1.

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Les cris atroces déchirent le silence de la nuit, couvrant difficilement le crépitement des flammes qui résonne en continu. L’incendie illumine l’espace par saccades, au rythme des explosions qui détruisent la maison. Des éclats de verre volent, le bois des portes explose, tout n’est que feu, braises et destruction. Des langues oranges viennent noircir les pierres alors que des vagues de chaleur rendent l’air irrespirable. Une large colonne de fumée noire monte dans le ciel, masquant la lune, pourtant pleine.

« Maaaaaarkooo ! »

***

Le chant des oiseaux la réveilla avant que ne sonne son alarme. Le soleil laissait filtrer des rayons timides par son Velux, juste au-dessus de son lit, chauffant son deuxième oreiller. Les yeux encore gonflés de sommeil, Aurore s’extirpa du lit, non sans mal. Gribouille était lovée sur son pouf préféré et se mit à ronronner quand sa maîtresse vint lui gratouiller l’arrière de l’oreille gauche. Tâche grattait déjà à sa porte, réclamant sa promenade matinale. Aurore s’habilla tranquillement, attrapa la laisse et sortit de sa chambre. Un grand dalmatien vint lui tourner autour en guise de salut avant de courir en direction de l’escalier.

« Tâche, si tu veux aller faire un tour, laisse-moi te mettre ton harnais. Viens ! » Le chien trottina vers Aurore et se laissa équiper en remuant tout de même la queue frénétiquement : plus vite le harnais serait posé, plus vite il serait dehors à courir auprès de sa maîtresse ! Le ventre de la jeune fille gronda. Elle fit un crochet par la cuisine pour y attraper une pomme, saluant ses parents au passage. Ils lui répondirent d’une voix ensommeillée, Aurore était la seule matinale de la famille. Elle enfila sa veste en jean déchiré, ses baskets blanches et déverrouilla la porte d’entrée. Une tenue de sport habillait sa carrure athlétique mais son pantalon était désormais trop court pour son mètre quatre-vingt, offrant ses chevilles à la merci du vent. Tâche se rua à l’extérieur, impatient de savoir où sa maîtresse allait l’emmener aujourd’hui. Aurore opta pour le jardin botanique, car les statues de marbre blanc y étaient d’une beauté indéniable, surtout sous cette lumière matinale. En ce dimanche de début d'été, l’air gardait un fond de fraîcheur printanière et le parc n’était pas encore pris d’assaut par les citadins en manque de verdure. Parfait, Aurore aimait être seule. À part sa famille, Gribouille et Tâche, Aurore n’appréciait la compagnie de personne. Elle trouvait les gens inintéressants et préférait se réfugier dans les livres ou dans ses dessins. Elle avait d’ailleurs toujours un carnet et un fusain sur elle.

Après un bon quart d’heure de marche, le chien tirait impatiemment sur sa laisse. La jeune fille décida donc de s’assoir dans la pelouse près de l’eau, où flottaient paresseusement des nénuphars encore en boutons. Une fois libéré, Tâche s’amusa à courir après les écureuils la gueule ouverte, ses grandes oreilles bicolores battant comme des ailes à chacun de ses bonds.

Le carnet posé sur ses genoux repliés, Aurore cherchait quoi dessiner. Elle opta pour la barque amarrée au ponton de bois, sur la berge d’en face. Elle pris le fusain et commença, entrant dans un état second dans lequel ses sensations semblaient être décuplées. Elle observait la barque, mais son crayon peinait à transcrire tout ce qu’elle ressentait. Comment pouvait-elle illustrer l’odeur du bois humide de la coque, de la mousse qui la rongeait ainsi que celle de l’eau stagnante piégée sous les sièges ? Et le bruit du vent qui caressait la surface de l’eau ? Elle ressentait tout cela avec précision, mais son simple dessin était incapable de traduire la complexité des informations que récoltaient ses sens. Elle finit par poser le carnet pour s’allonger dans l’herbe, puis se laissa bercer par le vacarme silencieux de la faune minuscule : elle pouvait distinguer chaque créature par le bruit caractéristique que celle-ci produisait. Le sifflement presque inaudible des feuilles se frottant l’une contre l’autre était l’un de ses sons préférés, mais il fut perturbé par le bourdonnement assourdissant d’une abeille charpentière. Elle fixa les ailes membraneuses de l’hyménoptère, s’émerveillant de la multitude de reflets irisés qu’elle était capable de distinguer. Elle parvint même à différencier les nuances variées, allant du bleu outremer au violet profond, suivant comment le soleil frappait l’insecte de ses rayons. Elle se sentit soudain épuisée, comme si surexploiter ses sens l’avait complètement vidée de son énergie. Il était temps de rentrer. Sur le retour, elle se laissa tirer par un dalmatien fatigué, mais toujours suffisamment vif pour tendre la laisse à son maximum.

De retour chez elle, elle libéra Tâche et vint s’assoir sur le canapé auprès de sa mère. Sylvia était encore une belle femme malgré quelques rides aux coins des yeux. Sa peau couleur caramel avait eu le temps de bronzer depuis début juin, ce qui faisait ressortir ses yeux de biche d'un noir profond. Des cheveux crépus coupés à la garçonne encadraient son visage aux traits fins. Elle sourit à sa fille, étirant sa grande bouche aux lèvres charnues pour dévoiler une dentition d’un blanc éclatant. Les deux femmes ne pipèrent mots mais s’enlacèrent tendrement.

« Où est Papa ? demanda Aurore, la tête posée contre l’épaule de sa mère.

- Il est parti acheter du pain. Il devrait pas tarder. »

En effet, George Lenoir entra par la porte de derrière quelques minutes plus tard, des baguettes encore chaudes dans les bras. C’était un homme de taille moyenne, légèrement plus petit que sa femme. Il avait les yeux gris parsemés de paillettes orangées, portait une coupe en brosse poivre et sel, ainsi qu’une barbe fournie que Sylvia avait fini par apprécier, faute d’avoir réussi à lui faire raser. George se déchargea de son paquet avant de rejoindre les deux femmes dans le salon. Il vint s’assoir aux côtés de Sylvia, et Aurore ne put que constater une énième fois le contraste qu’offrait leur carnation respective. Malgré le temps passé à jardiner, George gardait son teint blanc, presque blafard alors que Sylvia ne cessait de foncer dès que le soleil pointait le bout de son nez. Bien qu’ils ne le lui aient jamais dit, Aurore savait depuis toujours qu’elle avait été adoptée. Elle n’avait ni les fascinant yeux gris de son père, ni les cheveux crépus de sa mère. Son visage était somme toute commun, son teint légèrement hâlé. Sa seule particularité était ses cheveux. Elle portait un carré plongeant au-dessus des épaules et les pointes de sa chevelure brune étaient blond-roux, comme décolorées, à l’exception de deux mèches noires encadrant son visage. Elle n’avait jamais eu recours à des décolorations capillaires et ce tie and dye naturel réapparaissait toujours, peu importe la coupe. Elle regarda ses yeux chocolat dans le miroir qui leur faisait face, en se disant qu’elle aurait évité bien des brimades sans ses singularités familiales et physiques.

« Demain c’est la fin de mes partiels et je pense que j’irai un peu nager au lac. Peut-être que je ferais du kayak aussi. »

Les deux parents s’échangèrent un regard attristé.

« Tu ne comptes pas faire un peu la fête avec tes copains, ma chérie ? demanda Sylvia.

- Tu sais, tu es majeure depuis quatre ans, pas la peine d’essayer de cacher à tes vieux parents que tu bois de l’alcool et que tu fumes de l’herbe ! tenta de blaguer George.

- Pff… Mais non, je vais vraiment au lac et je rentrerais pour le diner. Je suis bien toute seule et puis de toute façon, il n’y a personne d’intéressant dans ma promo… » répondit Aurore, ce qui eut pour effet de clore la discussion.

La journée du dimanche passa au ralenti et Aurore se coucha tard, s’endormant difficilement sous les rayons éblouissant de la lune.

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