Une fin

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Liam n'en revenait pas. Il devait y avoir un piège, forcément.

— Vous tuer ?

— Faire semblant, au moins. Vous ne pourriez pas me tuer, de toute façon. Ma première mort m'a énormément appris. Je vous propose d'être complice de ma disparition volontaire. Prétendre que vous m'avez détruit une bonne fois pour toutes. Vous deviendriez des héros nationaux et je pourrais continuer a vivre éternellement ma vie, à moins que je n'en décide autrement.

— Il reste un point a éclaircir, intervint Ange. Des rapports en provenance de l'est et du nord relatent que les villes ont été détruites, complètement rasées et que tous les habitants sont morts. Des millions de gens, tués par nul autre que vous ! Qu'avez-vous a répondre à cela ?

— Une simple partie de mon plan, éluda le Nécromancien. Non, attendez, vous vous méprenez ! ajouta-t-il en voyant nos visages horrifiés. Tout va bien dans l'est, je n'ai pas touché un cheveu d'un seul habitant. Mes rares souvenirs heureux prennent presque tous racine dans ces régions. J'ai jeté un voile d'illusion sur les éclaireurs, je leur ai montré le passé, ce que l'Empire a fait il y à cinq siècles après sa libération, j'y ai seulement ajouté certains artifices pour que ce me soit reproché.

— Mais la vérité éclatera bien à un moment ou un autre, comment justifier ça ?

— En disant la vérité : que c'était une illusion. Simplement, le but véritable devra rester un secret. Ils devront penser que je voulais effrayer, saper le moral des troupes, ce qui est en partie vrai.

— Et nos camarades morts pendant la campagne ? ajouta Monty. Était-ce aussi une illusion ?

— Malheureusement non, admit le Nécromancien. Mais vos camarades tombés dans la cour sont en fait prisonniers, comme ceux disparus dans cette tour ou ceux enlevés pendant votre progression. Ils sont détenus dans des conditions sommaires, je l'avoue. Et certains de vos camarades ont trouvé la mort pendant l'opération. Je serais surpris toutefois que le nombre de morts excède la douzaine.

— Ce sont douze morts de trop pour que nous acceptions ! asséna Liam.

— Quinze des Grands ont été assassinés par les duchés. Mon épouse est morte de leur main ! Vous-même, Liam, descendez de l'un de ses bourreaux ! Oui, parfaitement, vous ! renchérit-il en voyant mon expression. Les Nalavas ont disparu parce qu'ils ont tué ma femme, l'un des hommes venus m'éliminer n'était autre que le père de votre ancêtre : Liam Epsilom, celui-là même qui pensa m’ôter la vie de sa lame. Son père est venu me trouver pour se venger de la mort de son cousin. Je suis prêt a rompre le cercle de haine et de vengeance. Mais il y aura un prix à payer. Le monde doit croire que j'ai disparu, et il est légitime que j'aie enfin le droit de vivre une vie normale. Ces malheureux ne reviendront pas, quoi que vous choisissiez.

S'ensuivit un long silence durant lequel Liam ne quitta pas le mage des yeux. Il le jaugeait, exerçait sa volonté a percer une éventuelle illusion. Mais il n'y en avait pas. Il était libre, il le sentait parfaitement.

— Il est temps que tout cela cesse, finit par dire le Nécromancien d'un ton las. Trop de gens ont trouvé la mort durant cette affaire.

— Vous appartenez au passé, intervint Ange. Pourquoi vouloir continuer ? Si vous avez autant perdu, pourquoi êtes-vous toujours là ?

— Vous me demandez pourquoi j'ai toujours envie de vivre ? Haha ! Quel amusant personnage vous faites ! Imagineriez-vous que je sois suicidaire, désespéré ? Pensez-vous que je puisse vouloir disparaître alors que je suis le plus grand mage de tous les temps ? Alors que je suis devenu éternel ?

— Que voulez-vous ? Qu'on en finisse.

— Liam ! protesta Ange.

— Saviez-vous que votre nom, jeune homme, signifie en langue ancienne destruction ou anéantissement ? questionna le Nécromancien.

Liam l'ignorait, mais à voir les épaules d'Ange s'affaisser, lui le savait et il avait compté sur cette information. En quoi cela était-il si crucial ?

— Votre ancêtre a voulu me détruire, mais il n'y est pas parvenu. Parce que l'arme qu'il maniait héritât de la volonté de ses créateurs : protéger la vie. Et il ne savait pas manier la magie. Vous avez un avantage sur lui. Je viens de vous révéler une information cruciale et vous disposez d'un conjurateur qui, oserais-je le dire, dispose d'un certain talent.

Ange reçut la remarque à la fois comme une insulte et le plus grand compliment qu'on lui eût adressé.

— Ce qui implique ?

— Que vous seriez en mesure de me détruire si j'étais encore le même qu'à cette époque, jeune Epsilom. Mais ce n'est, heureusement pour moi, pas le cas.

— Qu'avez-vous prévu à la fin ! s'emporta Ange. Allez-vous enfin cesser de vous écouter pérorer ainsi ?

— Gardez votre sang-froid, maître Grissort. J'y viens. Le corps que vous voyez devant vous est une création. J'ai utilisé de la matière inerte et, à l'aide de mes vastes connaissances sur le corps humain, je l'ai mise en forme, peu à peu, y ajoutant des éléments vivants extérieurs. Une opération longue, complexe et épuisante, parfois fastidieuse. Mais fascinante. J'ai consigné tout cela dans un dernier volume, le vingt-cinquième. Toutefois, même si cette tâche est ingrate, elle m'autorise à construire un nouveau corps si le besoin s'en fait sentir. Autrement dit : il est dispensable. Vous comprenez ?

Les trois membres de l'équipe s'entre-regardèrent. Liam et Monty ne comprirent pas. Ange, au contraire, fit jouer les rouages de sa réflexion, envisagea les possibilités que cela pouvait offrir. Pas à lui-même, mais à leur adversaire.

— Vous voulez que nous détruisions ce corps, dit-il après avoir compris, réfléchissant encore pourtant. Avec votre âme à l'intérieur. Vous mourrez et les sortilèges créés pour vous surveiller deviendront obsolètes.

— Continuez...

— Vous voulez que je fasse ce que j'avais prévu de faire dès le début, à savoir vous détruire en utilisant ce coup fourré : la signification ancienne du nom de famille de Liam. Vous cesserez donc d'exister. Totalement.

Le Nécromancien eut un sourire.

— Ce qui m'échappe, c'est comment vous comptez survivre à un sortilège qui vous détruira corps et âme.

— Pour découvrir cela, mon cher, vous devrez travailler dur et consulter mes ouvrages. Je vous les lègue, si vous le voulez.

— Il est hors de question que je conserve ces abominations ! se révoltât Ange. Ce sont... Ils sont...

— Fascinants ? Haha ! Vous êtes amusants. Vous verrez que beaucoup de ce qui s'y trouve n'est pas si terrible. En réalité, tout comme j'ai monté de toute pièce ma réputation, j'ai quelque peu exagéré sur le côté sombre de ces livres. Ils contiennent des secrets dangereux, je ne pouvais pas laisser n'importe qui les découvrir. Aussi les ai-je ensorcelés pour qu'ils soient repoussants à l'extrême pour tous, à l'exception de leur propriétaire légitime.

— Pourquoi ai-je toujours ressenti un attrait pour celui que possédait Madame, dans ce cas ?

— Il se pourrait que j'avais prévu une ou deux exceptions et vous vous inscrivez dans celles-ci. Je n'en dirai pas plus. Pouvons-nous procéder ?

Il dit cela d'un ton des plus détaché. Ce faisant, il ramassa l'épée de Liam et la lui donna. Il fit signe à Ange d'approcher et celui-ci, aidé de Monty qui n'osait plus piper mot, s’exécuta en claudicant. Les trois hommes firent face au Nécromancien et celui-ci s'agenouilla tranquillement devant eux, serein.

— Que dois-je faire ? demanda Liam, tant à son compagnon conjurateur qu'a leur dangereux hôte.

— Rien de particulier. J'ai moi-même ensorcelé ta lame dans ce but. Tranche-lui la tête, en pensant à ton nom, ton ancêtre, ta famille et ta mission. Ta raison d'être, pourrait-on dire. Je m'occupe du reste.

Liam brandit alors son épée. L'homme agenouillé ferma les yeux. Il n'avait pas l'air d'être un monstre, ni même un magicien venu du fond des âges. La lame siffla en fendant l'air, elle émit un son inconcevable lorsqu'elle traversa la chair du seul être qu'elle devait éliminer de l'existence.

— EPSILOM !

La voix d'Ange, étrangement modifiée, résonna avec force dans les airs, grave comme la voix d'un monstre, tandis qu'il claquait simplement des doigts. Une sphère tournoyante apparut, noire et violacée. L'épée de Liam en resta prisonnière tandis qu'elle tournoyait en vrombissant. Elle eut un dernier sursaut, puis disparut dans un craquement électrique, ne laissant au jeune chevalier que la poignée et un morceau de la garde de son arme en main.

— Qu'est-il advenu de lui ? demanda Liam après un long silence, très choqué par ce qu'il venait de faire et de voir.

— Je serai prêt à jurer devant le Haut-Duc et toute l'assemblée que c'en est fini de lui. Il ne peut avoir survécu, malgré ce qu'il a dit.

— Et si on rentrait ? suggéra Monty, retrouvant soudain la parole.

Le rêve ne prit pas fin tout de suite, bien qu'il fut déjà particulièrement long. Mais je dois raconter ce qui suivit plus tard, après le récit d'un autre songe.

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