoir. Désorienté, Kris s’installa à la table. Il observa le pauvre Yama courir dans tous les sens. La taverne se remplissait encore, accueillant de nouveaux clients. Tous ces hommes et ces femmes semblaient venir d’horizons différents. C’était un grand mélange de personnes atypiques rassemblées en un seul endroit.

L’estomac de Kris gargouilla à la vue des repas et de leur odeur succulente qui planait dans l’air. Olof releva la tête et remonta ses lunettes rondes sur son nez. Elle l’examina quelques secondes. Kris lisait une multitude d’informations défiler dans ses yeux. Le garçon sentit que cette femme n’était pas simplement l’hystérique du coin. Mais une personne dotée d’une intelligence insoupçonnée. La dame se leva finalement et s’éloigna.

  • Où allez-vous ? s’enquit-il sachant qu’elle devait décuver.
  • Je ne suis pas suffisamment ivre et trop âgée pour qu’un gamin ait à me surveiller, répondit-elle en chassant ses propos de la main.

Elle traversa la salle pour entrer dans une pièce voisine. Seul, Kris se permit de jeter un œil sur les manuscrits de la femme. Il n’en comprit rien. Les symboles et l’alphabet écris sur ces papiers lui étaient illisible et étranger. Les parchemins étaient recouverts d’annotations le rendant incompréhensible. Olof toussota pour annoncer son retour, ce qui surpris Kris gêné de son indiscrétion.

  • Peux-tu faire de la place s’il-te-plait ? demanda-t-elle les mains chargées d’un panier de pain et de deux chopes.
  • Bien sûr, dit-il en s’exécutant.
  • Sers-toi. Ne bois pas ton estout trop rapidement, le ventre vide tu risques d’avoir le tournis, ajouta-t-elle.
  • Merci ! Moi, c’est Kris.
  • Olof. Mais, je pense que tu le sais déjà. D’ailleurs, il semble que tu portais de l’intérêt pour mes analyses.

Sans que Kris ait le temps de répondre, elle se lança dans un exposé complexe. A dire vrai, Kris ne saisissait pas la moitié du sens de ses explications. Il écouta malgré tout. Il engloutit rapidement un morceau de pain manquant de s’étouffer avec. Il trempa ses lèvres dans le verre d’estout. Il reconnut le goût agréable de la bière et son pétillant lui chatouilla le palais. Il prit une seconde gorgée avec plaisir. Le liquide d’une couleur quasiment noir descendit avec fraicheur dans sa gorge. Cette boisson était plus alcoolisée qu’il ne le pensait. Comme l’avait anticipé Olof, sa tête se mit à tourner.

  • Ces manuscrits historiques, vieux de plusieurs siècles sont formels. L’usage d’une potion permettait aux guerriers d’acquérir une force surhumaine. En contrepartie, ce pouvoir consumait leur vie. Certains en devenaient fou ! Et ces abrutis de tubercules moisis ne veulent pas accepter mes recherches ! Tout cela parce qu’ils considèrent ces parchemins non fiables, s’énerva Olof en tapant du poing.
  • Si je vous dis que je viens d’un autre monde, vous me croyez ? lâcha subitement Kris légèrement éméché.
  • Es-tu déjà sous l’effet de l’alcool ? Il n’a pas encore bu la moitié de son verre. Ce garçon est sérieux. Je doute qu’il soit suffisamment enivré pour affirmer une telle absurdité. Certes, ses habits sont inhabituels. Toutefois, la capitale abrite des personnes en tout genre. Viendrait-il de Tayan? Cependant, Tayan est une légende depuis trop longtemps. C’est aujourd’hui, un monde oublié !

Olof réfléchissait à voix haute s’arrêtant à peine pour respirer. Elle se posait des questions et y répondais elle-même l’instant d’après. Ces yeux s’illuminaient de curiosité et brillaient à l’idée d’une nouvelle découverte. Olof ne pouvait réprimer son instinct de théoricienne. Tout le savoir qu’elle avait accumulé en étudiant l’histoire de Draïr s'imposait naturellement dans son esprit. Elle conclut que ce jeune homme n’avait pas proféré de paroles en l’air. Captivée par cette révélation, elle se devait de résoudre l’énigme qui se personnifiait en Kris.

  • Je dois étudier la question plus en profondeur, termina-t-elle. Il me faut éclaircir certains points. J’ai des livres à consulter, j’y trouverai des réponses. Kris, je t’emmène avec moi. J’ai besoin d'en apprendre davantage.
  • Où ? questionna-t-il perdu par la tournure imprévisible de la situation.
  • Au palais Stroial, déclara-t-elle en achevant sa chope d’estout.

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