Chapitre 2

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Pas de temps à perdre, j’attrapais nos deux sacs et j’y mettais le strict minimum, de quoi faire une toilette rapide mais efficace, de la nourriture et des capsules d’oxygène, deux respirateurs et bien sûr de l’eau. Le peu d’argent que l’on avait réussi à économiser jusqu’ici était lui aussi du voyage.

Nous partions aux Etats-Unis pour nous inscrire à la Sélection. Ma mère était américaine et Clio lui ressemblait beaucoup donc avec un peu de chance elle passerait cette première étape. Cela se compliquait pour les autres épreuves qu’elle risquait de ne pouvoir franchir, mais on ne sait jamais ! Tant qu’il y avait un souffle d’espoir, il y avait un souffle de vie.

Clio me regardait faire sans comprendre. Toutefois ma frénésie était contagieuse et elle s’activa bientôt à mes côtés pour m’aider à remplir nos deux sacs. Dans un troisième plus petit j’ajoutais quelques vêtements propres, un pressentiment me dictait que cela nous aiderait à mettre toutes nos chances de notre côté si au moment de la Sélection nous étions habillés avec des vêtements propres.

Les sacs bouclés, j’équipais Clio de son respirateur et lui expliquait comment il fonctionnait. J’enfilais le mien et nous sortions. Nous allions devoir marcher un moment avant d’atteindre la côte pour prendre un bateau qui nous emmènerait aux Etats-Unis. Il fallait faire vite car nous n’étions surement pas les seuls à avoir eu cette idée et les premiers arrivés auront toutes les chances d’être pris avant les derniers, même si la Sélection était supposée duré un mois.

Nous nous situions à environ 50 Kms de la côte atlantique. Tout seul et en partant maintenant à un bon rythme je pouvais espérer arriver au port le lendemain soir. Sauf que j’étais avec Clio. Nous mettrions donc au moins deux journées pour atteindre la côte.

-          Luc, pourquoi tu veux qu’on se dépêche autant ? Ça ne servira à rien de toute manière, nous ne sommes même pas américains !

Elle ne savait pas pour Maman, elle ne savait pas qu’elle lui ressemblait autant, ou, en tout cas elle ne s’en rappelait plus. Elle ne savait pas non plus pour ma promesse. Si elle avait été au courant, elle aurait surement été furieuse. Du haut de ses 10 ans elle était déjà très fier.

Le jour où Maman m’avait fait promettre, Clio était couché depuis longtemps. J’étais dans la pièce à vivre, beaucoup plus chaleureuse qu’elle ne l’était à ce jour. Ma mère m’avait pris la main, puis avait rassemblé son courage en croisant le regard de mon père assis en face de moi.

Elle avait plongé ses magnifiques yeux émeraude dans mon regard acier. Elle avait parlé longtemps pour m’expliquer que les temps étaient dur. Sa voix qui tremblotait sous le coup de l’émotion par moment, avait un ton que je ne lui connaissais pas. Ou tout du moins qu’elle ne m’avait jamais adressé. A cette époque j’avais 15 ans et Clio 7 ans. Mais ma mère avait le ton de la discussion des adultes, elle me parlait comme si j’étais son égal, ce qui me faisait d’autant plus peur quant à la question qu’elle allait me poser immanquablement à la fin de son discours.

Lorsque la question arriva, ses mains se resserrèrent autour de mes poignets et j’eu l’impression qu’elle voulait m’empêcher de l’esquiver en me levant et en quittant la pièce. Depuis le début mon père ne me quittait pas des yeux et ma mère avait cette urgence dans le regard qui me mettait mal à l’aise.

Finalement elle m’annonça qu’il était fort probable qu’elle-même et mon père, qu’elle le désigna d’un geste du menton sans me quitter des yeux, meurt avant nous, bien avant que Clio ne soit suffisamment grande pour se gérer seule, bien avant que moi-même je ne sois suffisamment grand pour me gérer ainsi que ma petite sœur. Elle me dit qu’elle savait que ce serait dur, surement très dur, mais qu’avec le temps nous nous y habituerions.

Tous deux me demandèrent alors de protéger Clio, quoi qu’il advienne, et sans qu’ils le disent je compris que je devais la protéger au péril de ma vie, car sans savoir pourquoi, la vie de Clio paraissait, à leurs yeux, plus importante que la mienne. Je le voyais bien à leur visage, leur expression que ça les gênait de m’avouer ça.

La colère monta en moi. Pourquoi ma vie était-elle moins précieuse que celle de Clio ? J’étais leur enfant moi aussi ! Je n’avais donc pas la même importance à leurs yeux que ma petite sœur de 7 ans ? Pourtant de nous deux, j’étais le plus utile, je les aidais en travaillant au jour le jour pour gagner de l’argent !

J’avais envie de répondre non, de leur dire que je la soutiendrais comme un grand-frère mais que je ne donnerais pas ma vie pour elle. Et en même temps que cette pensée me traversait l’esprit, des images arrivèrent devant mes yeux. Un peu comme si je rêvais éveiller. Plutôt comme si je cauchemardais, car les images que j’avais devant les yeux étaient des images de Clio légèrement plus âgée – ou était-ce son état qui me donnait cette impression ? – couverte de sang, morte. Ses yeux émeraudes, les même que Maman, éteint. Son corps froid, glaciale. Rigide. Sans vie.

Rien que d’imaginer qu’une telle chose puisse arriver parce que j’avais refusé de la protéger au péril de ma propre vie, me retournait l’estomac. Je compris alors que ma vie n’était pas moins importante à leurs yeux, mais que j’avais plus de chances de m’en sortir que Clio, car j’étais un homme et que j’étais plus âgée qu’elle. J’avais les larmes aux yeux lorsqu’ayant retrouvé une vision normale, je promettais à mes parents.

Deux ans plus tard, Clio et moi étions orphelins et je n’ai jamais faillis à ma promesse.

Nous avions bien marché deux jours, mon estimation était juste. Le port était bondé à notre arrivé, les six bateaux à voiles pouvant accueillir chacun une cinquantaine de passagers devait au moins en contenir le double si ce n’était pas le triple. Et au moins autant grouillait sur les quais dans l’espoir de monter à bord d’un des navires déjà surchargé.

C’était chacun pour soi, tirant Clio par la main, je me frayais un passage à travers cette foule compact et bruyante. Nous ne pouvions pas nous permettre d’attendre une semaine ici que l’un des bateaux déjà partie revienne.

Clio était fatigué, ces deux jours de marche avec un respirateur l’avait épuisé. Forcément elle n’y était pas habituée, de plus la qualité de nos respirateurs n’était pas terrible, ce qui ne l’aidait pas.

A force de faire des coudes, je parvins à nous traîner jusque devant le premier bateau, qui avait, me semblait-il, le moins de passagers. Une échelle plaquée le long de la coque permettait de monter à bord. J’installais Clio sur mon dos et entamais la montée. Autour de nous l’air était vibrant des cris de centaines d’êtres humains terrorisés qui hurlaient de peur, de rage ou d’angoisse.

Monter sur un bateau signifiait que tu avais peut-être une infime chance de gagner une place pour la Caverne. Tout le monde souhaitait avoir cette chance. C’est pourquoi lors de mon ascension le long de la coque, quand j’étais encore à la porté des personnes sur les quais, elles m’agrippaient et me tiraient vers le bas pour que je redescende ou que je tombe. Mais je tenais bon, si bien qu’en arrivant en haut ce fut les passagers qui me poussèrent.

Ils pouvaient me tirer ou me pousser autant qu’ils le voulaient, il était hors de question que je descende de ce navire. Je me hissais à bord avec Clio accroché à mon dos. Sans laisser le temps à quiconque de m’attraper pour me jeter par-dessus bord, je fendais la foule pour me retrouver vers la cabine du capitaine, petite construction qui sortait du pont comme un champignon géant.

Je fis descendre Clio de mon dos et la posait, assise, la cabine du capitaine faisant office de dossier. Elle devait se reposer, reprendre son souffle, oxygéner son cerveau, ses organes et ses muscles. Elle n’avait jamais vécu jusqu’à maintenant cette sensation de ne pouvoir remplir ses poumons à fond, la sensation que quelque chose de lourd était posé sur son thorax et sa gorge, ce qui l’empêchait d’inspirer et d’expirer normalement.

J’aurais voulu qu’elle ne la connaisse jamais, mais la vie en avait décidé autrement, et nous voilà obligé de nous battre pour pouvoir obtenir un futur. C’était nouveau car jusque-là, je m’étais juste battu pour un futur meilleur.

Une clameur se fit entendre au niveau de l’échelle, certaines personnes tentaient de suivre mon exemple mais elles se faisaient refouler par les passagers du bateau. Soudain une terrible secousse nous figea sur place, tandis que le sinistre craquement qui suivit nous fit tressaillir, Clio aussi blanche qu’un linge s’agrippa à mon coup et le serra fort pour se rassurer.

Pour tenter de la calmer, je passais ma main sur son dos et je caressais ses cheveux. Le bateau venait juste de se mettre en mouvement. Les hauts parleurs des quais se mirent à grésiller avant que la voix du chef de capitainerie du port n’emplisse l’air en faisant taire les hurlements et les bavardages des gens sur les quais et les bateaux qui avaient doucement commencé à s’éloigner de la terre.

-          Ici le Chef Marienau, c’est moi qui dirige ce port. Je vous informe que vous n’avez pas à payer les billets aller-retour durant le mois, les Cinq Puissances les ont financés. Merci et bon voyage mais surtout bonne chance pour la suite !

Des cris de joies répondirent à sa déclaration, un poids considérable venait de s’enlever de nos épaules, nous pauvres gens qui avions à peine de quoi acheter le billet aller.

Clio me regardait avec dans les yeux une lueur qui hésitait entre le soulagement et l’inquiétude, ce que je comprenais tout à fait étant donné que le même combat se livrait dans ma tête. J’en connaissais déjà l’issue.

Dans la balance, le soulagement ne pesait pas bien lourd, je savais que peu de temps après avoir entendu cette nouvelle la gravité de la situation assombrirait de nouveau nos esprits, déposerait un voile sombre devant nos yeux, nous donnant l’apparence des cadavres que nous serons dans peu de temps, asphyxier par l’air irrespirable de la surface de notre planète.

Tandis que 150 élus, fiers représentants de la race humaine, sélectionné pour leur physique, leurs capacités mentales et sportives, seraient sauf. Surement dans le but de créer, grâce à cette génération d’élite, une nouvelle espèce humaine, composé de beaux génies athlétiques qui transmettraient à leurs enfants, petits-enfants leurs gènes si beau, si intelligent et si athlétique !

En y réfléchissant, se point de vue de la situation me faisait penser au chapitre 4 de l’un de nos bouquins d’histoire à la maison. Ce chapitre décrivait à l’aide d’article et de témoignages ainsi que d’autres documents, la Seconde Guerre Mondiale, particulièrement, l’Allemagne nazie, conduit par leur chef et « sauveur », Hitler qui avait pour objectif de supprimer les « races inférieurs » et de repeupler le monde avec un certain type d’humain, les aryens, fort, beau, puissant, guerrier, intelligent mais obéissant.

Autant dire qu’aujourd’hui nous étions en plein dedans à la différence près qu’Hitler était responsable de la mort de toutes ces « races inférieurs », qu’il avait échoué et c’était suicidé.

Ici, nos dirigeants n’étaient pas responsables – enfin pas directement – de la future mort des dizaines de milliards d’habitants, ils étaient plutôt considérés comme les sauveurs de la race humaine, ils n’échoueront pas, ils avaient tout organisé pour.

Et puis ils finiront par mourir, oui, mais par mourir de vieillesse, sous terre, pas d’asphyxie à la surface comme le reste de l’espèce humaine. Maintenant que j’avais déduis ça, il m’était impossible de voir la situation sous un autre angle. Cela rendant nos perspectives de futur encore plus sombre qu’avant.

Le voyage fut éprouvant. Clio et moi mangions nos gâteaux discrètement pour ne pas se les faire voler. Nous étions chanceux car nous ne sommes pas tombés malade durant le voyage, alors que d’autres, surement déjà mal en point avant leur arrivé sur le bateau, se couchaient une nuit pour ne jamais se réveiller le lendemain matin.

Dans ces cas-là, on jetait le corps par-dessus bord, les personnes qui connaissaient la victime prononçaient quelques mots puis tout le monde profitait de cette espace supplémentaire laissé par le défunt.

Certains morts avaient des valises, et en général les proches faisaient le tri dans cette valise, ce qui les intéressaient ou pas, et ils laissaient le reste pour les autres passagers, qui tels des vautours affamés se jetais sur les biens du défunt sans aucune pensée supplémentaire pour lui ou ses proches.

Au départ nous étions environ 150, à la fin du voyage nous n’étions plus qu’une petite centaine.

Nous venions d’arriver, on avait accosté, les pieds posés sur le sol d’une des Cinq Puissances, nos épreuves ne faisaient que commencer.

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