Trouble

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A peine réveillée, elle frotte ses yeux embrumés, et la peau nue de ce bras, collé à ses hanches, lui donne des frissons. Elle s’extirpe des membres alanguis qui l’entourent, sans un bruit, et file sous la douche. Le jet puissant de l’eau chaude délasse ses muscles. Soupir de plaisir. Pourtant elle ne le sait que trop bien, ce matin, c’est l’enterrement de Thérèse. Elle se prépare à la hâte, farfouillant dans ses tiroirs quasi-vides, une tenue adéquate. Lucas, un œil à moitié ouvert, la scrute avec envie, la chaleur des draps camouflant son désir viril inassouvi. Il patiente son retour à la salle de bain pour se lever, nu, et lui déposer un chaste baiser dans le cou et un bonjour qui en dit long.

Ada est aux anges et tente de le cacher, un peu, troublée par cette nouvelle intimité.

Elle se dévisage longuement face au miroir, comme pour y déceler un symbole de cette nouvelle étape de vie de femme franchie. Peut-être cette flamme dans les yeux, cet apaisement du front, ce sourire aux commissures des lèvres. Au jeu des cinq erreurs, rien ne semble différent, pourtant, imperceptible aux yeux de tous, elle se persuade qu’un détail a bien changé.

Le petit couple s’avance lentement pour la cérémonie, au cimetière du village, où l’urne de Thérèse, trône là, sur le caveau familial, entourée d’une foule d’inconnus. Le prêtre entonne son discours monocorde dans ce matin d’été. Sous cette litanie d’un autre temps, la jeune femme se perd dans une foule d’émotions contradictoires. Elle voudrait crier, insulter, pouvoir remonter le temps, parler de cette Thérèse malicieuse et joueuse qu’elle connaît si bien, lui faire honneur avec une ode à la nature digne de ce nom… mais devant la tristesse des badauds, les plaintes de la famille, les chrysanthèmes en plastiques et l’odeur d’amidon, elle sait bien que les conventions sociales ne permettraient pas ce scandale. Alors elle se tait et attend. Sa main cherche celle de Lucas, et leurs doigts s’emmêlent dans une étreinte forte, apaisante. Une fois la jarre enfermée et scellée, l’attroupement se disperse comme un troupeau de vaches regagnant l’estive. Le jeune homme la conduit alors vers deux couples de cinquantenaires endimanchés et leurs enfants. Des citadins mal assortis dans ce décor champêtre.

  • Bonjour Florence, Henri...
  • Bonjour Lucas, content de te revoir. Tu as sacrément poussé dis-donc ! Commente un grand homme sévère, en reniflant.
  • Ada, je te présente les enfants de Thérèse, et ses petits enfants. Ada est une amie, elle travaille au gîte depuis quelques mois.
  • Enchantés. Pouvons-nous nous y rendre aujourd’hui ?
  • Mais bien sûr. Il n’y a aucun marcheur en ce moment, réponds Ada, finalement gênée par son propre commentaire dans une telle situation.

Ils rejoignent tous d’un pas lent la demeure en pierre, à quelques centaines de mètres, cherchant à combler le silence par quelques banalités d’usage.

Un brunch est concocté par les tourtereaux, contents d’échapper pour un instant à l’interrogatoire de la famille, sur le mode de vie de Thérèse de ces dernières années.

L’atmosphère reste cependant tendue, car bizarrement, ils se comportent comme des étrangers dans la maison de leur mère, de leur aïeule. Ils semblent beaucoup moins à l’aise que les randonneurs y trouvant refuge chaque soir. Sans doute, la distance instaurée par la vieille dame, les non-dits et les disputes auront éloigné tout signe d’appartenance familiale, de communauté.

Vers la fin du repas, le plus âgé, prend l’adolescente à part :

  • Avant-hier j’ai reçu un appel du notaire, notre mère a rédigé un testament il y a trois semaines. La lecture aura lieu dans deux jours. Je pense que vous devriez venir si vous avez été si proche d’elle ces derniers temps. C’était une impulsive, Thérèse. Elle ne s’attachait qu’aux gens de passage.

Abasourdie, Ada se tait.

Quelques minutes plus tard, elle raccompagne poliment ces gens à leurs vies respectives, ravie de retrouver son cocon de pierre, pour elle seule, dans une ambiance plus détendue.

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