14. Montagnes russes - Liang

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Tu as l’air, de savoir faire

Tout semble si facile pour toi

Mon cœur serre, oui mes jambes foirent

Mais toi, tu danses toujours au pas

Eddy de Pretto - urgences 911

Mercredi 2 juin 2021

Voilà comment j’imagine l’enfer : un macdo un mercredi midi. Ciara a proposé d’y emmener les petits et j’ai eu l’étrange idée de l’accompagner. Sans surprise, c’est agité et bruyant, mais les sourires de Xin et Lucas valent bien ce petit sacrifice. Et puis, mon dernier partiel était hier, je suis enfin en vacances. Je pourrai dormir tout l’après-midi sans culpabiliser. Les enfants ont passé sept minutes chrono à table, puis ils ont disparu dans la structure de jeux. Au moins, je tiens compagnie à Ciara.

Lorsqu’elle s’absente pour commander des cafés, je consulte mon téléphone et souris en découvrant un message d’Axel, à qui je réponds aussitôt.

Axel : 1, 2, 3…

Liang : 4 ?

Axel : perdu

Liang : Partez !

Axel : non toujours pas !

Axel : 1, 2, 3, nous irons au bois !

Liang : O_o

Axel : je passe te chercher ?

Liang : maintenant ? désolé je suis pas chez moi

Liang : je garde ma sœur, on est au macdo

Axel : ok

Liang : je suis désolé, ça tombe mal

Axel : ouais ouais…

Merde. À chaque fois qu’il me propose un truc, je refuse, pourtant, c’est pas comme si je faisais plein d’activités. Il va croire que je l’évite.

— Ça va ? demande Ciara en déposant le plateau devant moi.

— Oui, oui, la rassurè-je, le nez dans le téléphone.

Axel : ^_^

Axel : tu sais que je vais continuer à proposer

Axel : sauf si tu me dis non franchement

Liang : non, mais OUI !

Liang : je veux y retourner, avec toi !

Liang : vraiment !!!

Axel : cool

Axel : :-*

J’entends rire à côté de moi. En relevant la tête pour regarder Ciara, je réalise que pendant quelques instants, j’avais oublié l’agitation ambiante.

— Je parie que c’est ton « Juste-un-ami ». Axel c’est ça ?

— Oui, c’est ça, dis-je avec un petit sourire. Mais c’est vraiment juste un ami. Il ne se passe rien entre nous, même si…

Je laisse la phrase en suspens. J’attrape la tasse de café, verse le sucre et le mélange alors qu’elle me fixe.

— Ifrinn* ! Tu vas la finir ta phrase ? s’impatiente-t-elle.

J’éclate de rire.

— Je me venge, tout ça, c’est ta faute ! Tu m’as retourné le cerveau avec tes questions.

Elle rit à son tour.

— Pardon de te rappeler que cet organe ne sert pas que pour les études, mais aussi pour le reste de ta vie ! Et donc ? C’est quoi ta conclusion ? T’as intérêt à tout me raconter !

— J’ai pas arrêté d’y penser… et je crois qu’il me plait.

— Je le savais ! Huhu, je suis trop forte ! s’exclame-t-elle. Je me sens comme Cupidon ! Et alors ?

— Alors rien. Ça reste un ami.

— Quoi ? Mais…

Ses protestations sont interrompues par des cris d’enfants. Je me tourne immédiatement vers la structure de jeux. Xin joue tranquillement avec Lucas. Elle n’y est pour rien, je suis fier d’elle. Les cris viennent d’un petit garçon, à quelques mètres d’eux. Je déchante en remarquant qu’il jette des regards terrorisés en direction de ma sœur. Quand je vois le petit sourire fourbe qu’affiche Xin, je n’ai plus aucun doute. Je laisse échapper un soupir et attrape ma canne, décidé à aller la questionner. Ciara arrête mon geste, sa main posée sur mon bras.

— Laisse couler. Ce petit con l’a mérité, il les fait chier depuis tout à l’heure. Xin est vraiment d’une rapidité incroyable ! dit-elle, impressionnée.

— Ne l’encourage pas ! On lui a déjà expliqué cent fois qu’elle ne doit pas rendre justice elle-même !

— Arrête de t’inquiéter, je les ai à l’œil ! Alors, termine plutôt de me raconter ton histoire, je veux absolument tout savoir sur Axel !

— Y’a rien à raconter parce que ça n’ira pas plus loin

— Il n’aime pas les garçons ?

— Oh si, il les aime beaucoup, mais… ça ne peut pas marcher.

— Pourquoi ça ? insiste-t-elle.

Je secoue la tête sans arriver à mettre des mots sur ce que je ressens. Ciara pose délicatement sa main sur mon bras.

— C’est parce que c’est un mec ? demande-t-elle prudemment.

Je secoue la tête.

— Je suis bi, non pratiquant.

Elle rit.

— J’aime bien le terme ! Alors c’est quoi le souci ?

Bonne question.

Peut-être que c’est tout simplement de la peur.

— Si tu t’inquiètes pour ta grand-mère, poursuit-elle. Je suis convaincue que cela ne sera pas un problème.

— Je sais, enfin mis à part les questions gênantes ! C’est juste que je n’ai aucune chance avec lui. Il est… Il est trop tout. Et moi… Je ne suis rien.

— N’importe quoi, m’engueule Ciara. T’es adorable, t’es beau comme un cœur. Tu es intelligent… alors arrête le couplet du : « il est trop bien pour moi », c’est naze !

Je me pince les lèvres.

— On n’a rien en commun, tentè-je d’expliquer. Il est sportif, il adore sortir, faire la fête… Tout le contraire de moi.

— Pourtant, vous passez beaucoup de temps ensemble non ? Et là c’est bien à toi qu’il envoie des messages. Si tu ne lui as rien dit, comment tu peux être sûr qu’il n’est pas intéressé ?

— Parfois, j’ai l’impression qu’il flirte un peu. Mais je pense que c’est juste un jeu pour lui. Il fait ça avec tout le monde.

— Oh merde, je vois le genre de mec, soupire-t-elle. Et toi t’as peur d’y laisser des plumes.

— Voilà.

— Je comprends. J’ai souvent eu mon cœur qui s’emballait et de l’autre côté cette petite voix dans ma tête qui me disait de ne pas y aller.

— Qu’est-ce que tu as fait ? demandè-je, intéressé.

— J’y suis allé quand même ! dit-elle en riant. Je pense qu’il faut mieux avoir des remords que des regrets.

— Même avec le père de Lucas ?

Elle se pince les lèvres.

— Oui oui, même avec celui-là. Je sais que tu m’as souvent entendu l’insulter. Il n’a pas été un bon compagnon, pas un bon père non plus, même s’il progresse un peu. Malgré tout, on a quand même eu de beaux moments ensemble. Et la plus belle des choses de ma vie, nous avons eu Lucas.

Elle s’interrompt un instant pour regarder en direction de son fils. Je peux lire dans ses yeux tout l’amour qu’elle lui porte.

— … Tu sais Liang, c’est ça la vie. Tu essayes, tu trébuches, parfois tu te casses la gueule, mais au moins tu avances…

— Alors que moi, je reste cloitré dans ma chambre, complètè-je.

— C’est pas ce que j’ai dit ! se défend-elle.

— Non non, je sais, c’est juste un constat.

— Le truc, c’est surtout que si tu restes paralysé par tes questions, par tes peurs, tu risques de passer à côté de ta vie.

(*) Ifrinn : juron écossais qui signifie « enfer »

***

Vendredi 4 juin 2021

Axel est en train de passer son dernier partiel et j’ai proposé qu’on déjeune ensemble. Trois semaines qu’on ne s’est pas vus. Nos trajets, nos discussions me manquent. Même si on échange de nombreux messages, sa présence physique me manque. Et j’ai besoin de le voir pour comprendre ce que je ressens pour lui. Je suis nerveux comme jamais.

Ça fait une semaine qu’il y a un grand soleil, même ce matin, quand j’ai préparé les sandwichs, le temps était dégagé. Mais depuis que je suis monté dans la voiture, il pleut. Je suis dégouté. En plus, je suis arrivé à la fac, bien trop en avance et je ne peux même pas l’attendre sur notre banc.

Après avoir attendu quinze minutes dans la voiture, je me suis réfugié à l’intérieur. Heureusement, la fac est calme en ce moment. Je lui envoie un message pour le prévenir que je suis à la cafétéria.

Qu’est-ce que je vais lui dire ? Je ne sais absolument pas draguer, je n’ai jamais fait ça de ma vie. Toutes les relations que j’ai eues, ce sont des gens qui sont venus vers moi. Jamais l’inverse. Je me sens perdu et idiot.

Je n’ai pas arrêté d’y penser, et je suis décidé à lui dire ce que j’ai sur le cœur. Même si je m’attends à un « je préfère qu’on reste amis », j’ai besoin d’être honnête avec lui et avec moi-même.

Deux mains se posent délicatement sur mes yeux.

— C’est qui ? demande une voix dans mon dos

— Axel ! dis-je sans aucune hésitation.

— T’as triché, ricane-t-il.

Il me fait la bise et s’assoit en face de moi.

— Pas besoin de tricher. Il n’y a que Xin ou toi pour me faire ça ! Et les mains étaient trop grosses pour être celles de Xin.

Il ricane.

— Merde alors, j’ai toujours six ans dans ma tête !

Son rire m’avait manqué. C’est toujours le même Axel, joyeux, gentil, marrant et charmant.

Mes yeux s’attardent sur sa bouche.

— Libéré ! Délivré, clame-t-il.

— Comment ça s’est passé ? demandè-je.

Il fait la moue.

— C’était pas glorieux, mais au moins, c’est fini !

— Mince, désolé !

Il hausse les épaules.

— C’est pas bien grave…

Je m’imagine un instant à sa place, à devoir recommencer toute mon année scolaire, et un frisson d’angoisse me parcourt.

— Hey, vraiment y’a rien de grave, répète-t-il. Je le savais. Et puis, c’est pas comme si tu découvrais seulement l’étendue de ma connerie !

— Ça n’a rien à voir, protestè-je. Tu es intelligent ! C’est pas la question…

— Je sais ce que tu vas me dire. Il faut que je mette toutes les chances de mon côté… que je bosse plus sérieusement… Mais… c’est comme ça, je suis un touriste.

Le triste sourire qu’il affiche me pince le cœur.

— Non, ce n’est pas ce que j’allais dire ! m’agacè-je. Et non, ce n’est pas du tout l’image que j’ai de toi ! Tu ne devrais pas te dévaloriser comme ça !

— Tu me vois comment ? demande-t-il en se penchant vers moi.

— Enthousiaste ! Tu es toujours à fond, sauf quand tu parles de tes études, là tu es comme… éteint.

— L’école ça ne m’a jamais passionné, mais bon, faut bien en passer par là, non ?

— Ma question est peut-être idiote, mais pourquoi tu ne fais pas un truc qui te plait ?

— Dixit celui qui fait des statistiques ! se moque-t-il.

— J’assume totalement mon amour des chiffres. Mais n’essaie pas de changer de sujet, c’est pas de moi dont il est question ! Toi, Axel, qu’est-ce que tu aimerais faire ?

— J’en sais rien…

— Mais si, je suis sûr que si ! Ne réfléchis pas à la faisabilité pour le moment, juste ce qui te ferait tripper.

Il se marre.

— J’hésite entre vagabond et cueilleur de glands !

— Voilà ! C’est un bon début. Faut que tu trouves un boulot en lien avec l’extérieur, avec la nature ! Tu sais qu’au départ, je voulais être dresseur de pokémons !

— Ah mais oui, dans le pokedex, y a plein de stats et de graphiques incompréhensibles ! Je comprends mieux !

On rit tous les deux.

— Ça me fait plaisir de te voir, murmurè-je.

— Moi aussi ! Au fait, j’ai un truc pour toi !

Il plonge sa main dans sa poche, mais ne la ressort pas tout de suite, observant ma réaction.

— Tu sais que je ne suis pas extralucide, lui dis-je.

Il se marre et me tend un petit paquet enveloppé dans une grande feuille d’arbre.

— Non, mais tu peux deviner ! Je l’ai trouvé beau, explique-t-il alors que nos mains se touchent.

— Le plus beau gland que j’ai jamais vu, confirmè-je, mes yeux plantés dans les siens.

— Ahhh ! Tu vois que tu sais !

Je pose le paquet sur la table et déplie délicatement la feuille, pour y trouver deux glands attachés l’un à l’autre.

En les effleurant du bout des doigts, j’ai un léger vertige. L’odeur de l’humus, les grands arbres et Axel, encore plus beau, étendu au milieu des feuilles.

— Liang ? T’es avec moi ? demande-t-il amusé.

Totalement avec toi.

— Merci, soufflè-je en rangeant précieusement son cadeau.

— À la base, dit-il, je voulais te ramener des poils de renard…

— Ne va pas te faire mordre pour moi !

— Non non, ricane-t-il, t’inquiète pas.

Je dois lui parler, je dois lui dire, c’est maintenant ou jamais.

— Au fait, reprend-il. Je t’ai pas raconté, j’ai revu Damasio.

À l’évocation de son nom, j’ai les souvenirs de son étreinte qui me reviennent. Les gémissements, la peau nue, la chaleur de la nuit.

— Ah oui ? Et il va comment ?

— Bien, il s’est excusé de nous avoir envoyé balader, il m’a dit de te transmettre le message. Et, on a flirté… Il m’a proposé de passer la nuit avec lui.

Jamais.

C’est surement mieux comme ça. Ils feront un très beau couple. De quoi alimenter mes nuits de fantasmes.

— Ah… Euh, bafouillè-je. Tu dois être content.

— J’ai fui !

— Ah bon, je croyais qu’il te plaisait.

— Oui, grave. Mais maintenant, il me fait un peu flipper !

— À cause de la dernière fois ?

— Oui,

— Le surnaturel fait partie de notre monde.

— Oui, je m’en rends compte depuis quelques mois ! Et ma réaction est surement stupide, mais ça me fait peur.

— Tu n’as pas peur de moi pourtant ?

Il m’observe.

— C’est différent. Tes bizarreries, celles de Tristan ou de Hicham, je les comprends. Je les accepte. Et surtout, je me sens en confiance. Ce qui n’est plus le cas avec Damasio.

Il plisse légèrement les yeux, tout en continuant de me fixer.

— Quoi ?

— C’est vrai que t’es bien trop sexy pour être humain…

— Je suis humain protestè-je.

Et absolument pas sexy.

— Les mecs trop beaux sont tous des créatures ou des humains mystiques ! Voilà le secret ! Je suis foutu ! Totalement foutu.

C’est moi qui suis foutu. Mon cœur ne cesse de monter et de descendre dans ma poitrine.

Je me perds quelques instants dans le trou noir de mes pensées. Ne sachant plus du tout sur quel pied danser… Ce qui est bien entendu métaphorique, puisque je n’ai plus qu’une seule jambe valide et que je ne sais pas danser.

— Morte couille ! s’écrit Axel. C’est le mec que je cherchais !

Il fixe un point derrière moi.

— Damasio ? demandè-je, de plus en plus perdu.

— Non ! Le gars de la panne de voiture ! s’emballe-t-il. Amaury ! Je savais que j’allais le retrouver ! Et que j’aurai ma chance ! Mon gaydar ne me trompe jamais !

Et moi, je suis invisible.

Pourquoi est-ce que je m’agace ? C’est Axel, il est comme ça. Il s’enthousiasme pour tout, c’est ce que j’aime chez lui, je ne peux pas lui en vouloir ! Je dois mettre mes sentiments de côté. Lui et moi, c’est idiot, ça ne peut pas marcher. Je ne veux surtout pas qu’il disparaisse de ma vie. Je préfère le garder comme ami.

La décision me paraît bonne et raisonnable. Pourtant, lorsqu’il se lève pour courir vers cet autre mec, j’ai mal. Ok, j’accepte de rester dans la case : ami. Je suis prêt à l’entendre s’extasier sur toutes ses conquêtes, mais aujourd’hui, c’était notre moment à nous deux ! Il ne peut pas m’abandonner comme ça !

Je me retourne pour observer le nouvel Apollon.

Non, c’est pas possible ! Pas lui !

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