14.

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L’homme est assis sur son lit d’hôpital. Les murs blancs sont aveuglants sous le soleil qui brille par l’unique fenêtre. Ses blessures sont pansées, il est en voie de guérison. Il aurait pu mourir cette nuit-là. Il aurait dû mourir cette nuit-là. « Marko ? Je peux rentrer ? »

L’homme se retourne et pose ses yeux noirs sans vie sur son visiteur. Haine. Dégout. Tristesse.

« Elle est morte et c'est de ta faute. »

***

Cela faisait trois jours qu'Aurore avait repris connaissance dans la forêt. Elle avait reconnu imédiatement la clairière, la souche, les arbres. Elle avait été parcourue d'un frisson, sa nudité ne l'ayant pas étonnée. Elle avait marché en direction de la route, longtemps. Ainsi exposée, elle s'était senti vulnérable, fragile, mais elle n'avait pas eu le choix. Elle avait continué son chemin jusqu'à atteindre la bâtisse en ruine, guidée par ses derniers souvenirs. Une fois à l'intérieur elle s'était emparée du sac de toile posé dans un coin et y avait trouvé des habits chauds. Elle s'était vêtue, embrassant la pièce sombre d'un regard circulaire méfiant. Les débris de chaîne, le sang, les morceaux de béton arrachés au sol, tout cela attestait d'une grande violence. La peur lui noua le ventre et elle appela ses parents. La sonnerie continua, sans que personne ne décroche. Aurore raccrocha, sous le choc un mauvais présentiment aux creux de ses entrailles. Attends... Où est la camera?

Désormais dans sa chambre, les restes de l'appareil gisaient sur son bureau. Aurore revisionna la vidéo pour la troisième fois. Elle y voyait une femme, agenouillée sur le sol, certaines parties de son corps devenues animales. La pénombre empêchait de voir clairement son visage mais Aurore était certaine que si ça avait été le cas, il lui aurait été familier. Elle vit alors la nuque de la jeune fille se briser d'un coup sec, juste après que sa main ait refermé le cadenas. Un frisson de dégoût parcourut l'échine d'Aurore à la vision de ce cou, plié dans un angle improbable. Même en image, elle pouvait presque en ressentir la douleur. La partie la plus effrayante de la vidéo commençait. La fille qui aurait dû être morte, se cabra. Même sans le son, il était facile d'imaginer le bruit de ses os qui se brisaient les uns après les autres. Puis, la cage thoracique de la pauvre femme s'ouvrit en deux, dans un déchirement de muscles qui se resoudèrent instantanement dans une autre configuration. Ils avaient triplé de volume et le corps velu n'avait plus rien d'humain. Les seuls endroits où la métamorphose peinait à se finaliser était ceux en contact avec les menottes. Malgré la piètre qualité de l'enregistrement, Aurore y distingait clairement une lueur, comme si les liens étaient chauffés à blanc. Pourtant, ce n'étaient pas les menottes, c'était la peau en dessous qui brûlait au contact du métal.

Aurore mis la lecture en pause et frotta les cicatrices sur ses poignets. Son esprit avait refusé de le croire mais elle ne pouvait nier l'évidence. C'est moi... L'horreur lui broya les tripes. Certes, elle avait accepté d'être une louve-garou, mais être témoin de sa propre transformation lui retournait l'estomac. Elle se demanda même si son esprit ne faisait pas exprès d'oublier, pour la protéger de l'atrocité du phénomène. Elle appuya sur la barre espace et le clip reprit. Sous ses yeux ébahis, la colonne vertébrale de l'animal se repositionna dans une lenteur insoutenable, vertèbres après vertèbres, offrant à la camera une vue stupéfiante de son museau lupin aux babines retroussées. La bête, rendue folle par la morsure brûlante de ses liens, croqua d'un coup de mâchoire l'une de ses pattes, sectionnant le membre qui roula sur le sol dans une gerbe de sang. La deuxième subit le même sort et le fauve resta un moment allongé, animé par des soubresauts aléatoires.

Aurore toucha une fois de plus ses mains, les caressant d'un regard plein de culpabilité. Comment est-ce possible... La suite de la vidéo montrait le fauve, encore prisonnier de son collier, cesser de bouger. Il resta ainsi quelques secondes, de longues minutes, une éternité. Aurore patienta, sachant que la bête serait de nouveau sur pattes d'un moment à l'autre. En effet, après une heure d'enregistrement passée en accéléré, l'animal se releva, ses deux pattes avant d'un noir de jais posées sur le sol. La trace de brûlure était toujours visible, mais les membres avaient tout simplement repoussés... Le fauve s'ébroua, brisant le collier et la chaîne de métal avec une facilité déconcertante et s'approcha de la camera, intrigué. La lumière de la lune le frappa de plein fouet et l'animal devint incontrôlable. Il recula d'un bond et envoya valdinguer la camera d'un coup de patte. L'image s'arrêta net.

Devant l'écran noir, Aurore fit le tri dans ses pensées. Dans la maison abandonnée, elle avait trouvé les débris inutilisables de la camera, la carte mémoire quant à elle, était intacte. A cet instant, elle ne connaissait pas le contenu du petit objet. Désormais, c'était chose faite. Elle éteignit son ordinateur et vérifia si la voiture de ses parents n'était pas dans l'allée. Toujours rien... Mais où pouvait-ils donc être ? Elle entendit le moteur avant de voir les phares illuminer le jardin. Son soulagement fut tel qu'elle hésita à descendre les marches quatre à quatre pour les serrer dans ses bras. Elle n'en fit rien, pour ne pas les inquiéter.

Elle dormit d'un sommeil agité, hanté par ces rêves-cauchemars-souvenirs dont elle ne savait pas dissocier le réel de l'imaginaire.


Faim. Chasse.

La chair chaude du rongeur fondait sous la langue. Le fauve blond-roux se léchait les babines, encore affamé. Un bruit le fit alors sursauter.

« Tâche, c'est toi mon grand ? »

L'animal se tapit sur le sol humide. Il observait la femme aux cheveux courts avec convoitise. Il approcha son museau hors du buisson, silencieux. Ses yeux chocolat rencontrèrent ceux de la femme à la peau caramel. Leurs regards restèrent un moment figés l'un dans l'autre.

« Sylvia, mais qu'est-ce que tu fais... Viens te coucher mon coeur, il est tard...»

Le fauve regarda la femme hésiter un instant, sourire puis refermer la fenêtre. Une autre fois peut-être. Et son estomac gargouilla, comme pour signifier son accord.

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