Le lendemain, maison de Fendora

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 J'étais allée me coucher sans revoir Fen. J'avais honte d'avoir été si méchante. Elle passa la matinée enfermée dans son officine, à broyer nerveusement des pépins de courges. Je ne savais pas quoi faire, ou dire, pour me faire pardonner. Alors je décidais de laisser le temps passer, même si cela risquait seulement d'augmenter sa peine...

Ce n'est qu'en début d'après-midi qu'elle sortit de la maison, et vint me rejoindre dans le potager, où j'enlevais les mauvaises herbes. Sans rien dire, elle se mit à m'aider. Une quinzaine de minutes plus tard, elle posa sa main sur mon bras :

  • Je sais que tes mots ont dépassé ta pensée. Je ne t'en veux pas. De plus, tu as raison, je n'ai jamais eu d'enfant, mais je t'ai toi aujourd'hui, et je sais que ton départ m'anéantirais.
  • Oh ! Pardonnes-moi ! lui répondis-je dans un sanglot, en me précipitant dans ses bras.
  • Chut, ne dis rien, murmura-t-elle.

Nous restâmes ainsi quelques instants, profitant de ce moment de tendresse. Puis elle me demanda :

  • Comptes-tu vraiment attendre quelques mois avant d'aller voir ton père ?
  • Je ne sais pas trop...J'appréhende vraiment sa réaction.
  • Crois-moi, je pense qu'il ne faut pas que tu attendes plus longtemps, tu es prête à lui parler.
  • Tu es la sagesse même, maman, je ne peux que t'écouter. Tu as sans nul doute raison. J'irai le voir demain.
  • Non, pas demain, aujourd'hui.
  • Et pourquoi aujourd'hui ?
  • Fais ce que je te dis, je sens au fond de moi que c'est aujourd'hui que tu dois aller voir ton père. Je ne saurais pas te dire pourquoi, mais je le sens.
  • Alors je pars maintenant, comme ça je saurais plus vite à quoi m'attendre.

 Sans plus rien ajouter, je me levais et allais chercher mon manteau dans la maison. En sortant, Fendora m'attendait devant la porte, et m'embrassa maternellement sur le front avant de me dire que j'étais une jeune fille forte et intelligente, et que me connaissant, je saurai trouver les mots justes.

Je me mis donc en route à travers la forêt. Il faisait beau, le vent jouait avec les branches des arbres, et le soleil perçait le feuillage en rais de lumière dorée. On sentait que le printemps ne tarderait plus.

Je pris mon temps, observant la nature qui m'entourait, et croisais quelques lapins et autres petits rongeurs.

Je finis tout de même par sortir de la forêt, arrivant directement devant la maison de mes parents.

Je me figeais. La peur montait en moi. Comme s'il avait senti ma présence, mon père sortit de la maison, et s'arrêta au seuil. En comprenant que c'était moi qui lui faisait face, son visage changea d'expression. De la peur, mêlée à de l'émotion, peut-être de la tristesse. Je m'apprétais à faire demi-tour lorsqu'il s'avança vers moi. Je fis quelques pas vers lui.

  • Il faut qu'on parle.

Nous nous étions exprimés d'un seul corps. Père se passa la main dans les cheveux, visiblement mal à l'aise.

  • Je suis seul à la maison, ta mère est partie avec tes frères et soeurs en ville, et Nils est en service. Viens, rentrons, nous seront plus tranquilles.

Je le suivais à l'intérieur. Il prit place dans un fauteuil face à la cheminée, et je m'assit face à lui sur un tabouret. S'en suivit un long silence gêné.

  • Je t'en ai voulu, tu sais, d'être partie comme tu l'as fait. Commença-t-il. Si je t'avais retrouvée un an plus tôt, je t'aurais certainement fais revenir de force ici, je t'aurais même sûrement mariée.
  • Mais alors, qu'est-ce qui a changé ? Lui demandais-je.
  • Ton frère t'aime. Il n'a jamais cessé de te défendre lorsque je proférais des menaces à ton égard. Nils est un brave garçon.
  • Oui, il m'a tirée d'affaire plus d'une fois cette année. Sans lui, j'aurais très certainement fini au bûcher.

Mon père se figea. Son visage devint livide.

  • Au bûcher !? Comment cela, au bûcher ? Qu'as-tu donc fais !?
  • Tu le sais peut-être, mais aujourd'hui je vis chez une femme, Fendora, qui est guérisseuse et qui vit dans la forêt. Un jour, des hommes de la Brigade m'ont arrêtée, persuadée que j'étais une sorcière. Si Nils n'avait pas plaidé ma cause auprès de ses supérieurs, je ne serais pas là aujourd'hui. Je pensais que tu serais au courant de cette histoire.
  • Non. Nils me l'avait cachée. Il ne voulait sans doute pas que je m'affole et parte à ta recherche. Il a toujours été très discret quant à vos rencontres.
  • Je ne comprends pas pourquoi...

Je n'eus pas le temps de finir ma phrase que la porte s'ouvrit en grand, claquant contre le mur. Nils. C'était Nils, à bout de souffle, le visage rougit d'avoir couru. Il s'appuya à la porte d'une main, comme s'il était prêt à s'écrouler.

  • Noé, tu es là ! dit-il en haletant
  • Oui, j'étais venue discuter avec père, lui répondis-je, étonnée de le voir débarquer ainsi, mais toi, ne devais-tu pas être à la Brigade ?

Mon père se leva, et l'aida à s'asseoir sur le fauteuil où il était assit. Reprenant son souffle, mon frère alla se servir un verre d'eau. En revenant près de la cheminée, il s'accroupit face à moi.

  • Je ne pensais pas te trouver ici, petite soeur. Mais je suis heureux de ta présence. Père ? ajouta-t-il en se retournant, peux-tu nous laisser parler seul à seul quelques instants, s'il te plaît ?

Notre père se leva, et fit un signe de la tête à mon frère, comme s'il savait ce que Nls avait à me dire.

  • Que se passe-t-il, grand frère ? Tu as quelque chose dont tu voudrais me parler ?
  • En vérité, ce n'est pas une bonne nouvelle que je vais t'annoncer...et je ne sais pas trop comment te le dire.
  • Eh bien dis-le ! Ne fais pas de manière, Nils !
  • Soit. En ville, les gens jasent, comme tu le sais. Mais en ce moment leur principal sujet de discussion est Fendora.
  • Comment cela !? Que disent-ils ?
  • Certains prétendent qu'elle t'a capturée pour se protéger de toute menace de la part de la Brigade, qu'elle se sert de toi comme appât pour capturer des bêtes sauvages afin de les sacrifier...

A peine eut-il fini sa phrase que je vis rouge.

  • Mais, c'est n'importe quoi ! Les gens ne savent décidément pas quoi inventer pour se dédouanner de leur idiotie !
  • Je le sais bien...j'ai beau essayer de faire entendre raison, rien ne fontionne...
  • Dans ce cas, je vais m'en charger, et crois-moi, les gens se souviendront de qui je suis !
  • Noé, ne fais pas de bêtises...

Ce disant, il me prit les mains et me regarda, l'air penaud

  • Je suis désolé de ne pas réussir à leur faire entendre raison...j'ai peur que tout cela ne t'entraîne dans de graves problèmes...
  • Ce n'est pas ta faute, simplement, n'oublies jamais que quoi que tu fasses ou dises, je reste ta petite soeur chérie !

 Il posa sa tête sur mes genoux, l'air triste. Je passais ma main dans sa tignasse blonde, comme je le faisais auparavant pour le consoler lorsqu'il s'était fait gronder.

Sans bruit, notre père revint s'asseoir sur son fauteuil. Je lui lançais un regard, la tête de mon frère toujours sur mes genoux. A nous voir ainsi, il eut l'air ému, se rappellant sans doutes ces années lointaines où nous étions de jeunes enfants turbulants.

  • Mes enfants...l'entendis-je murmurer.
  • Père, dis-je, ne m'en veux pas, mais je ne reviendrais pas vivre ici.
  • Je ne peux pas t'en vouloir, ma fille, tu as choisi ta voie. J'espère simplement que cette femme chez qui tu vis désormais t'apportera tout l'amour que tu mérites.
  • Ne t'en fais pas pour cela, elle est comme une mère pour moi. Elle n'a jamais eu d'enfant, alors je suis tout pour elle.
  • Dis-lui que j'aimerais bien la rencontrer, un jour, me dit-il avec un sourire.
  • Je ne manquerai pas de lui dire, mais je doute qu'elle accepte de venir ici, malheureusement...
  • Et pourquoi cela ? me demanda-t-il, étonné.
  • C'est assez compliqué, et je ne sais pas si elle accepte que j'en parle. Mais je reviendrai te dire ce qu'elle en dit.

 Pendant ensuite plusieurs heures, nous parlâmes de banalités, de son travail, des Langlois, ainsi que de mes frères et soeurs.

Très vite, l'heure de retourner auprès de Fendora arriva. A contrecoeur, je pris la route du retour...

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