Le rituel

3 minutes de lecture

Enfermé dans un endroit obscur, je me trouvais alors en compagnie des trois même personnes que durant la courte réunion de mon songe précédent. Il me semble bien que je me tenais au beau milieu d'un escalier étroit. Et en bas, il y avait le sanctuaire de Madame. Je tenais dans une main un livre ouvert sur une page marquée de nombreux signes, de quelques lignes de textes et d'une illustration semblable à une vieille gravure. Je prononçai des paroles qui, encore maintenant, me sont incompréhensibles, bien que durant le rêve tout me parut d'une clarté et d'une logique à toute épreuve. Je récitai donc ces phrases en une longue litanie au rythme saccadé tandis que, à mes côtés, mes trois compagnons s'activaient à la limite de mon champ de vision. Le rituel que je pratiquais s'acheva et rien ne s'était produit. Rien ne se passa non plus après que je l'eus terminé. Lorsque mon moi onirique comprit qu'il avait échoué, son cœur se mit à battre si fort que le sang se mit à tambouriner à mes oreilles. J'annonçais alors d'une voix faible cette simple évidence :

— Nous sommes dans la merde. Dans la merde jusqu'au cou.

Mon regard se posa d'abord sur l'homme grand et sinistre, puis alla vers la jeteuse de sorts : tout deux me dévisageaient, alarmés. La jeune femme s'avança et prit ma main dans la sienne. Je savais que cela n'avait rien d'une action se voulant rassurante ou intime : elle usait de son savoir pour me calmer et me forcer à parler. Je me dégageai un peu trop vivement, bien que j’eus désiré très fort qu'elle le fasse sans user de ses pouvoirs de séduction artificiels.

— Je ne parviens à aucun résultat. Même la tâche, pourtant si simple d'habitude, de percer les sortilèges d'autres initiés ne donne rien. Je dois en déduire que celui qui nous a dérobé ces manuscrits n'est connu de personne et qu'il a utilisé des sortilèges dont lui seul a le secret.

— Personne ne possède un tel niveau de connaissance, voyons. Personne ! protesta la matrone.

Mes yeux restaient fixés sur sa fille. Je me rendis compte en cet instant à quel point je la désirais. Elle se tenait droite et fière. Et vêtue comme elle l'était à ce moment précis, son corps élancé enfermé dans un carcan étroit d'étoffes nobles, ses épaules nues, ses longs cheveux noirs relevés sur sa nuque en une coiffure compliquée ; tout cela me fit l'impression de me retrouver devant l'une de ces grandes sorcières de jadis, celles qui commandaient aux bêtes, aux hommes et même, dans une certaine mesure, au Temps. J'y pensais justement car ces sorcières, normalement toutes disparues, faisaient partie de ceux qui possédaient le savoir nécessaire à la résolution du problème qui nous occupait. Mais elles ne furent pas les seules. D'autres personnes, au cours de l'Histoire, se sont plongées si profondément dans le savoir occulte qu'elles en sont presque devenues des dieux, pensa mon hôte.

— Personne que nous connaissions. Personne de vivant, repris-je. Mais ces gens ont vécu parmi nous il y a longtemps. Pourquoi ne pourrait-il pas se dresser, de nos jours, l'un de ces gens ?

Je connaissais moi-même la réponse à cette question. Ce n'était tout simplement pas logique. Quelle que fut la personne ; l'une des grandes sorcières, l'un des magiciens légendaires où même le terrible Nécromancien à nul autre pareil, aucun ne disposa à un moment de l'Histoire de pouvoirs innés. Cette personne devait obligatoirement disposer d'un savoir qui, aujourd'hui, reposait dans les Grands Livres ou dans quelque volume interdit. Or, les gens qui possédaient encore l'un de ces ouvrages, je les connaissais presque tous. Aucun ne manquait à l'appel et aucun ne possédait l'érudition suffisante pour me berner. Je pratiquai aussitôt quelques vérifications d'usage, afin d'en être absolument sûr. Nous avions donc affaire à une personne dangereuse. Je connaissais bien le Grand Livre de mon hôtesse pour l'avoir consulté plusieurs fois. Il recelait de dangereux secrets qui pouvaient être utilisés de manières fort différentes. Mais le pire résidait dans le Volume Noir. Ce livre sans nom contenait des secrets dignes des plus ténébreux sorciers et sorcières de l'Histoire. Il dégageait une aura si maléfique que son contenu ne laissait aucun doute avant même de l'ouvrir. Et j'avais osé le faire, ce que sa propriétaire actuelle ne s'était jamais autorisée. Un témoignage de ma folie et de ma faiblesse. Un souvenir des plus vivants me revint alors à l'esprit : le jour où je commis cette folie d'ouvrir les pages de ce terrifiant tome...

Annotations

Vous aimez lire Djurian R ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0