Chapitre 5. En route !

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(point de vue d'Evan.)

Lorsque je lui ai laissé un message, je n'arrivais pas à grimper dans les arbres. Je n'avais pas les bonnes prises donc je tombais, glissait, m'écrasait par terre. Grâce aux immeubles sur Terre je n'ai pas eu le vertige. Je suis fort au lancer de couteau, elle m'a montré comment faire. En quelques jours, Enokiera a retrouvé sa forme, car l'arnica à bien agi, grâce à elle je grimpe mieux aux arbres. Je ne peux pas courir d'arbres en arbres mais j'arrive à en escalader jusqu'au sommet. J'ai vu des tas et des tas de volatiles ; jaunes, rouges, verts, bleus, grands, petits, poilus et plumeux. Des gros, des fins, jeunes, vieux, acrobates, feignants. De toutes sortes ; bec, bouche, griffes, pattes, ailes (bien évidemment), membranes, inconnu. Quel magnifique spectacle ! Ce soir nous partirons vers la plaine Ouaq. J'ai appelé Marc pour le lui dire, il a transmis à la sergente Vaylori.

Je connais quelques mots en Shadès et le nom de sa mère. Elle s'appelle Rahy. Je sais dire j'ai faim : << Iaj miaf >>, bonjour : << ruojnob >>, je suis : << Ej sius >>, j'ai soif : << Iaj fios >>, et bien d'autres petits mots utiles. Le Shadès n'est pas vraiment compliqué à apprendre. Parfois il y a des sons que j'ai du mal à prononcer. Alors, je note plein de mots dans mon carnet et je demande à Enokiera si c'est bien écrit et qu'est-ce que ça signifie. En mots difficiles à prononcer il y a << setneuqerf >> ça veut dire << fréquentes >>. Cette langue est un peu étrange.

Finalement personne ne m'a tué et ils se sont habitués à moi. Certains se montrent méfiants, cependant personne n'est agressif à mon égard. Mon amie se remet petit à petit, le matin je la vois faire des étirements et des exercices. Quand je monte dans les arbres elle vient avec moi pour s'entraîner aussi. Hier elle m'a montré comment faire venir un Chalve. J'ai réussi du premier coup. J'ai voulu enlacer l'animal mais je m'y suis mal pris et je suis tombé car il a reculé.

Nous sommes partis de nuit, hier soir, mais elle avait oublié que je ne pouvais pas voir dans le noir. De ce fait, j'ai cru que la forêt s'acharnait sur moi. Je me prenais les racines, les buttes de terre, les cailloux, les branches basses... Je me suis tordu le poignet gauche en me réceptionnant mal. J'ai mis un bandage pour le maintenir, à ce moment là ma guide a décidé de s'arrêter pour la nuit. Elle m'a aidé à monter dans un arbre orange à tronc gris. Vu que les branches se séparaient en quatre j'ai pu dormir calé sans avoir peur de tomber. Pour ne pas prendre de risques mon amie s'est aussi installée dans un creux. A un moment je me suis réveillé, au départ je n'ai pas compris pourquoi, puis j'ai entendu comme un grondement. J'ai tout de suite pensé aux drones mais ils font plus un vrombissement qu'un grondement. Je n'ai pas osé bouger ou réveiller Enokiera. Mon couteau est ma seule arme. Dans ma tête je me suis souvenu d'une vieille arme de défense, je crois que c'est un arc en bois, ficelle (ou élastique), et quelque chose de pointu avec du bois : une flèche. Je ne peux pas descendre prendre du bois ni le couper ici, ce ne serait pas respectueux. J'hésite encore à réveiller mon amie. Après tout, tant que la chose qui grogne ne grimpe pas aux arbres je suis en sécurité, sauf si elle est déjà dans l'arbre. Je veille, mon couteau dans la main mais je finis par m'endormir au bout de quelques minutes.

Le matin, quand je-ne-sais-quel-soleil m'éveille je prends la décision d'en parler à Enokiera. Pour la bête elle me dit qu'elle s'en est occupée puis elle dit que l'on mangera de la viande ce matin. Pour l'arc, c'est l'arme qu'ils utilisaient avant celle qu'ils ont maintenant. Elle m'en a fabriqué un à ma taille. Je l'ai décoré avec mon couteau, j'y ai gravé des formes puis son nom et le mien. J'avais hâte de manger de la viande, seulement, j'avais oublié qu'elle serait crue. Ce n'est pas si mauvais. J'ai l'impression que ça fait une éternité que je n'en ai pas mangé. Un peu à part, je vois une tâche noire. C'est mon sac, il est ouvert et il y a un objet gris à côté. Enokiera suit mon regard, saisit mon arc et me dit de la suivre. Dans le pot gris il y a un liquide violet. Sans utiliser ses mains elle verse le contenu du pot sur l'arc. Elle dit que le sang de la bête est indélébile et que c'est parfait pour colorer l'arc.

— Donne-moi ton couteau Evan.

_ D'accord.

Je préfère ne pas poser de questions sur ce qu'elle va faire avec. Elle plonge la lame et éclabousse le manche avec ce qui reste de sang. Elle me le tend.

_ Tiens, ça te remonteras dans l'estime de mon peuple.

_ Mais... c'est toi qui l'a tué... Comment vais-je l'expliquer ? Je...

_ Tu n'auras rien à expliquer, fais-moi confiance, Evan.

Sa voix est douce et confiance, mais elle me parle durement. Je voudrais la croire mais j'ignore la couleur de la bête, je ne sais même pas à quoi elle ressemble (taille, espèce...) ! J'abandonne, je ne vais pas m'embrouiller l'esprit pour ça. Par contre, pensais-je en fronçant les sourcils, elle a tâché mon arme. D'accord pour l'arc, mais le couteau, elle n'était pas obligée. Je ne peux même plus me servir de la lame comme miroir pour me raser. Je ne vais pas lui en vouloir pour ça. Elle ne comprendrait pas. Enokiera est ma seule amie ici, sans compter ceux de la Terre. Malgré mon expérience à la Nasa, je n'ai jamais été doué avec les gens. Le contact humain, les amitiés, les longues discussions, tout ça, ce n'est pas pour moi. Malgré ça le contact avec Enokiera a été facile, je reconnais que je n'ai peut-être pas été agréable avec elle, cependant j'ai payé pour mes erreurs.

— Arrête de rêver, me coupe-t-elle. Il faut que nous passions au Sud de l'îlot de plaines, remonter légèrement vers l'Ouest jusqu'à une source d'eau pour repartir au Nord en direction de la plaine Ouaq. Le trajet va être long. Evan, te rappelles-tu de tes entraînements ?

_ Oui, bien sûr. répondis-je sûr de moi, certain que cela cache un piège.

_ Alors, appelle nous deux Chalves.

Quand je disais qu'il y avait un piège ! Je me remémore les heures consacrées à ça jusqu'a ce que j'obtienne le bon son, les bonnes notes, la bonne mélodie. Je tente une série de sifflements. J'attends quelques minutes. Enokiera ne dit rien. Je commence à me dire que je me suis trompé, quand un bruissement se fait entendre. Quand deux museaux curieux se montrent, mon amie me sourit et me félicite. J'ai réussi ! Nous n'osons pas applaudir de peur que les animaux ne s'enfuient mais je vois ses yeux pétiller de joie. Je ne tomberais plus, nous serons plus rapides et efficaces, moins fatigués et plus avantagés par le terrain. Sans perdre de temps, je monte sur le Chalves. Ces animaux sont très dociles et pacifiques.

Ils me font penser aux chevaux sur Terre. Je ne peux m'empêcher de comparer les deux planètes : ils ont des forêts, nous n'en avons plus ; ils ont des étangs, nous avons des mers et des océans ; ils ont deux soleils, nous un seul. Ils ont des plaines, nous des montagnes ; ils ont de petites habitations en bois, sur Terre il n'y a plus que d'immenses immeubles en béton et en verre. Ils ont leur langue et nous la nôtre. Leur peuple est uni, le mien est déchiré par les guerres ; ils n'ont pas de dieux alors que nous, malgré la Guerre des Religions (3e Guerre Mondiale), vénérons presque tous un dieu. Ils se fichent de la nudité, ne comptent que sur eux-mêmes et ne cherchent qu'à vivre simplement, nous, nous faisons tout avec la technologie, nous sommes incapables de nous débrouiller seuls. Ils ont une justice faite de personnes de confiance et expérimentées. Si différents et pourtant si proches... C'est le premier peuple extraterrestre que je connais. Il doit y avoir des hybrides, des mélanges avec d'autres races, s'ils en connaissent plein. Peut-être qu'à l'origine ils étaient comme nous mais ils se sont mélangés avec d'autres peuples ? Peut-être pas. Je me fais sans doute des idées.

Puisque j'étais dans mes pensées, je n'ai pas vu Enokiera s'arrêter. Je ne l'ai pas non plus vue masquer les yeux de ma monture avec sa main. Ce que je sais, en revanche, c'est que j'ai failli tomber à cause de l'arrêt soudain de mon Chalves. Lorsque j'ai voulu protester, elle a mit son doigt sur sa bouche. Elle m'a chuchoté de mettre un tissu sur mon visage en ne laissant qu'un espace pour mes yeux. Elle m'ordonne de ne pas bouger et de ne faire aucun bruit. Encore une fois je n'ai pas eu d'explications et de réponses à mes questions. J'ai obéi. J'ai laissé ma guide faire avancer les Chalves. Enokiera s'est couchée sur l'animal et j'ai fait pareil, le plus lentement possible. De ma position actuelle je peux voir le museau, proche, de sa monture ouvrir et fermer ses naseaux et bouger ses oreilles pointues d'avant en arrière.

Le tissu que j'ai mis sur mon visage ne sent pas très bon et cela me gène, alors je respire par la bouche pour avoir moins l'odeur. Je ne suis absolument pas à l'aise dans cette position. Je ne peux m'accrocher nulle part. Je perds le tissu. Ma tête glisse contre l'une des épaules du Chalve et ma chaîne (où il y a mon nom, prénom, nationalité plus une série de nombres dont j'ignore la signification), glisse de l'intérieur de mon tee-shirt et vient se cogner sur la peau de mon porteur. La chaîne est en métal et elle produit un son aigu, presque inaudible. En essayant de ne pas tomber, je l'attrape d'une main pour qu'elle ne retinte pas à nouveau et je la mets dans ma poche. Trop tard. Un grondement et un bruissement de feuilles se fait entendre. Les Chalves se cabrent et filent, à toute vitesse, à travers les bois en poussant des petits cris graves qui s'estompent. Nous sommes tombés lors de la ruade, moi sur la nuque et le dos, elle sur ses pieds. Elle a été très agile. Elle se précipite vers moi puis m'entraine par le bras. Nous courons de toutes nos forces en direction de la plaine Ouaq, pourtant très éloignée. Des cris graves nous poursuivent, je suis encore sonné par ma chute, j'ai mal à la nuque. Je sens mes jambes courir et mes pieds fouler le sol mais je ne sais pas d'où vient cette force de courir aussi vite et longtemps, sans même avoir le temps de voir devant moi. Elle m'entraine avec une force incroyable. Je ne vois que les arbres qui défilent. Mon coeur cogne fort dans ma poitrine. A courir ainsi mon souffle s'épuise. Mon dos et ma nuque me lancent. J'ai envie d'hurler pour que l'on s'arrête mais seul un son rauque sort de ma bouche. Mes lèvres commencent à se déshydrater. Mon corps tombe en avant. N'ayant pas mon bras libre c'est ma tête qui est en première. Avant que ce ne soit le noir, je pense à un truc vraiment bête. Je me dis : Ah, tiens, chez eux aussi la mousse est verte. Oh, ma tête va toucher le sol. Je sombre. Instantanément je perds mes sens. Est-ce que je vais mourir ? Le suis-je déjà ? Mes pensées s'éteignent unes à unes.

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