Les premières victimes du Nécromancien

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Le songe que je vais relater à présent me ramena dans la peau du jeune spécialiste des Grands Livre et des Grands Secrets. Lorsque mon esprit entra dans sa tête, il se trouvait dans un bar. Je su immédiatement quel hôte je visitais. Encore une fois, alors que je me trouvais dans un état de semi conscience seulement, l'information m'arrivais nettement. Des choses comme mon identité, du moins celle de mon hôte, s'imposaient à moi comme des évidences. Ainsi que le fait de nager dans une ébriété joyeuse.

Je me trouvais donc dans un bar, mais il ne s'agissait pas là de l'établissement de Madame. Et je n'étais pas là pour travailler, mais pour me vider la tête. Je ne connaissais personne, du moins personne qui me soit proche. Assis seul à ma table dans un recoin sombre, j'écoutais un groupe de trois musiciens qui se produisait sur une estrade. L'ambiance était chaleureuse, presque feutrée. C'était un endroit visiblement très soigné, avec une clientèle choisie.

Mais il se faisait tard, à peine avais-je eu l'occasion d'écouter un morceau que mon hôte se leva, régla une note plutôt salée et quitta l'établissement. Je me retrouvais dans une large rue, bordée de ces hauts bâtiments haussmanniens et éclairée par les même globes lumineux que lors de ma toute première incursion dans ce monde. Dans mon esprit jailli un instant l'idée de descendre un peu plus bas dans la rue, qui suivait une pente douce, d'emprunter la ruelle qui menait sur une avenue voisine et de rejoindre l'établissement de Madame. Mon hôte y renonça aussitôt. Il n'avais pas envie de ressasser ses erreurs après avoir eu tant de mal à chasser ses idées noires à grand renfort de boisson alcoolisée.

Il entreprit donc de rejoindre son appartement et de se coucher. Il leva le nez vers le ciel étoilé, respira un grand coup et pivota vers le bas de la rue. Il dépassa la ruelle sombre qui s'ouvrait sur sa droite en chemin, non sans y jeter un regard, penser à Runia et soupirer. Il était presque parvenu au bout de l'avenue lorsqu'un cri déchira la nuit. Pas un cri d'ivrogne, ni un cri effrayé quelconque, mais un cri de pure terreur qui fut succédé presque aussitôt par un autre. Inhumain. Celui-ci glaça le sang de mon hôte. Je sentit son cœur se mettre à battre plus vite, l’adrénaline chassant en partie les effets de l'alcool. Il se précipita en avant, dans la direction des cris. Un troisième hurlement résonna, mais il s'acheva d'étrange façon, comme si la personne se retrouvais soudainement incapable de crier. C'était une voix de femme. Mais un autre cri retenti encore pendant que je courrais à en perdre haleine ; un cri qui sortait d'une gorge d'enfant, d'une terreur indicible.

Des lumières s'allumaient aux fenêtres. J'arrivais au pied de l'immeuble d'où provenaient les cris : une fenêtre ouverte, donnant sur un appartement du quatrième étage plongé dans le noir, était indubitablement la source de ces horreurs. Quelqu'un demanda depuis une autre fenêtre ce qui se passait d'une voix apeurée. Je lui criais de rester chez lui et de se barricader. Je sortais de ma poche un bâton de craie, ou quelque chose qui y ressemblait fortement. Je dessinai rapidement une forme sur la porte, apposai ma main. Le lourd panneau de bois fut comme aspiré à l'intérieur, avec un craquement assourdissant.

Un autre cri d'enfant apeuré. Je me précipitais à l'intérieur, comptant mentalement le nombre d'étages à gravir. J'arrivais devant la porte au moment ou un autre cri retenti, en même temps que des coups sourds, frappés sans doute contre une porte par quelqu'un d'une grande force. Réitérant la manœuvre effectuée sur la porte de l'immeuble, j'entrai dans l'appartement. Le premier réflexe de mon hôte fut de faire de la lumière. J'ignore comment, mais l'appartement fut soudain éclairé comme en plein jour. Guidé par les cris qui continuaient de plus belle, je passais rapidement l'entrée, me retrouvant dans un salon bourgeois. Je passai dans le couloir et tombait nez-à-nez avec un homme de haute taille, me dépassant d'une tête. Il était nu, avait l'air hagard. Il tenta néanmoins de me frapper. Je parvins à l'esquiver de justesse et j'en fus fort heureux, car son coup devait être formidable. Par pur réflexe, je traçai devant moi un signe dans les airs qui resta en suspension. Je compris que mon hôte venais de créer un sortilège, mais j'ignorais les effets ignobles que celui-ci produirait l'instant suivant.

L'homme nu s'avança, menaçant. Ce faisant, son torse entra en contact avec le symbole flottant. Il y eut un grésillement et sa peau se mit à fondre, sa chair à brûler. Il resta immobile, s'affaissant doucement au fur et à mesure que la magie dévorait son corps, ou défaisait ce qui lui avait été fait auparavant. Ce fut un spectacle, je vous pris de me croire, épouvantable. A l'horreur de la vision s'ajoutait une odeur ignoble, insupportable. Ce qui empira lorsque la chair de son abdomen céda et déversa les entrailles du malheureux. Lorsque le corps ne fut plus qu'une bouillie informe et fumante d'où dépassait des os comme blanchis à la chaux, je repris mes esprits, et me relevai. Les cris s'étaient tus. J'entendis plusieurs personnes entrer dans l'appartement.

— Par ici ! criais-je.

Deux hommes me rejoignirent, j'en entendais d'autres dans le salon.

— Je crains que nous n'ayons sur les bras le premier cas de meurtre dans le Duché imputable au Nécromancien.

— Qui êtes-vous ? me demanda l'un des deux officiers de police, un mouchoir sous le nez pour tenter de couvrir l'odeur, l'air soupçonneux.

— Ange Grissort. Je suis conjurateur, entre autre. Je crois qu'il y a un enfant à sortir d'ici d'urgence.

Ne laissant pas le temps aux agents de réagir, je pivotai dans le couloir, enjambai les restes du défunt père de famille et me dirigeai vers une porte ouverte. Les premiers cris venaient de là, malheureusement, la femme qui fut sans doute l'épouse du pauvre bougre du couloir, gisait sans vie sur le lit. J’apposais rapidement une sorte de scellé sur le corps avant qu'il ne revienne à la vie et ressortit de la chambre. La porte suivante était close, j'essayai d'entrer, mais un verrou était visiblement mis de l'intérieur. Un cri résonna dans la pièce. Je frappai doucement sur le panneau.

— Tout est terminé, dis-je doucement, tu peux sortir. Tu ne dois pas rester là dedans, tout seul.

J'entendis des sanglots à l'intérieur, mais pas de mouvement. J'attendis quelques secondes.

— Écoutes, je sais que tu as peur, mais tu ne peux pas rester là. Je vais entrer, d'accord ?

Pas de réponse.

Je fermai les yeux un instant, j'eus la nette sensation de presser mon pouce contre la serrure. Le pêne se retira avec un petit clic et je pénétrai dans la chambre. Derrière moi, j'entendais des voix qui s'élevaient, celles des policiers qui parlaient entre eux et dans leurs radios. La chambre était restée dans le noir, isolée du sortilège de clarté qui commençait de toute façon à faiblir. J'aperçus une petite silhouette prostrée contre le mur, dans un coin de la chambre. Je fis de nouveau un peu de lumière avant de m'approcher.

De longs cheveux blonds cachaient presque entièrement le petit corps d'une fillette, tremblante de peur et secouée de sanglots. Je m'approchai doucement, posai ma main sur son épaule. Elle eut un mouvement de recul mais, usant de certains talents appris de Runia, je la calmai. Exceptionnellement, je me permis une incursion rapide dans son esprit. Ce que j'y découvris m’emplis de chagrin et de colère.

Réveillée par le premier cri de sa mère, elle avait accourut dans la chambre de ses parents pour voir son père lui asséner le coup de grâce, faisant sinistrement craquer le crâne de la malheureuse. Paniquée, la petite s'était réfugiée dans sa chambre et l'avait verrouillée. Le corps de celui qui fut son père s'était alors acharné sur sa porte pour lui faire subir le même sort. Seule l'intrusion de mon hôte avait sauvé la vie de la gamine, désormais orpheline.

Le pire, se disait Ange en tenant la fillette dans ses bras, c'est qu'à son âge, elle avait compris ce qu'elle avait vu. Et elle ne l'oublierais jamais.

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