29.

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Nikita et Gabriel ont grandi et savent désormais parfaitement maîtriser leur métamorphose. Leur forme lupine reflètent bien leur complémentarité : le premier loup est noir avec les oreilles rousses, le second est roux avec le bout de la queue noire. Sans Gabriel, Nikita se sent nerveux. Sans Nikita, Gabriel est perdu dans ses pensées au point d’en ignorer le monde qui l’entoure. Leur parrain les couve d’un œil bleu acier empli d’une affection non feinte. Il repense à leur mère et à son sourire en posant le gâteau au chocolat sur la table de vichy jaune, seule rescapée de l’incendie.

***

Prêt à s'élancer à la poursuite son parrain, Nikita entama sa transformation, la main de son frère toujours dans la sienne. Il s'arrêta net quand la voix de celui-ci résonna dans sa tête, enfantine, faible et tremblante.

« Non, Nikita, tu ne peux pas y aller seul... Attends. S'il te plaît... Je ne veux pas te perdre et je ne peux pas te protéger dans mon état... Reste, calme toi. »

Ces paroles apaisèrent instantanement l'adolescent comme de l'eau jetée sur le feu de sa rage. Il s'impregna d'elles, les sentant couler en lui et imbiber chacune de ses terminaisons nerveuses. Il laissa le pouvoir d'oméga de son frère entrer dans son esprit et plongea dans un état de quiétude qu'il ne pensait plus pouvoir un jour ressentir.

« Gab... Il le faut... Laisse moi partir... C'est moi qui te protège, rappelle toi...

- Non. On doit d'abord aider ces gens. Avec eux, on a déjà plus de chance de s'en sortir. Tu as vu de quoi il est capable ? Il est fou Nikita et vu ce qu'il nous a fait, imagine ce qu'il ...

- Chuut... Oublie. Viens. »

Nikita serra son frère dans une étreinte protectrice. Ainsi enlacés ils semblaient ne former qu'un seul être.

Gênée par ce moment de tendresse fraternelle auxquel elle ne pouvait participer, Aurore s'approcha de l'animal au plumage gris sale. Il l'intriguait et elle observa la bête immobile sans oser caresser son museau malgré la tentation d'en sentir la douceur sous ses doigts. C'était un magnifique loup, mi-poils mi-plumes, dont la robe devait être d'une blancheur immaculée une fois propre. Le loup papillona des cils et planta son regard vert d'eau dans ceux chocolat de la jeune fille. Aurore sentit un picotement dans son coeur, et quand elle ferma les yeux, elle vit trois rubans dorés se tresser en direction d'un halo lumineux. Elle suivit le lien et arriva près d'une jeune fille aux cheveux noirs coupés courts. Elle était tout en muscles, les abdos parfaitement dessinés, les cuisses fuselées. Lorsqu'elle releva son visage vers Aurore, celle-ci fut instantanement séduite par les lèvres boudeuses et son regard doux.

Non sei un mostro, ma gioia. Quelle voix... Aurore se laissa bercée, sans en comprendre le sens. Sei bellissima, amore. C'était si agréable, comme une caresse. Devi essere forte, amarti e perdonarti. Aurore avait envie d'y croire. Non sei un mostro, ma gioia. Aurore approcha sa main de celle tendue par Mattia, désireuse de sentir la douceur de sa peau satinée sur la sienne. Lorsque leurs doigts se rencontrèrent, un flash ramena Aurore à la réalité. Le loup blanc était toujours immobile, mais sa respiration était désormais calme et régulière.

Aurore délaissa l'étrange animal et reporta son attention sur les deux autres, encore inconscients. Un loup écaillé ouvrit les yeux lorsqu'elle fut assez proche. Bloqués à se fixer du regard, l'hybride baissa finalement la tête, autorisant la jeune fille à poser sa paume sur la peau reptilienne. Ce contact électrifia Aurore et elle vit de nouveau les rubans, à la différence que ceux-ci étaient d'un bleu roi. Une fois rassurée sur l'état de l'animal, elle rejoignit le dernier, recroquevillé dans un coin de la pièce. Un phénomène totalement incroyable faisait disparaissaitre la bête à intervalles saccadés, cette invisibilité fréquentielle donnant la sensation que le fauve n'était qu'un mirage. Aurore ne s'étonnait plus de l'incongruité de la situation et accroupie aux côtés du petit loup vert, elle en détailla le pelage qui avait du mal à couvrir les côtes, la silhouette devenue famélique par des semaines de diète. Les os saillaient sous une musculature peu développée et des cicatrices étaient visibles ça et là sur les pattes. L'animal couina et tenta vainement d'échapper à cette main étrangère dans sa fourrure. Là, là, calme. Je ne vais pas te faire du mal, petit loup. Qui t'a fait ça ? Aurore passa le doigt sur une cicatrice circulaire au niveau de la cuisse et le fauve couina de plus belle. Entre bras-cassés la moindre des choses c'est de s'entraider non ? Ne t'inquiète pas, on est là maintenant, Lou. La jeune fille avait mentalement prononcé le prénom comme une évidence, faisant réagir la bête qui sembla se détendre. Les rubans réapparurent à l'esprit d'Aurore, plus fins que les précédents.

La jeune fille se leva et rejoignit les deux frères. Elle ferma ses paupières lourdes et constata qu'elles étaient désormais tapissées de bleu et doré dans une passementrie maladroite. J'ai l'impression qu'il manque quelque chose... Lorsqu'elle rouvrit les yeux, elle se trouvait à côté du cadavre de Luciole, à deux pas des jumeaux. Quand ceux-ci remarquèrent sa présence, de nouveaux rubans flottèrent en filigrane de la vision d'Aurore. Pris séparement, ils étaient ternes mais ils formèrent par la suite une tresse bicolore et complexe, complétant la fresque des autres liens comme s'ils ne manquaient qu'eux. Sans comprendre l'origine de ce sentiment, Aurore ressentit un intense soulagement de voir ce tressage désormais terminé, avant de se rappeler de la précarité de leur situation.

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