Train-train

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Elle broie du noir.

Tandis que le wagon bringuebale, charriant sa ribambelle de voyageurs à travers la plaine, Ada s'évade dans le paysage. Hypnotisée par le cahotement répétitif, son regard vogue entre la vitre embuée et les champs de maïs.

« Entrée en gare de Clermont-Ferrand. Quinze minutes d'arrêt. »

La jeune fille se rajuste sur le siège puis s’étire en baillant. Elle sort son portable de la besace en cuir posée contre sa cuisse. Pas de messages. 13h03. L’arrivée à Béziers, prévue dans la soirée, lui laisse encore un long trajet à supporter.

A vrai dire, retrouver sa frangine et ses bambins hurlants ne l'enchante guère. Pas plus que de croupir dans sa chambre au pensionnat. La peste ou le choléra ? Toujours ce même dilemme pour les vacances scolaires. Sa famille, éclatée aux quatre coins de France, son cœur en miettes entre des parents divorcés, et sa sœur si loin. Le lycée prestigieux à Paris, la scolarité censée la préparer aux concours d'élite, Ada s'en fiche. Elle soupçonne surtout que son père souhaite refaire sa vie avec sa maîtresse, sans avoir une adolescente caractérielle dans les pattes. Quant à sa mère, à l’autre bout du globe, elle a préféré sa carrière à ses enfants. Sa sœur, elle, a suivi le premier venu, fuyant ce désastreux tableau. Une chance ? L'autonomie gagnée dès l’adolescence. Ada vit seule depuis deux ans et cela lui convient bien. Libre, sans attache, et le monde à découvrir.

Perdue dans ses ruminations, l'odeur d'une mandarine épluchée la sort de sa torpeur lancinante. Un vieillard s’est installé à ses côtés.

― Monsieur, l'odeur me dérange, vous ne pouvez pas aller manger ailleurs ?

― Écoutez ma petite, rien ne me l'interdit, les plus gênés s'en vont...

― Non mais vous vous foutez de moi ! Vous venez de débarquer et vous comptez me pourrir le voyage avec vos odeurs de vieux ?

― Oh là, on se calme, changez de ton Mademoiselle. Vos parents ne vous ont pas appris la politesse, on dirait.

― Allez vous faire foutre ! Et barrez-vous sinon j'appelle le contrôleur en vous traitant de vieux pervers. Pauvre con !

Le vieil homme ramasse fissa journal et mandarine, puis sort du wagon, arguant « Quelle peste... Elle est dérangée celle-là ! » au reste des voyageurs, médusés mais silencieux.

Ada, furieuse, sort son casque et le visse sur ses oreilles. Elle lance sa playlist et tourne la tête vers la vitre. Dans le reflet, une femme s’empresse de quitter le compartiment avec ses deux enfants qui la toisent comme une bête de cirque. Son esclandre a produit son petit effet. La jeune rebelle, au piercing à l'arcade et à la mèche bleue, enfonce plus profondément ses pieds dans la banquette mollassonne face à elle.

Seul le son de la guitare sèche la calme lorsque la colère monte. Cette envie sourde de tout casser lorsqu'on ne répond pas à ses désirs. Elle ne peut la contrôler. Grouillante, brûlante, bouillonnante, sa haine de l'humanité explose alors sans aucun filtre. Ada préfère encore la solitude à l'irrespect de sa bulle personnelle, qui la conduit irrémédiablement au conflit.

D'ailleurs, les élèves du bahut l'évitent, craignent ses débordements imprévisibles et violents. Ça me fait moins de relations superficielles à supporter. Leur médiocrité me débecte, se console-t-elle. Elle gamberge en boucle fermée, dans l’attente d’un apaisement qui ne vient pas. Les heures défilent. Soudain, des premiers flocons virevoltent, éclairant le ciel sombre d'avril.

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