Déclic

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Une nouvelle routine s’installe. Comme chaque soir depuis une semaine Ada et Thérèse sont attablées pour leur partie de Yam’s, un jeu de dés très simple dont raffole la vieille dame. L’adolescente se plie à ce rituel car il lui permet de se divertir, palliant ainsi l’absence de télévision et des jeux vidéos.

  • Allez c’est ton tour, voyons voir si tu peux me rattraper, défie Thérèse d’un ton enjoué.
  • De toute façon, je sais ce qui va se passer, si je gagne tu ne voudras plus jouer, et si je perds, tu vas me vanner jusqu’à demain soir.
  • Hé hé, c’est le jeu.
  • Tu es vraiment une mauvaise perdante.
  • J’aime gagner, ce n’est pas une tare.
  • Aux dés, c’est le hasard qui décide. Tu devrais jouer aux cartes plutôt. Au poker par exemple.
  • On n’est pas dans une gargote ici.
  • Ou alors apprendre à perdre, la résilience est un signe de sagesse.
  • Tu te transformes en Bouddha maintenant ? Allez, joue au lieu de parler.

Ada lance les dés sur le tapis vert. Ils roulent, la tension est palpable dans les yeux de Thérèse. Une paire de six, elle relance, un brelan.

  • Alors t’es sûre que tu ne veux pas jouer à autre chose ?
  • Tsss, tsss, la chance du débutant, ça va te passer. Je vais me refaire tu vas voir !

Elle trempe les lèvres dans sa tisane et repousse d’un geste le chat qui s’invite sur la table. Elle attrape les cubes dans sa main ridée et souffle dessus comme pour leur jeter un sort. Ada sourit de voir la vieille passionnée par un simple jeu de dés, comme si sa vie en dépendait.

  • Tu as eu un autre malaise ce soir, je t’ai vue dans la cuisine.
  • Ne me déconcentre pas jeune fille.

Elle lance. Pas grand-chose. Un flop. Elle relance, rien à nouveau. Troisième essai, une paire de deux. Pas glorieux.

  • Tu sais Thérèse, il faudrait te faire voir par un médecin.
  • Mais qu’est-ce que tu me chantes là, occupe-toi d’abord de toi avant de penser aux autres.
  • Je te renvoie la remarque.
  • Et ta mère elle est où ? Pourquoi tu ne t’occupes pas d’elle plutôt ?

La bouche de l’adolescente se pince, piquée au vif. Elle rétorque :

  • Et tes enfants ? Ils sont où ? Pourquoi ils ne viennent plus te voir ? J’ai appris au village que tu étais veuve et en froid avec eux. Tu vois, je m’intègre vite.
  • Alors là, tu dépasses les bornes, insolente.

Contre toute attente, Thérèse s’emporte, envoie valser le gobelet et ses dés. Elle se lève fâchée et remonte dans ses appartements sans un mot pour la jeune fille.

Celle-ci reste pantoise devant cette dispute à laquelle elle ne s’attendait pas. Ada s’en veut de sa dernière remarque, sortie sous le coup de la colère lorsque sa mère est venue sur le tapis. Certaines de ses blessures ne sont pas encore cicatrisées.

Cependant la santé de la vieille propriétaire, têtue comme une mule, reste sa principale préoccupation.

Le lendemain matin, Ada se retrouve seule à servir le petit déjeuner aux randonneurs et encaisser les chèques du jour. La vieille dame encore boudeuse ne montre son nez qu’en milieu de matinée. Elle toque à la porte d’Ada :

  • Ada, je tiens à m’excuser pour hier soir.
  • Je suis désolée si je vous ai blessée Thérèse.
  • Tu m’as fait réfléchir et je dois t’avouer quelque chose : ma santé, c’est ma vie privée et personne jusqu’à ce jour n’est entré dans mon intimité autant que toi. Je sais depuis un moment que je suis malade du cœur, mais j’ai décidé de me soigner à ma façon. Je ne veux pas finir dans un hospice. J’ai décidé de finir ma vie ici, comme je l’entends. Alors c’est comme ça, c’est mon choix et on n’en parle plus.
  • Message compris. Merci pour votre confiance. Je n’en parlerai plus.

Thérèse se retourne et crie en descendant l’escalier : "Allez Oscar on y va, la forêt nous attend".

Ada sourit, touchée par la confidence de la vieille femme.

Finalement elle a visé juste. Pile poil sur le mystère de Thérèse. Peut-être a-t-elle un don pour voir ce qui cloche chez les autres ? Comme ses photos glauques prises à Paris, elle a toujours perçu avec perspicacité le détail, le symptôme des maux de la société. Et si maintenant que son regard s’ouvrait sur les autres, elle les aidait par la psychologie ? Si cela pouvait être son métier, sa voie?

Sur cette idée nouvelle, Ada se dit que le meilleur moyen de savoir, c’est d’essayer de s’exercer sur les randonneurs qui passent chaque soir. Sur ces âmes blessées qui se réfugient sur le chemin pour guérir leurs maux. Peut-être pourrait-elle les aider ?

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