Si Vis Pacem, Para Bellum

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Les mains posées sur le pupitre, le regard embrassant la foule en liesse qui s'était amassée sur la grande place de la capitale, il put enfin savourer son triomphe.

La campagne avait été harassante, ses adversaires coriaces. De nombreux candidats étaient tombés sur le bord du chemin, épuisés par le rythme des débats, par la trahison de leurs soutiens ou par des scandales dévoilés par la presse au moment le plus inopportun. Ou à point nommé, tout dépendait si vous étiez la marionnette ou le marionnettiste.

Le mandat avait été pire encore. Le pays était exsangue. L'économie n'était plus qu'un champ de ruines, prise sous le feu croisé du capitalisme débridé et du syndicalisme suicidaire. La contestation était partout : dans les mouvements politiques, dans les entreprises, dans les foyers. Il y avait, dans ce pays, autant d'opinions divergentes et de point de vue irréconciliables qu'il y avait d'habitants.

Il s'approcha du micro avec cérémonie, du haut du balcon du Palais Présidentiel. Il chercha ses plus proches conseillers du regard avant de prendre la parole.

Ses premiers mois au pouvoir avaient été agités. Loin d'apaiser les tensions, ses services de renseignement et d'information excitèrent la population, montant les fonctionnaires contre les chômeurs, les retraités contre les jeunes actifs et les immigrés contre tout le monde. Les régions luttaient entre elles dans une compétition acharnée pour récupérer le peu d'activité économique qu'il restait.

Lorsque les premiers accès de violence urbaine firent la une des journaux, il décida de canaliser toute cette énergie destructrice vers une cible toute désignée, un réflexe vieux de deux millénaires : la nation voisine. Ces étrangers, ces voleurs d'emploi, ces compétiteurs déloyaux, ces envahisseurs en puissance, ces brutes sanguinaires aux mœurs douteuses contre lesquels il fallait se défendre. Leur Chancelier, ce démagogue va-t-en-guerre, déversait son discours haineux dans la presse. Peut-être valait-il mieux les attaquer avant qu'eux ne le fassent, car eux n'allaient pas hésiter à passer à l'offensive. Tous les rapports l'indiquaient. C'était un fait. Tous les journaux s'en faisaient l'écho.

Il avait été élu sur un programme à peine plus long qu'un slogan. Son objectif : rendre à ce pays la place qui a été la sienne pendant plusieurs siècles avant que deux grandes guerres ne viennent le mettre à genou. Sa principale mesure pour l'atteindre : une troisième guerre.

Résolue à défendre la patrie, la population avait accepté sans peine les taxes et impôts exceptionnels. La conscription avaient été rétablie, le Service National fut obligatoire pour tout citoyen majeur. Une souscription populaire avait même été lancée pour permettre à tous de financer volontairement les forces armées, pour que les pères et mères, frères et sœurs, cousins et cousines soient dotées des meilleurs équipements. Le résultat avait dépassé toutes ses espérances. Les coffres débordaient de toute l'épargne et de tous les revenus de ses concitoyens.

De l'autre côté de la frontière, le Chancelier avait fait de même. Deux nations se dressaient désormais l'une contre l'autre. L'affrontement était devenu inévitable. 

Et c'était une déclaration de guerre que toute cette foule attendait avec passion en contrebas. Le Président fit un signe de la main et la foule se tût.

« Mes chers compatriotes, nous avons parcouru un long chemin ensemble. Chaque pas nous a coûté. Mais nous n'avons cessé d'avancer. Devant nous se dresse maintenant un mur. Un mur qu'il va falloir abattre de toutes nos forces. »

L'image était explicite. Des hourras et des cris s'envolèrent sur les toits de la capitale.

« La nation a besoin de vous, et vous avez répondu à son appel. Avec courage. Avec enthousiasme. Avec générosité. Il n'est pas un seul citoyen qui ne soit prêt à se sacrifier pour le pays, pas une seule pièce de monnaie qui n'ait été versée pour l'effort national. Regardez autour de vous. Chacun d'entre vous est là pour les autres. C'est notre première victoire, et ce ne sera pas la dernière ! »

Il fit une pause. Sa main commençait à trembler.

« Nous allons au devant de grands troubles mais vous saurez renverser toutes les montagnes qui se dresseront devant vous. Si vous restez unis. Si vous restez ensemble. Si vous n'oubliez jamais ce pour quoi vous vivez. Ce n'est pas la guerre, ce n'est pas l'argent. Si nous faisons tout cela, c'est pour vivre enfin, et permettre à nos enfants de vivre aussi. »

Il ne put s'empêcher de transpirer et il croisa le regard d'un de ses conseillers qui hocha lentement la tête, une tristesse infinie dans les yeux. Il inspira un grand coup.

« Et c'est pourquoi, je déclare la guer... »

Son dernier mot se perdit dans les échos de la déflagration d'un tir de fusil à haute précision. Le Président s'écroula, une balle logée entre les deux yeux.

Au même moment, de l'autre côté de la frontière, alors que le Chancelier tenait un discours similaire, une bombe explosa et mit un point final et définitif à son mandat.

Rapidement, les forces d'opposition démocratique revinrent au pouvoir. Les exactions de leurs prédécesseurs furent dénoncées, la propagande mensongère fut exposée au grand jour, on abattit toutes les statues, brûla tous les livres figurant ces deux dictateurs. Des sommets politiques, des échanges économiques et scolaires furent organisés pour réconcilier des gens qui, finalement, ne s'étaient jamais opposés autrement que dans les discours de leurs dirigeants.

Les deux pays signèrent bientôt un accord de paix, un traité économique et une union politique que dirigea un Premier Ministre.

Les populations mobilisées et organisées pour la guerre construisirent usines, habitations et infrastructures. Les fonds amassés par les taxes, impôts et souscriptions furent utilisés pour financer les écoles, la recherche et la culture. 

Sur les futures ruines d'une guerre qui n'aura jamais eu lieu, ils bâtirent les fondations d'une société prospère et tolérante. 

Cette guerre n'avait fait que deux morts. Leur tombe sommaire n'était fleurie qu'une fois par an, en cachette, par le Premier Ministre. Il était le seul survivant d'un trio d'idéaliste qui, vingt ans plus tôt, avait eu une idée folle : Si Vis Pacem, Para Bellum.

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