4. Joindre l’agréable - Axel

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I could say we werе too young

But I knew it was over beforе it begun

Like the world without the sun

I'll be chasing the season long after it's gone

Je pourrais dire que nous étions trop jeunes

Mais je savais que c’était fini avant que ça commence

Comme le monde sans le soleil

Je poursuivrai la saison bien après qu’elle soit terminée

Dagny – Ray-Bans

Vendredi 26 mars 2021

Sam referme son livre d’anglais et pousse un long soupir.

— Tu vois, on y est arrivés !

— Oui, grâce à toi, dit-elle. Et dire qu’au lycée, j’étais une des meilleures en anglais. Je pensais pas que le niveau serait si haut…

— Vu comme tu bosses, l’encouragè-je, je m’inquiète pas trop pour toi.

— Merci !

Je me lève et m’étire, ça fait au moins deux heures qu’on est installés à la BU.

— Y’a une réunion à Arc-en-ciel, tu viens ? me demande-t-elle en ramassant ses affaires.

— Hum c’est pas ce que j’avais prévu…

— Ah ? Dis-moi tout ! T’as retrouvé le blond de la panne de voiture ?

— Non, pas encore. J’avais juste prévu de chiller devant une série.

— Allez… viens… Je suis sure qu’il y a encore un tas de mecs mignons que t’as pas encore chinés.

Je me marre.

— Sam, c’est toi même qui m’as expliqué que c’était une association militante et non un club de rencontres.

— Merde, fait-elle. C’est vrai ! T’as vraiment une mauvaise influence sur moi !

J’éclate d’un rire sonore, ce qui me vaut les regards réprobateurs d’étudiants qui essayent de bosser. Sam me fait signe pour qu’on gagne la sortie.

— Axel, rassure moi, tu t’es pas inscrit à l’asso juste pour draguer ?

— Hum, je ne parlerais qu’en présence de mon avocat.

— J’y crois pas ! s’exclame-t-elle.

— Ben quoi ? Ça me paraissait être un bon plan. Plus économique que le bar et moins glauque que les chiottes de l’entresol du bâtiment DD !

Elle ouvre de grands yeux.

— Attends… alors c’est vrai cette rumeur de toilettes ?

— Bien sûr ! C’est une des institutions de la fac depuis les années 90 ! D’ailleurs ça fait partie de la visite guidée, t’as pas eu ça ?

On éclate de rire.

— Tu me fais marcher ?

— Non non, c’est réel !

— Et tu traines là-bas ? demande-t-elle, choquée.

— Nop. Même pour moi, c’est too much. Je suis un minimum civilisé. J’aime bien parler aux gars avant de baiser ! Et des fois, même après !

Je ne dis pas que ça ne m’a jamais fait fantasmer, mais je ne compte pas y mettre les pieds. Pas mon truc.

— Du coup, tu fais quoi ? me demande-t-elle.

— Pour draguer ?

— Mais non imbécile ! Tu viens avec moi ?

— Comment résister, tu me proposes une soirée avec des beaux mecs, et le droit de draguer…

— Comme si tu avais besoin d’une autorisation ! Tu ne prends jamais rien au sérieux ?

— Non, le monde est déjà bien trop triste, autant s’amuser dès qu’on en a la possibilité. J’essaye toujours de joindre l’agréable à l’utile !

Elle fronce légèrement les sourcils, puis secoue la tête en voyant mon sourire.

— Rassure-toi quand même. J’ai conscience que Arc-en-ciel et les autres assos dans ce genre sont super importantes, voire vitales pour certains. C’est juste que c’est pas pour moi… j’ai pas la fibre militante. Je suis juste un sale con égoïste qui pense qu’à lui.

— On sait tous les deux que c’est faux. Un jour tu comprendras. Quand tu auras décidé de grandir !

— Dis pas des trucs comme ça ! m’offusquè-je. C’est terrifiant !

Finalement, j’ai accompagné Sam. Le local se trouve dans un coin paumé du campus, mais au moins, ils disposent de plusieurs salles. J’observe cette ruche colorée s’activer entourés de banderoles arc-en-ciel et de slogans percutants. Ces étudiants ont mon âge, ou juste un peu plus et donnent de leur temps pour défendre nos valeurs. Ils se battent pour notre droit à la différence, pour l’égalité. Ils veulent pouvoir exister, se marier, avoir des enfants. Pendant un instant, j’essaye de me projeter dans le corps d’un adulte (loin dans le futur). Vivre avec un mec, peut-être me marier… et avoir des enfants ?

Je ris tout seul de ma connerie. Je ne suis même pas foutu de m’occuper de moi-même, qu’est-ce que je foutrais avec des gosses ?

Sam n’a pas tort, je suis un grand gamin. Un ado en chaleur niveau lycée… voire fin du collège. Le mec marrant que tout le monde aime bien. Le mec fier d’être out, ouvert, à qui on peut venir parler de cul. Et dont on pense qu’il a une sexualité débordante.

Ma vie n’est qu’une gay pride géante. Le voilà, mon slogan ! Je vais m’en faire un T-shirt. J’imagine déjà Tristan et Sam en train de grimacer, puis de m’expliquer patiemment que la « marche de fierté », c’est pas juste une grosse fête et qu’il y a encore de trop nombreux combats à mener. Ils s’entendraient parfaitement sur ce point-là, et bien sûr, ils ont raison sur le fond.

Tristan a un an de moins que moi, pourtant, ça a toujours été le plus mûr de nous deux. Sans lui, je n’en serais probablement pas là dans ma vie. C’est grâce à lui que j’ai compris qui j’étais. Grâce à lui que j’ai pu faire mon coming out si simplement. Tout le monde devrait y avoir droit ! Tout le monde devrait avoir un Tristan dans sa vie !

Avec Sam, on aide à préparer des panneaux pour une expo photo. Je les laisse réfléchir, moi j’exécute. Je bloque sur la photo d’un mec. Il est cadré en gros plan, brun avec une petite mèche qui lui tombe sur le front. Les yeux maquillés de noir, le regard fuyant, la mâchoire carrée. On ne voit que la naissance de ses épaules, mais on devine qu’il est torse nu. Il porte deux chaines argentées autour du cou et un anneau dans le nez. Je m’attarde sur ses lèvres épaisses que j’ai envie de dévorer.

— Wouah… laissè-je échapper.

Sam relève la tête, je lui montre la photo.

— Il est ultra sexy, m’exclamè-je.

— Ah Damasio, oui.

— En plus, il s’appelle Damasio ? Tu déconnes ?

— Euh non, pourquoi ?

— Damasio, répétè-je. Non, mais écoute comme ce nom sonne bien en bouche. Damasio… Damasio…

Elle me regarde en secouant la tête.

— Axel, je veux pas savoir ce que tu mets dans ta bouche ! dit-elle en ricanant.

— Sérieux ! Damasio, ce prénom appelle le sexe ! Non ?

— Ben écoute, il est là-bas…

— Quoi ? En vrai ? En poster géant ? En poupée…

— En chair et en os, me coupe-t-elle. Tu l’as pas vu pendant la réunion ?

— Ah non, je l’aurai remarqué !

— Pourtant, il était là, me taquine-t-elle. Va vérifier !

Elle me pousse légèrement, comme pour m’encourager.

— Mais cheffe, je peux pas t’abandonner comme ça !

— Ben si, on a terminé. Permission accordée troufion !

Je capte alors seulement les regards qu’elle lance à la fille qui est avec nous.

Hum… pas un club de rencontre… ouais c’est ça.

Je la fixe quelques secondes pour bien lui faire comprendre que je ne suis pas dupe, puis je file à la recherche de mon fantasme sur pattes. Je mets à moment à le repérer, il est très différent de sur la photo. Déjà, il est habillé et non maquillé. Mais la forme du visage et l’anneau dans la narine, c’est bien lui. Il est assis derrière un ordi, l’air concentré.

— Bonjour, dis… je suis sûr que tu peux m’aider…

Il relève la tête et m’interroge du regard. Il est vraiment bandant.

— J’ai un problème avec mon téléphone. Il me manque ton numéro !

Il écarquille les yeux, alors que je lui mets l’appareil dans les mains

— Wouah, je croyais qu’on en faisait plus des comme toi… Tu es réel ?

Son air bougon est à croquer.

— Pas sûr, je suis peut-être juste dans tes rêves. Ne cligne pas trop vite des yeux, sinon je risque de disparaitre.

Il secoue la tête, et me rend mon téléphone, mais un léger sourire se dessine sur ses lèvres.

— Écoute, t’es mignon, mais t’as l’air perdu… Tu as vu de la lumière et t’es entré ?

— Oui, une étoile étincelante dans la nuit, dis-je sans le quitter des yeux.

— T’en as combien comme ça ?

— Oh une petite collection, et je fais de l’impro aussi !

— J’hallucine, dit-il en riant franchement. Tu doutes vraiment de rien.

— Oh si, le doute m’habite… tout le temps. Mais j’aime prendre des risques. Et t’entendre rire, ça valait le coup.

Il secoue de nouveau la tête, mais le sourire reste sur ses lèvres.

— J’étais en train de préparer l’expo photos là-bas, expliquè-je. Quand je suis tombé sur la tienne. J’ai été happé. Cette photo est magnifique. Tu dégages un mélange parfaitement intrigant. Et quand on m’a dit que tu étais là, j’ai juste eu envie de te parler.

Il se passe la main dans les cheveux.

— Merci, répond-il plus bas. Pourquoi t’as pas commencé par ça ?

— Ça aurait été beaucoup moins drôle. Je m’appelle Axel.

— Moi, c’est Damasio. Et tu sais, c’est une photo, une mise en scène. C’est pas vraiment moi.

— Peut-être, mais c’est grâce à elle que je suis là, devant toi.

Nos yeux ne se quittent plus, il y a un petit truc dans l’air, une palpitation super excitante. Le moment magique est interrompu par un mec qui sort de nulle part.

— Dam, tu peux vérifier un truc avec moi ?

Pourquoi écorche-t-il un si beau prénom ?

Damasio se passe la langue sur les lèvres.

— J’en ai pas pour longtemps, me dit-il. Tu m’attends ?

— Avec plaisir.

Je sautille quelques mètres plus loin, et m’assois afin de pouvoir continuer à l’admirer. Histoire de ne pas trop passer pour un stalker, je sors mon téléphone pour trainer sur les réseaux sociaux en attendant. Un message apparait aussitôt.

Tristan : Coucou

Axel : Hey, mon triton ♥

Un petit coup d’œil discret à Damasio qui est toujours occupé.

Tristan : tu es chez toi ?

Axel : nop, au final, je suis sorti avec Sam

Tristan : ah ok, amuse toi bien

Axel : attends Triss, y’a un souci ?

Tristan : rien de grave, ca va aller

Axel : T’es où ?

Tristan : en bas de chez nous, j’ai pas envie de rentrer chez moi

Tristan et moi, on habite dans la même résidence. Deux immeubles juste à côté l’un de l’autre.

— J’ai fini. On va boire un verre à côté de la gare, tu viens ?

Je relève la tête. Le beau brun se tient là, juste devant moi.

Et merde…

— J’aurai adoré… mais faut que je me sauve. Un imprévu.

— Attends, gronde-t-il. Tu me fais tout un cirque pour ça ?

— Je t’assure que c’était pas mon intention.

Ses adorables lèvres se tordent.

— Je vois, dit-il sèchement.

Désolé beau Damasio.

Axel : bouge pas, j’arrive

Axel : je suis là dans 20 min max

Tristan : merci

Je passe dans l’autre salle faire une bise à Sam.

— J’y vais. On se voit lundi…

— Avec Damasio ? demande-t-elle en ouvrant de grands yeux.

Je grimace.

— Tu t’es fait jeter ? ricane-t-elle gentiment.

— Même pas, mauvaise langue ! Mais, je dois y aller.

— Attends, laisse-moi deviner. Encore ton Tristan qui t’appelle au secours ?

— Je t’assure que c’est pas comme ça. Tu ne le connais pas.

— Vrai, tu ne me l’as jamais présenté.

Connaissant Sam, elle va l’engueuler et il n’a vraiment pas besoin de ça en ce moment.

Et puis c’est mon choix de prendre soin de lui, personne ne m’y oblige.

***

Samedi 27 mars 2021

Ça fait quelques minutes que je suis réveillé, mais je n’ose pas bouger. Mon lit est minuscule, on a l’habitude de dormir collé l’un à l’autre. La lumière qui passe à travers les volets me permet de voir son visage. Il a enfin l’air apaisé.

Tristan n’est pas le seul à cauchemarder. Les ombres me rendent visite quelquefois la nuit, quand je suis seul. Je ne lui en ai pas parlé, il culpabilise déjà bien assez comme ça.

Délicatement, je m’extrais de ses bras avant que ma vessie n’explose. En sortant des toilettes, mon père me tombe dessus.

— T’as une de ces têtes ! se moque-t-il. T’as trop fait la fête hier ?

— Non, même pas. Parle pas si fort, y’a Tristan qui dort.

— Oh tu aurais dû me dire qu’il serait là, je serai allé chercher des croissants.

Je fais la moue.

— Ben moi aussi j’aime ça les croissants !

Tristan et moi, on se connait depuis l’école primaire. Mes parents l’adorent. Tout le monde aime Tristan. Quand on est sortis ensemble l’année dernière, ils étaient ravis. C’est le seul mec avec lequel ils m’ont vu. Faut dire que c’est le seul avec lequel j’ai eu une relation sérieuse. Quand on s’est séparés, j’ai dû leur expliquer maintes et maintes fois que non, on n’allait pas se remettre ensemble. Qu’il n’y aurait ni mariage ni petits enfants roux. Tant que Tristan est dans ma vie, tout va bien. Le reste est accessoire. Même si l’idée des gamins roux me fait toujours marrer.

Je rejoins ma mère dans la cuisine et je profite d’une tasse de café chaud.

— Comment va-t-il ? demande-t-elle.

— Pas top…

— Mince, j’avais cru voir un mieux dernièrement.

— Sa sœur s’est suicidée, rappelle mon père. C’est normal que ça prenne du temps.

À l’évocation de Mara, je suis parcouru de frissons. Mes parents me jettent un regard inquiet.

— Chéri, dit ma mère, faut que tu fasses attention à toi. Tout ça t’affecte beaucoup trop.

— Vous suggérez quoi ? demandè-je sèchement. Que je le laisse tomber parce qu’il va mal ? C’est mon meilleur ami.

— On le sait ! Ce n’est pas du tout ce qu’on est en train de dire.

— Axel, tu sais bien que Tristan sera toujours le bienvenu ici.

— Mais quoi ? râlè-je

— Mais tu ne peux pas tout régler seul !

Je lève les yeux au ciel et retourne dans ma chambre, contrarié.

Je m’assois sur le bord du lit. Tristan pousse un long soupir et s’étire comme un petit chat.

— T’as bien dormi ? lui demandè-je.

— Oui grâce à toi. Je suis désolé d’avoir foutu ta soirée en l’air. Je ne savais pas que tu sortais.

— Bah moi non plus, c’est Sam qui m’a embarqué dans un truc pour l’asso.

— Elle a l’air cool.

Il soulève la couette et m’invite à le rejoindre. Il se blottit contre moi, encore tout chaud.

— Ça va aller, murmurè-je à son oreille.

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