Discussion entre ennemis

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— Eh bien, j'ai cru que tu n'arriverais jamais.

Il parlait d'une voix calme, égale et avec le détachement qu'un oncle réserverait à son neveu en retard de cinq minutes pour une partie de pêche. Cela eut le don de me hérisser.

Étrangement, il paraissait normal, humain, bien loin de l'image cadavérique que j'avais vue dans le miroir, une éternité auparavant. Sa voix non plus ne présentait rien de particulier. Il avait même une certaine prestance, de celle que l'on retrouve chez les gens de bonne éducation. Je levais ma lame, prêt à en découdre.

— Voyons, cette arme ne te servira de rien, ici. Même si je dois avouer que la vision d'un Epsilom brandissant une lame consacrée ne fait pas remonter que de bon souvenirs. Prends-donc une chaise ! ajouta t-il avec enthousiasme. Je n'ai guère l'occasion de discuter.

Je voulais refuser vertement. Mais mes lèvres restèrent scellées, mes bras se firent si lourds et engourdis que je fus contraint de lâcher mon arme et mes jambes me portèrent vers la table où je pris place sans pouvoir opposer la moindre résistance. Le pire, c'est que les plats sentaient bon et que, la faim aidant, je salivais malgré la peur.

— J'ai longtemps attendu ce moment, sais-tu ?

Tandis que je le foudroyais du regard, incapable du moindre mouvement, il piocha un morceau de volaille dans un plat, le savoura avant de reprendre :

— Ton ancêtre a mis un terme à mes recherches, il y a longtemps. Curieuse coïncidence que tu portes son nom, d'ailleurs. Mais je crois savoir qu'il est de tradition dans ta famille qu'il y ait toujours un Liam Epsilom en vie. Alors, au fond, ça n'as rien de très surprenant. Mais pour en revenir au sujet qui nous occupe, ton ancêtre aurait mieux fait de me laisser mourir. Enfin, pour vous éviter quelques soucis, en ce qui me concerne, je crois bien qu'il me sauva la vie en s'acharnant sur mon cadavre.

Le Nécromancien savourait autant sa nourriture que ces effets. Il affichait une suffisance amusée, sûr de lui et de sa maîtrise de la situation.

— Mais ce qui est amusant avec les magiciens inférieurs, c'est qu'ils ne comprennent pas toujours ce qu'ils font. En forgeant les armes pour la chevalerie, ils ont insufflé dans l'acier le pouvoir de détruire mes pantins définitivement. Oh, je ne nie pas leur talent : c'était déjà une belle prouesse, mais leur désir de détruire les choses mortes cachait un désir plus profond, sans doute inconscient. Devinerais-tu lequel ?

La question embrouilla l'esprit de Liam. Il senti que ses lèvres pouvaient désormais remuer.

— Celui de vous détruire, vous ?

Le Nécromancien eut un bref éclat de rire. Il avala une nouvelle bouchée avant de poursuivre :

— Non. Pas le moins du monde. Ils n'auraient pas pu, de toute façon. Ils ignoraient mon nom et même mes origines. Non, ce désir secret, c'était celui de préserver la vie. Et aussi près de la mort que j'étais lorsque le jeune chevalier détruisit mon corps à coups d'épée, j’étais encore vivant. Mes recherches me permettaient de prolonger encore un peu mon existence, mais quelques heures ou jours de plus et j'aurais péri, emportant toutes mes créations avec moi. Au lieu de ça, la lame fit son devoir : elle détruisit mon corps mort et putréfié, mais sauvegarda mon esprit en son sein.

Prisonnier du corps et de l'esprit de Liam, je senti que mon hôte venait de comprendre quelque chose. Le temps que les rouages de sa réflexion se mettent en place, je crus comprendre à mon tour.

— Vous étiez prisonnier de la lame, pendant tout ce temps !

— Exact ! s'exclama le Nécromancien, agitant l'un de ses couverts de façon théâtrale. Pendant longtemps j'ai cru que j'étais mort et c'était fort ennuyeux. Plus que le silence ou l'obscurité, l'absence de mes sens fut une torture. Après un temps, je décidai de mettre à profit ce temps indéfini en poussant plus loin que jamais mes réflexions concernant mes recherches. Et puis, après une éternité, il se produisit quelque chose. Une présence s'imposa à moi, une présence indubitablement humaine. Elle était si proche et pourtant si inaccessible. Je me suis demandé si je n'approchais pas d'une fin, ou d'une nouvelle vie. Mais mon savoir et mon expérience me poussaient vers une autre réponse. Je n'étais pas mort, tout simplement, et cette présence, c'était celle d'un homme bien vivant. Alors usant de mes talents, je fis un tour assez simple qui consiste à voir par les yeux de quelqu'un que l'on touche. Et cela fonctionna à merveille !

— A quoi peux bien servir un tel artifice ?

— Je n'ai pas toujours été un magicien dont le monde craignait l'existence. Dans mon jeune temps, j'ai servi fidèlement les Duchés. A dire vrai, il n'y a sans doute personne d'autre que moi et mes compagnons de l'époque qui avons autant sacrifié pour autrui. Et puisque tu en parle, je vais te conter tout cela.

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