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La jeune femme ne trouve pas le sommeil, elle tourne, se retourne, gesticule, s’entortille, mais ses paupières restent désespérément grandes ouvertes. Craignant de réveiller Lucas, assoupi dans une chambre voisine, elle finit par sortir marcher en pleine nuit, munie d’une lampe torche. Elle tente vainement de percer les mystères des choix de vies de la vieille femme. Car Thérèse a vraisemblablement effectué plusieurs choix cruciaux, rencontré plusieurs carrefours, bifurqué. Ada se dirige intuitivement vers la forêt qu’elle connaît comme sa poche, désormais. Elle laisse ses pas la guider dans la moiteur de l’obscurité, divaguer dans les méandres de ces sentiers enchevêtrés. Elle erre ainsi un long moment, peut-être une heure, à ressasser les hypothèses, construire des raisonnements, rationaliser ses doutes, énumérer les faits…

Soudain, les cris répétés d’un renard résonnent au loin, et la sortent de ses élucubrations mentales. Des frissons parcourent son corps. L’adolescente, désorientée, en perte de repères, cherche un point fixe, et s’aiguille finalement grâce au croissant de lune, puis retrouve une clairière familière et retourne au gîte d’un pas plus serein.

Sur ce constat, elle se demande si simplement, Thérèse n’a pas écouté cette petite voix au fond d’elle, cette intuition propre à chacun, inexplicable, qui conduit à retrouver son chemin lorsque l’on s’est égaré. Peut-être est-ce finalement plus simple qu’on ne le croit ?


Le lendemain, Lucas frappe à sa porte et vient la réveiller d’un baiser. Il l’embrasse affectueusement puis ses mains cherchent la chaleur du corps d’Ada et deviennent plus aventureuses. La jeune femme abrège le baiser et se dégage gentiment de ces lianes intrusives. Il se couche à ses côtés :

  • Qu’est-ce qu’il y a ? J’ai fait quelque chose ?
  • Non ce n’est rien. Tu sais, il faudra du temps pour briser ma carapace...
  • Ton armure oui !

Elle tourne la tête et lui sourit. Elle repose la joue au creux de son épaule et profite de ce doux moment d’intimité. Oui, avec lui, elle suppose que c’est possible.

L’été se poursuit, ainsi, dans ce cocon d’humour et de tendresse, où Ada enchaîne ses activités désormais coutumières. Elle continue d’observer les pèlerins, d’oser de bonnes répliques pour soulager leurs peines, les décharger de leurs poids, les autoriser à ouvrir leur cœur. Ces marcheurs écorchés lui renvoient parfois sa propre image, la console de ses déroutes, lui montre un autre Chemin. Venant des quatre coins du globe, ils la font voyager aussi, relativiser, malgré l’isolement de ce village rural. Thérèse avait construit son coin de paradis, en paix, loin de la marche du monde, et Ada plonge dans cet univers avec délice, se réjouit de ces moments simples et censés.

De plus, ses sentiments pour Lucas s’amplifient. Le jeune homme, présent au quotidien, la retient ancrée, dans cette routine d’actions concrètes et d’échanges. Leurs corps se délient, se délectent, se complètent. Ils s’initient l’un l’autre au plaisir de la chair. Ils se découvrent, se façonnent, s’inventent en tant que couple, avec l’insouciance de leurs jeunes années.


Tout aurait pu durer ainsi, des mois, même des années, à s’oublier dans cette bulle protégée, mais un matin, alors qu’elle étend le linge dehors, Ada reçoit l’appel de son père. Un appel qui la rappelle à la raison :

  • C’est demain.
  • C’est demain, quoi ?
  • L’ouverture des inscriptions à la fac de psycho, c’est bien ça que tu voulais, non ?
  • Oui… dit-elle évasive.
  • Tu ne vas pas encore changer d’avis ?!
  • Non… Enfin je ne sais pas, tu sais, je suis bien ici.
  • Pour combien de temps ? Quand tu te réveilleras dans dix ans, avec deux mouflets dans les pattes et aucun vrai diplôme en poche, quelle indépendance tu auras ? Hein ? Tu y as pensé ?
  • Hmm...
  • Ne gâche pas ta vie, tu es jeune !

Silence. Il reprend :

  • Si tu ne veux plus étudier à Paris, je te paye un appartement à Clermont-Ferrand ? Ou ailleurs. Tu choisis le lieu, mais par pitié, prend la bonne décision. Tu es encore mineure, tu sais. Écoute-moi, c’est pour ton bien.
  • Je sais Papa, je sais. Je dois y aller, là, je te rappelle.
  • C’est demain ! N’oublie pas !

Elle raccroche, repose la bassine de linge et se dirige vers le cimetière.

Sur le parcours, elle cueille des fleurs sauvages, ça et là, compose un bouquet éclatant et vient le déposer sur la tombe de Thérèse. Devant le marbre noir, sous une chaleur écrasante, elle se recueille longuement.

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