Lors du rêve suivant, la même nuit, je me retrouvais à nouveau dans le corps du jeune spécialiste des Grands Livres et des tomes interdits. Il me semblait nerveux, mais depuis la dernière fois que j'avais eu l'occasion de visiter son esprit, la volonté de se rendre utile et une forte détermination dominaient dans sa tête. Je marchais dans un corridor, accompagné de plusieurs personnes de l'Université de Nalavas, de l'aide du Duc ainsi que de la duchesse et de son fils Liam. Je crus reconnaître la femme dont j'avais visité l'esprit plusieurs rêves auparavant, ainsi que le doyen qui marchait en s'aidant d'une magnifique canne ornée d'un pommeau de métal en forme de tête d'aigle. Bizarrement, dans mon rêve, j'étais obnubilé par ce pommeau et il me semble me rappeler que je l'associai à un secret de magie convoité. Malheureusement, lors de mon réveil, il me fut impossible de me rappeler exactement de mes soupçons.

Mais là n'est pas l'important. Nous nous trouvions dans le manoir du duc et je connaissais notre destination : la salle de l'aile nord où le Miroir aux Âmes se trouvait. Le jeune Liam y avait vécu récemment une épreuve difficile : une confrontation presque directe avec un être abominable. Sans aucun doute possible : le Nécromancien. Car ce miroir, conçu et fabriqué des siècles plus tôt l'avait été dans un seul but : prévenir les hommes de toute résurgence de cet ennemi terrible. Mais le magicien noir semblait avoir trouvé une parade et nous l'avions détecté trop tard. Il était de retour.

— Qu'avez-vous vu exactement ? m'entendis-je demander à l'adolescent.

— Au début, seulement une forme, une silhouette. Mais il est devenu plus net lorsqu'il m'as parlé. J'ai vu son visage.

Liam marqua une pause et je le vis trembler. Mais ses poings se crispèrent et il se maîtrisa. J'en fus impressionné.

— Il avait l'air maigre et malade, mais bien vivant. Son visage était d'une telle pâleur !

En disant cela, son regard se perdit dans le vague, comme il se remémorait sans doute la scène. Il frissonna de nouveau. Nous arrivâmes dans la salle en question et le miroir attira aussitôt mon attention. Pour n'importe qui il aurait pu passer pour un miroir comme les autres, à la surface parfaite. Pour moi, habitué a me trouver dans des lieux emprunts de magie, il était une aberration. Rien ne semblait émaner de cet objet, mais il y avait plus. Un sentiment de vide, comme ce que j'avais eus parfois l'occasion de ressentir lors de certains événements et rituels. Ce vide si particulier que j'avais éprouvé lorsqu'une vie s'éteignait. Comme si une énergie quittait notre monde pour aller se perdre ailleurs, où disparaissait, purement et simplement. C'était cette même sensation qui m'assaillait, à ceci près qu'elle était permanente. Cette chose respirait la mort. Ou aspirait la vie.

Nous passâmes un moment a observer le miroir, a l'étudier, mais rien ne se produisit. Je pris beaucoup de notes, fis un croquis détaillé. Après plus de deux heures sur place, nous quittâmes les lieux, non sans laisser derrière nous une paire de sentinelles qui assurerait à partir de ce moment une garde permanente près de l'artefact.

Le rêve se brouilla, comme si je m'éloignais de mon hôte, puis s'acheva doucement. Pour la première fois, l'un de ces rêves me laissait terminer ma nuit en paix.

Il se passa deux semaines sans que rien d'inhabituel ne m'arrive pendant mon sommeil. Ce fut salvateur, car j'arrivais à un état de fatigue difficilement supportable. Mais je n'étais pas pour autant débarrassé de ces songes si dérangeants. Peut-être m'avait-on accordé un répit en prévision de la période qui suivit.