L'équipe

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En trois nuits, j'avais eu trois rêves dont les événements se suivaient de façon tout à fait remarquable. Mon sommeil ne paraissait pas en pâtir énormément, pourtant, je me sentais fatigué et espérais ne pas avoir à retourner dans la tête de qui que ce soit la nuit suivante. Je rêvais de ne plus rêver, du moins pas de Liam, ni de rien de ce qui se produisait dans les duchés, que ce fut horrible ou non. Mais visiblement, mes espérances importaient peu.

Je retrouvais Liam après son voyage. À peine arrivé, son escadron se retrouvait propulsé en tête de l'armée, fer de lance de la force des duchés face à un ennemi que l'on croyait depuis longtemps disparu. Tout le monde savait désormais que le Nécromancien ou quelqu'un de son calibre menaçait non seulement la paix, mais aussi la vie. En tant qu'élite, les chevaliers se devaient de donner une image confiante et résolue. Le commandant, le colosse que j'avais aperçu à la gare, assurait cette fonction à merveille, par ses discours concis et son assurance toute militaire. Des journalistes l'interrogeaient tandis que ses hommes, prenaient place dans des camions. Liam l'observait du coin de l’œil et ce fut sans doute ce qui le perdit : plusieurs journalistes l'aperçurent. En tant que fils du duc de Nalavas et héritier de la lignée des Epsilom, portant de surcroît le même nom que celui qui vainquit le Nécromancien, Liam fut soudain assaillit de question. Cette notoriété nouvelle, il s'en serait bien passé, mais sa situation et la coïncidence fascinait.

Je m'entendis répondre aux questions, parfois farfelues, des reporters. Mais l'instant ne dura pas, coupé, à mon grand soulagement, par mon commandant. Il me fit embarquer à bord du camion qui devait nous conduire à la Frontière.

— À l'avenir, tu me laisseras m'occuper de la communication, asséna le commandant une fois le camion parti.

— Je ne suis pas contre. Mais je ne pouvais pas les ignorer non plus. Je vous remercie d'être intervenu.

Mon supérieur me fit comprendre d'un signe de tête qu'il approuvait ma réaction et le sujet fut clos.

Seules quelques minutes nous séparaient de la frontières et nous fûmes rapidement sur place. L'agitation qui y régnait montrait sans peine la gravité de la situation. L'endroit, d'habitude paisible, grouillait d'activité. Des tentes se dressaient dans les pâtures, les cours des fermes abritaient plus de véhicules militaires que d'engins agricoles. Mais ce qui marqua le plus Liam, ce furent les pylônes de la Frontière. Il était déjà venu, petit, dans ce coin précis. Les immenses pylônes blancs se dressaient toujours fièrement, mais à leur sommet se déployaient à présent les pétales nacrés de désintégrateurs géants. Un champ d'énergie reliait entre eux les monolithes , rendant le passage au sol impossible.

Beaux, impressionnants et effrayants. L'image qui fit pleinement réaliser à Liam que c'était la guerre. Que la technologie et la magie feraient des ravages monstrueux dans les temps à venir.

L'escadron des chevaliers fut posté tout près de la porte. Liam suivit le mouvement, au milieu de ses camarades, dans une ambiance de plus en plus électrique. Le commandant prit la parole devant tous.

— Ce soir sera le dernier soir que vous passerez ici, à l'intérieur des duchés. Demain sera assigné à chacun d'entre vous un conjurateur et un sapeur. Nous partirons dans l'est, à la suite des sections de blindés, dès que ce sera fait. Bonne nuit à tous.

Et ce fut tout.

Je vécu ensuite la soirée passée au milieu des autres jeunes chevaliers, senti presque le goût de l'alcool qui circula sous certaines tentes, l'odeur de la viande grillée au feu, dernier cadeau gustatif avant peut-être des semaines de rations insipides. L'humeur n'étant pas à la fête, les lumières s'éteignirent de bonne heure, tout comme les sons dans le campement. Je me revois me coucher dans le lit de camp, tirer la couverture. Puis, dans le noir complet, je suivis les pensées de Liam. Elles ne sont pas difficile à résumer ici : ses parents, l'inquiétude et Elaine.

Surtout Elaine.

J'ignore si le rêve suivant ne fut qu'une continuité du premier ou s'il survint plus tard durant ma nuit de sommeil, mais je me réveillais au matin croyant être moi. Puis mon corps se mit à bouger tout seul et je reconnut la tente, je compris alors que j'étais toujours dans la tête de Liam. Il devait encore somnoler, car sa présence me sembla effacée pendant un moment avant de se renforcer. Je me préparais rapidement, attrapais mon barda et sortais. Dehors, les autres se rassemblaient sur une esplanade aménagée au milieu d'un champ, au bord de la route. Liam, encore endormi, suivit le mouvement. Un officier attendait sur une estrade, au loin, flanqué de notre commandant. Avant même que tout le monde soit arrivé, il nous expliqua rapidement que nous formerions des équipes de trois. Nous étions sept cent chevaliers, nous serions donc au final plus de deux mille à prendre la route dans une heure ou deux.

— Les conjurateurs et les sapeurs qui seront mis sous votre responsabilité vont arriver dans quelques minutes ici même. Vous dirigerez, en tant que chevalier, votre équipe et référerez directement à votre commandant. N'oubliez pas de passer récupérer vos lames, elles sont arrivées cette nuit et vous attendent dans les camions que vous voyez là-bas.

Liam détourna les yeux un instant pour tenter d'apercevoir les camions. Il était pressé de retrouver son épée, faite sur mesure pour lui, enchantée pour détruire les créatures du Nécromancien et préserver la vie. Chaque chevalier en avait une, mais il était l'un des seuls à posséder une arme spécialement conçue pour un propriétaire en particulier.

— Vous devez être prêts dans une heure. Rompez !

Liam s'empressa de se diriger vers les camions, mais il compris vite que ce serait une perte de temps. Trop de ses camarades avaient eut la même idée. Il décida donc de se rendre de l'autre côté du champ, suivit de quelques uns des chevaliers seulement, vers des camions qui déversaient déjà une foule de gens, plus d'un millier au bas mot. Les conjurateurs et les sapeurs. Liam n'eut même pas à se donner la peine de choisir : un jeune homme, grand et à peine plus âgé que lui se dirigea d'un pas décidé dans sa direction. Il lui tendit la main, Liam la serra.

— Ange Grissort, ravi de te rencontrer, Liam.

— De même. On ne se connaît pas, si ?

— Non, mais nous avons une amie commune.

Devant l'air perplexe qu'afficha sans doute Liam (je sentais ses sourcils froncés, comme si c'étaient les miens), Ange continua :

— Elaine. Elle m'a appelé hier. Je la connais depuis longtemps, bien que je ne l'aie pas revue depuis des années, nous sommes restés en contact. Elle doit bien t'aimer, pour me demander de faire équipe avec toi.

— Elle... Quoi ? Peu importe, nous aurons le temps de discuter de ça plus tard. Je dois trouver un sapeur pour compléter l'équipe.

— J'ai pris la liberté d'en choisir un pendant le trajet. J'imagine que tu ne sera pas mécontent de mon choix : il faisait partie de l'équipage qui s'est frotté aux monstres volants. Il va arriver.

Liam ne savait que penser de cet Ange. Il semblait sûr de lui. Mais la seule chose qui occupait l'esprit du jeune homme c'était qu'Ange connaissait Elaine. Et il n'aimait pas ça.

— Ange ! Alors, tu as trouvé ton nobliau ?

— Un peu de respect, Monty, tu veux ?

— Oui, oui, pardon. Désolé c'est plus fort que moi, fit le dénommé Monty en approchant. Sans rancune ?

— Sans rancune. Mais pas de familiarité et pas d’allusion à ma noblesse. Je fais la mise au point tout de suite : je dirige l'équipe.

Le sapeur tiqua, le conjurateur eut un sourire amusé.

— Mais je compte sur vous deux, je veux pouvoir vous faire confiance.

— Pas de problème. J'ai dix ans d'armée derrière moi. Désolé de...

— C'est rien, Monty, assura Liam pour détendre l'atmosphère. Je voulais juste que ce soit clair. Si tu es sage, tout se passeras bien, ajouta t-il avec un clin d’œil.

Les trois membre de l'équipe nouvellement formée ricanèrent ensemble, scellant ainsi une complicité nécessaire. Liam alla ensuite récupérer son épée. Ange en profita pour indiquer qu'il avait lui-même participé à en produire certaines, dont celle-ci.

— Comment se fait-il qu'un conjurateur de ta trempe aille sur le front ?

— J'ai une dette envers le pays. Et une autre envers Elaine. Je devait seulement enchanter des lames, mais elle m'a appelé hier et me voilà , dit-il en écartant les bras. Je pourrais te demander pourquoi un fils de duc va sur le front.

— C'est mon devoir, Ange. Je suis Liam Epsilom...

Je fus tiré à ce moment de mon rêve. Pour je ne sais quelle raison, m'entendre prononcer ce nom m'extirpa du sommeil. Je pestais d'avoir encore rêvé de Liam. Je pestais de m'être réveillé avant la fin. Et puis... Je réfléchis : Liam, Ange, Monty, ensembles. Ange connaissais Elaine. Ces rêves se révélaient de plus en plus étranges et intriqués. C'est épuisé, et la tête pleine d'interrogations que je tentais de me rendormir.

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