Stupéfaction

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Elle trouve l’ouverture dans le plafond du couloir. Sachant Lucas parti prévenir son père, elle s’aventure, à l’aide de l’escabeau, dans la pièce sombre et poussiéreuse. Une myriade de grains lumineux vacillent dans les rayons projetés par la petite fenêtre de toit. Elle admire, béate, l’ancienne charpente en bois, imposante, offrant mille recoins aux araignées, chauve-souris et autres mulots. Les combles sont accessibles et dégagés. L’isolation est à refaire, certes, mais le tout semble encore sain. Stable et solide comme au premier jour. Le passé y côtoie le présent, dans une promesse d’avenir réjouissant.

Son œil est attiré par les deux gros cartons, empilés dans un coin, sous la mansarde, unique mémoire d’un ancien passage humain.

Elle s’assied sur les lattes du plancher et entrouvre le premier :

Une valise remplie d’habits, à la mode d’une époque révolue, flonflon, dentelle et velours. Elle les sort un à un, en le repliant soigneusement, tout en imaginant mal Thérèse avec de telles toilettes raffinées. Au fond, quelques photographies écornées : un couple avec deux enfants y posent, dans une belle maison de style anglais. La femme semble avoir une vingtaine d’années à peine. Elle reconnaît les yeux espiègles de Thérèse. Un ticket de concert classique, une bouteille remplie de sable blond, une lettre d’amour, simple, où un homme la demande en mariage, un diplôme d’infirmière. Elle regarde à nouveau la photographie, se demande si les deux enfants en culottes courtes sont bien Florence et Henri. On le dirait bien, mais l’indication au dos la surprend : 1961, Hastings.

Thérèse aurait-elle vécu en Angleterre ? Elle semblait pourtant si ancrée dans ce territoire. Ada est chamboulée par cette découverte, d’une Thérèse voyageuse. Ce bout de vie semble si classique, un peu guindé, mais exprimant quand même la trace d’un bonheur familial, du moins en apparence.

Elle ouvre à la hâte le deuxième carton :

Un sari magenta, des colliers de fleurs, une exposition de couleurs. Parmi les étoffes, une boîte aux décors alambiqués renfermant une bague de fiançailles exubérante, un cliché de Thérèse un peu plus âgée à dos d’éléphant, un autre où elle semble en couple avec un indien et une ribambelle d’enfants paradant autour. Une école peut-être ? Un orphelinat ?

Une cérémonie avec moult pétales autour d’elle.

Enfoui au fond du carton, une nouvelle lettre avec un timbre effectivement venu de France mais envoyé en Inde. Ada ouvre l’enveloppe, impatiente, manquant d’émietter la pensée sauvage, séchée à l’intérieur :

Chère Thérèse, ma tendre fleur sauvage,

Nous nous connaissons depuis notre enfance, et tu le sais, je t’aime depuis le premier jour et ne cesserais jamais de t’aimer. Ton absence m’a longtemps pesé, malgré nos échanges ponctuels mais réguliers. Si je t’écris aujourd’hui, c’est que je viens d’apprendre que je suis malade. Incurable. Ton sourire me manque et j’aimerais le contempler une dernière fois, avant ma fin, même si je doute que tu quittes ta vie pour un vieillard gâteux.

Les chemins nous ont séparés : toi en Angleterre, puis en Inde, baroudeuse dans l’âme, avide de liberté ; moi, ici, en Lozère, où j’admire les étendues sauvages à perte de vue, avec mon sempiternel besoin de solitude. Tu le sais, j’ai fini par ne plus t’attendre et ma femme m’a apporté bonheur et enfant, avant de disparaître.

Aujourd’hui, nous vivons à trois, à la ferme. Mon fils a fréquenté une femme l’an dernier, une marcheuse du Chemin de Saint-Jacques, et elle s’est finalement enfuie, en lui laissant un nourrisson sur les bras. Cet enfant, Lucas, est solaire. Il emplit mes vieux jours d’une note mêlant spontanéité et joie, comme je n’en n’avais plus connue depuis toi. Je te demande à genoux, de nous rejoindre ici, non plus pour moi, mais pour lui. Mon fils est bien incapable de l’élever seul, je dois me résoudre à cette évidence. J’ai failli dans mon rôle de père en cela. Aussi c’est auprès de ma plus tendre amie que je me tourne, la seule capable de comprendre mes dernières volontés. Pour aider ce bel enfant à s’épanouir. Si tu ne le fais pas pour moi, fais-le pour ta promesse, à nos dix ans gravée sur cet arbre de Plouescat. Fais-le pour ces promesses d’enfants, qui me retiennent d’exhaler mon dernier souffle.

Tendrement

René

Le puzzle s’assemble sur le retour de Thérèse dans ce village d’Aubrac, ainsi que sur l’absence de mère dans le foyer de Lucas. Ada, médusée, découvre la vie morcelée d’une Thérèse qu’elle n’imaginait pas, qu’elle ne connaissait pas. Une femme capable d’abandonner ses enfants pour une aventure, pour finalement revenir en France à la demande d’un amour d’enfance…

Déboussolée ce soir-là par ces rebondissements, c’est seule qu’Ada préfère passer la soirée et sa nuit d’insomnie. Lucas, compréhensif, croyant sa nouvelle chérie chamboulée par la lecture du testament, la laisse regagner sa chambre en solitaire.

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