Une bonne leçon

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Ma tante a la détestable habitude de s’inviter pour les repas. C’est une manie que chacune de ses connaissances a subi au fil des années. Je me souviens de la fois où nous lui avons cassé cette routine.

La tante Rachel, l’oncle Guillaume et les jumeaux Benjamin et Benoît sont arrivés à brûle pourpoint alors que nous allions passer à table. Sans vouloir manquer de politesse et foin de la difficulté de nourrir quatre personnes supplémentaires, nous les avons invités à partager notre repas.

En augmentant la soupe de croûtons et de restants de pâtés, ma mère a présenté l’entrée avec un sourire plein d’entrain. C’était sans compter l’intolérance alimentaire (et sociale très certainement) de sa sœur qui a déclaré qu’il lui était impossible d’avaler des cretonnades pareilles et que les jumeaux détestaient tout ce qui était aliment industriel. Son mari, compassé et bedonnant, déjà en train de tartiner son pain et de faire des bruits indésirables en avalant le potage littéralement noyé de poivre, ne pipait pas mot. Après avoir consommé le bouillon et écarté délibérément les morceaux de viande (il faut comprendre, chérie, je ne veux pas manger trop ce matière animale), elle s’est mise à raconter la dernière excursion des enfants, énumérant tous les coûts investis pour une journée de plein air, depuis le sac à dos de marque jusqu’au chapeau certifié pour la protection solaire et le sifflet anti-ours. Personne n’a osé lui expliquer qu’il n’y avait pas de fauves dans le parc puisqu’il est planté au beau milieu de la ville depuis 150 ans. Les animaux les plus sanguinaires sont probablement la demi-douzaine de chevreuils nourris par les agents de la faune.

Le plat principal prévu était du spaghetti. Le surplus de pâtes a nécessité 10 minutes (ni vu, ni connu) alors que la sauce a impliqué l’ouverture d’une conserve de tomate et deux boulettes à hamburger un peu sèches que nous aurions refilées au chien dans l’après-midi. Rachel a mis des bavettes à ses trois amours pour éviter les taches avant de se plaindre que sa plus jolie blouse était en danger. Mon père lui a tendu une serviette supplémentaire, qu’elle a posé… sur ses genoux, tout en continuant à argumenter sur les risques qu’avaient couru ses pauvres bébés dans la nature! Elle jacassait sans cesse, déplaçant seulement les nouilles d’un côté à l’autre. L’aspect de la sauce ne l’inspirait pas et on était un peu loin du al dente habituel. Soudain, après une bouchée, elle s’est tut et ses yeux se sont arrondis. Son teint est devenu très rouge, puis mauve. Les couinements sont devenus des grognements! Elle s’étouffait devant nos yeux!

Mon père a bondi de sa chaise, a obligé Rachel à se mettre debout et lui a enfoncé le poing fermé dans le ventre en faisant un mouvement vers le haut, comme la manœuvre de Heimlich le prescrit. Une fois, deux. Puis, avec un pop sonore, un morceau de bœuf a jailli comme l’éclair pour rouler sur toute la table jusque dans mon dîner. Au milieu des pleurs et des cris des enfants, ma tante vociférait, mon oncle poursuivait sa lente alimentation poivrée et mes cousins se chamaillaient joyeusement. Ma mère a attendu un moment avant de dire calmement qu’il était sans doute préférable de ne pas songer au dessert après un pareil choc.

Rassemblant sa marmaille et son glouton géant silencieux, Rachel est partie en fanfare, grommelant des insultes à l’égard des carnivores et des industriels. Nul ne doutait qu’elle ne se représenterait pas sans invitation dans notre maison!

Le clou final était le dessert. Une fabuleuse concoction, juste suffisante pour notre petite famille, qui mélangeait le chocolat, le caramel salé et de la crème fouettée. Mes parents ont échangé un clin-d’œil et je compris que toute l’histoire était probablement prévue de longue date avec cette partie un peu particulière de la famille. Plus tard, ma mère a expliqué qu’il y avait suffisamment de quoi préparer des repas (et savoureux!) de dernière minute, mais qu’il était temps de donner une leçon de savoir-vivre à sa sœur!

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