Réceptions et confessions

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C'est après une journée éreintante de travail que je rejoignis le rêve pendant une sieste bien méritée. Il devait s'être écoulé du temps et passé bien des choses depuis ma dernière visite dans ce monde étranger et irréel qui m’accueillait désormais si régulièrement. Comme durant le songe précédent, je n'eus pas l'impression d'être incarné dans le corps et l'esprit d'un autre. Je me trouvais là, simplement, invisible aux yeux de tous.

Nous nous trouvions dans un bureau, richement meublé et lumineux. Trois personnes, deux hommes et une femme, faisaient face à tout un groupe en uniformes militaires. Je reconnus plusieurs protagonistes : le Haut-Duc et le père de Liam d'abord. Puis, reportant mon attention vers le groupe de soldats et d'officiers, les visages de Liam, Ange et Monty furent ceux qui captèrent mon attention le plus vite, mais il y avait aussi d'autres visages que j'avais appris à connaître avec le temps.

L'ambiance détendue ne collait pas avec une cérémonie officielle, j'en déduisis qu'il devait s'agir là d'une sorte de réunion informelle. La plupart des participants tenaient un verre à la main et ce détail me frappa sans raison apparente, comme cela arrive parfois lorsque l'on rêve. Je venais tout juste de rejoindre cette scène et tout me parvenait comme au travers d'une brume, comme si, paradoxalement, je venais de me réveiller. Je ne comprenais pas ce que le Haut-Duc disait, mais dès qu'il eut terminé il leva son verre et tout ce petit monde avala une gorgée ou deux du contenu ambré de sa coupe.

Après cela, il y eut des poignées de mains échangées, des accolades et des félicitations et plusieurs petits groupes se formèrent pour poursuivre les discussions. C'est tout naturellement que Liam se retrouva avec son équipe à discuter avec son père et le dirigeant des Duchés.

— Une grande victoire pour votre famille, Epsilom, assurément ! commença le Haut-Duc, félicitant à la fois le père et le fils. Avec ça, nul doute que vous serez le prochain Haut-Duc !

— Pourquoi ne seriez-vous pas réélu ? s'étonna Liam. Ne comptez-vous pas vous représenter ?

Les deux ducs échangèrent un regard et un sourire complices.

— Non, jeune Epsilom, je ne me présenterai pas lors des prochaines élections. Je souhaite passer à autre chose et votre père est le successeur que j'ai choisi. Il m'a fallu batailler pour le convaincre d'accepter, mais je me suis révélé le plus persuasif.

— Ou le plus têtu ! plaisanta le futur candidat, ce qui ne manqua pas d'étonner son fils.

Monty rit autant de la plaisanterie du duc que de la tête de son ami et c'est hilare qu'il s'éclipsa aux côtés d'Ange qui souhaitait aller inspecter de plus près les mises en bouches disposées sur la grande table ronde. Lorsqu'il se reprit, Liam chercha du regard quelqu'un en particulier. Je tentais de découvrir qui il cherchait et examinais les visages. Je reconnu le vieux mage et sa canne à tête d'aigle, maître Lebel, que l'on surnommait le Triple Champion et envers qui Liam éprouvait une admiration sans borne et le commandant des chevaliers. Aucune de ces personnes ne semblait intéresser le jeune homme pour le moment, malgré leur grande qualité. Et puis son regard se porta vers la table où se trouvaient disposés un grand nombre de plats autour de laquelle commençaient à graviter un certain nombre de convives. Monty s'y goinfrait sans vergogne sous le regard réprobateur d'Ange qui, délicat, faisait trois bouchées d'une seule. Et enfin il trouva qui il cherchait. Elle était là, s'approchant discrètement de son frère pour le surprendre. Liam s'excusa auprès de son père et du Haut-Duc et se rapprocha de ses camarades.

Le temps qu'il arrive, Ange s'était aspergé lui-même du contenu de son verre suite à un sursaut hilarant causé par sa sœur, ce qui dérivait à présent vers une chamaillerie indigne de l'endroit comme de leurs âges.

— Je suis vraiment le plus jeune ici ? se moqua Liam en s'emparant d'un feuilleté au poisson.

Pris en flagrant délit, Ange se justifiait de sa mauvaise humeur quand Liam et Elaine lui firent tout deux remarquer qu'il était conjurateur. Il effaça alors les traces de l'outrage d'un simple revers de main.

— Vous faites vraiment la paire, tous les deux ! La magie est censée servir à des choses plus grandes et plus nobles que nettoyer des chemises !

Toujours vexé, il grommela encore quelques instants sous les regards goguenards de ses compagnons.

— Tu as pu les étudier un peu ? s’enquit Liam pour mettre un terme à ces enfantillages.

— Tu es fou ? N'en parlons pas ici ! le rabroua Ange aussitôt.

— Personne n'écoute, fit remarquer Monty.

Le conjurateur engloutit un canapé d'une seule bouchée, ce qui soulignait son agacement.

— Sortons sur le balcon, ce sera plus discret, recommanda tout de même le magicien.

Monty et Ange se dirigèrent vers le balcon où personne ne s'était encore rendu. Elaine allait leur emboîter le pas, mais Liam la retint discrètement par la manche.

— Pas si vite, mademoiselle l'officier. Il est temps.

— Tu es sûr ? demanda-t-elle, peu enthousiaste à l'idée d'affronter cette épreuve.

Liam se contenta de lui sourire.

— Qu'est-ce que vous attendez ? les interrompit Monty.

— Allez-y, on vous rejoint dans deux minutes.

Liam entraîna Elaine derrière lui bien malgré elle. Il se dirigea droit vers son père et le Haut-duc qui formaient à présent un trio en compagnie du doyen. Le vieillard fut le premier à apercevoir les deux jeunes gens qui se dirigeaient vers eux et ne manqua pas de noter la mine contrite de l'escrimeuse et la détermination du héros de Nalavas. Il esquissa un sourire et s'excusa auprès des ducs avant de s'éloigner, non sans adresser un clin d’œil malicieux aux tourtereaux.

— Père, auriez-vous un moment ?

— Bien sûr. Veuillez m’excuser, Carmin, mon fils demande audience.

Il fut excusé d'un signe de tête et s'éloigna en compagnie de Liam et Elaine. Une fois un peu à l'écart, il attendit patiemment que son fils lui dise ce qu'il avait deviné depuis l'instant où la personne qu'il pouvait inviter à cette petite réception s'était avéré être cette magnifique jeune femme.

— Père, vous connaissez déjà Elaine, commença Liam avant de marquer une courte pause. Je souhaiterais obtenir votre approbation.

Il saisit délicatement la main d'Elaine qui du faire un effort monumental pour ne pas rougir. Elle afficha au contraire une mine sereine et assurée.

— Elaine et moi souhaitons nous fréquenter.

— Ah mon fils, tu sais que je ne suis pas celui qu'il te faudra convaincre, répondit le duc avec un large sourire, mais ta mère. En ce qui me concerne, je suis déjà conquis. Je serais ravi d'accueillir mademoiselle dans notre famille.

J'assistais à la scène avec une certaine satisfaction. J'avais habité l'esprit de Liam suffisamment souvent pour comprendre à quel point il devait être heureux à cet instant. Le jeune couple échangea encore un moment avec le duc de Nalavas, puis s'en alla rejoindre leurs deux amis sur le balcon qui les avaient manifestement épiés de loin.

— Alors, c'est officiel maintenant, soupira Ange. Je n'en reviens pas, ma sœur, une noble. Qui aurait pu le croire ?

Elaine lui décocha un coup de poing dans l'épaule.

— Qu'est-ce que je disais ! s'esclaffa-t-il. Tu feras une excellente duchesse, j'en suis sûr… Quand tu cesseras de frapper tout le monde !

— Je ne frappe personne à part toi, rétorqua l'escrimeuse. Les autres, je les écrase l'arme à la main.

Les quatre compagnons prirent soin de s'isoler près de la balustrade avant de continuer la conversation qui les amenait là.

— Alors ? Les bouquins ? Tu les as étudiés ou pas ?

— Du calme, Monty, tempéra Ange. Oui, j'ai pu y jeter un œil. Et il n'avait pas menti. Maintenant que j'en suis le propriétaire légitime, je ne suis plus soumis à leurs enchantements. Ces livres sont des mines d'or de connaissances. On y trouve aussi des choses répugnantes, mais dans l'ensemble, c'est du grand art. Bien au-dessus de tout ce que j'ai pu lire jusqu'à présent.

— Ce qui fera de toi le digne successeur des Grands, fit observer Liam. Mais ce qui m’intéresse, c'est savoir si oui où non il avait une échappatoire.

— Je n'en sais rien. Ces livres sont les plus compliqués que j'ai jamais lus, avoua le conjurateur. Il a rédigé le premier durant sa dernière année à l'académie et c'est déjà d'un niveau supérieur à ce que j'ai pu voir chez beaucoup de conjurateurs expérimentés. Il ne plaisantait pas lorsqu'il m'a dit que des années me seraient nécessaires pour comprendre son travail.

C’est en entendant cela qu’il me revint en mémoire la scène que je réservais. Durant le rêve, je ne fis qu’y penser de manière assez fugace, mais je vous la délivre ici, bien que vous ayez sans doute deviné en partie de quoi il s’agit. Liam et Ange venaient de mettre fin aux jours du Nécromancien, du moins, ils essayaient de s’en convaincre malgré le discours et l’attitude de ce dernier. Monty venait tout juste de suggérer leur départ lorsqu’ils sentirent une vibration parcourir le bâtiment. Après de longues secondes, ils se rendirent compte que ce n’était pas passager et que le phénomène s’amplifiait.

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