Changement

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Le lendemain matin, sur le billot de cuisine, Ada dévore les restes de petit-déjeuner laissés là par les convives. Elle se dépêche d’engloutir tartines et jus d’orange avant que Thérèse ne la remarque. Cette dernière sifflote gaiement dans l’appentis, sorte de cabane de jardin attenante au gîte, se préparant pour sa balade matinale, sa cueillette champêtre.

Soudain, les pneus d’une grosse berline crissent dans le gravier. Des hurlements surgissent : « Ada ! Ada ! »

L’adolescente frémit, elle reconnaît la voix grave de son père.

La vieille femme, attirée par ce vacarme, se poste devant l’homme trapu, à l’allure d’un demi de mêlée :

― Bonjour Monsieur, qui cherchez-vous ? les randonneurs sont tous partis.

― Je cherche ma fille, Ada, elle a seize ans, une mèche bleue et un piercing. Au village on vient de me dire qu’elle traînait dans les parages.

― Ah… Vous êtes donc son père. Oui, elle est bien ici, venez à l’intérieur.

Entendant la réplique, la jeune rebelle s’avance sur le perron :

― Qu’est ce que tu fais ici ? Je t’ai prévenu hier. Je reste là.

Prenant Thérèse à partie, le père poursuit :

― Non mais vous entendez ça ! Elle n’a même pas son bac et elle croit déjà décider de sa vie.

― Je ne suis plus une gamine. Si c’est juste le bac qui te dérange, je le passerai en candidat libre cet été.

Le ton monte.

― Tu n’as pas d’argent. Et si je te coupe les vivres, comment tu vas faire ? Hein ?

― Je me débrouillerai.

Thérèse intervient, à la rescousse :

― Je peux peut-être la déclarer comme assistante à domicile pour six mois, la mairie a un dispositif d’aide aux personnes âgées rémunérées par le département. Mon affaire de gîte n’est pas très en règle, mais je connais très bien le maire et les gendarmes du coin, ils pourraient nous couvrir.

Ada apprécie ce lever de rideau sur la situation de la propriétaire, qui doit toucher sa pension de retraite en toute impunité. Le père hésite, sonné.

― Mais vous faites quoi ici ? Ce n’est pas une secte quand même ?

Thérèse éclate d’un rire franc et puissant :

― Non, rassurez-vous. Et puis, je ne la connais pas trop votre gamine, mais elle a du caractère, et ce n’est pas le genre à se laisser berner par des fanatiques. De toutes façons, si je ne m’abuse, les liens avec les autres, c’est pas trop son fort.

Le père esquisse un sourire devant cette plaisanterie. La tension se dénoue.

― Et pour la nourriture ?

― Si elle m’aide quatre heures par jour, je lui offre la pension complète.

L’homme se retourne alors vers sa fille :

― T’es sûre que c’est ce que tu veux ? Rester là ?

Ada, regarde ses pieds, puis Thérèse. Elle confirme d’un signe de tête affirmatif :

― Hmm.

Il s’approche, la serre fort dans ses bras, puis l’embrasse dans une étreinte touchante.

― Tu m’appelles quand tu veux, si ça ne va pas, d’accord ? Je suis désolé mais je dois rentrer sur Paris, j’ai un repas d’affaire ce soir. Tu sais, j’ai roulé toute la nuit pour te retrouver. Je suis content que tu ailles bien. Repose-toi et prend soin de toi fillette. Appelle-moi si tu changes d’avis, je serai toujours là en cas de besoin, d’accord ?

Après quelques échanges rassurants, il remonte dans sa voiture et repart dans une volée de graviers.

Thérèse, atterrée par cette scène surréaliste, s’avance vers Ada :

― Tu pourrais me remercier quand même?

― Merci, mais je ne serai pas votre esclave non plus. Quatre heures par jour, c’est tout.

― Du moment que tu arrêtes de piquer dans ma caisse, ça me va.

L’adolescente, aux joues pivoine, se rend compte que la vieille a remarqué ses vols, elle regrette son geste mais n’ose lui avouer, conservant un brin de fierté.

Thérèse reste muette puis reprend son panier et se penche vers le chat :

― Allez Oscar, on y va. Avec tout ça, on n’est pas en avance. Oust.

Ada remonte s’enfermer dans sa chambre fleurie. Devant le miroir de la salle de bain, elle enlève son tee-shirt, se fixe longuement, puis attrape la paire de ciseaux et se coupe les cheveux.

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