Où je danse mal et c'est tant mieux

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Le jour de la rentrée, j'ai fait le choix de montrer à tous que les rumeurs ne m'atteignaient plus. Ce matin je ne me suis pas attaché les cheveux. A mon goût mes petites bouclettes m'offrent un style original et pas mal du tout. Mathieu et Aziz vont rire mais si on ne peux pas m'accepter avec des coiffures excentriques, c'est qu'on est bête, et je ne veux plus fréquenter des gens bêtes. Ce sera efficace pour voir qui m'apprécie réellement. J'ai ressorti du placard mon vieux sac à dos Spider-Man du collège. En Seconde je n'osais plus le mettre à cause de son style enfantin, alors qu'il est pratique et irremplaçable : il possède deux grandes poches et de plus petites sur les côtés. On y trouve même un espace pour ma gourde, afin qu'elle ne fuie pas sur mes cahiers.

Avec appréhension, je m'avance vers le portail. Le regard dirigé droit devant, je m'interdis d'observer autour de moi. Si des lycéens se gaussent de moi, c'est leur problème. J'aime mon cartable, j'aime ma coiffure, c'est ce qui compte.

Je m'asseois au premier rang en cours d'italien, sans avoir reçu de commentaires désagréables dans la cour. Mes amis me rejoignent. En découvrant ma chevelure, Aziz éclate de rire, et Romain se cache la tête dans son bonnet. Mathieu ôte ses gants et fronce les sourcils:

– Tu retournes au collège? demande-t-il en désignant mon sac.

Je suis blessé par leur réaction. J'espérais plus de tolérance de leur part. Cependant je ne me rétracte pas et répond:

– Non, mais j'en ai assez d'avoir des manuels gondolés et des sandwichs écrasés sous mes cahiers, alors j'ai repris ce sac. Il est bien plus pratique.

Romain et Aziz s'installent à la table de derrière, toujours hilares. Cora passe devant moi sans me jeter un regard.

– Elle a dû te prendre pour une fille avec tes cheveux longs tout ébouriffés! me souffle Romain en gloussant.

Agacé, je décide de répondre, pour une fois:

– C'est possible, et alors?

– Alors, elle ne voudra pas sortir avec toi!

– On ne se connaît pas, c'est normal qu'elle ne veuille pas sortir avec moi. je rétorque en souriant.

Je capte les regards surpris et déstabilisés de mes amis. C'est sûr que je n'aurais jamais osé leur réplique cela deux semaines plus tôt. Moi-même j'ai répondu sans prendre le temps de réfléchir à ce que je disais. C'est une sensation nouvelle, qui promet beaucoup plus de liberté.

A la cantine, c'est moi qui choisis où le groupe s'asseoit. Cela ne dérange personne, sauf peut-être Romain qui n'aime pas manger près de la fenêtre. Personne ne se moque de ma coiffure et si des gens me dévisagent, je leur souris puis je leur tourne le dos. Finalement tout se passe mieux que je l'imaginais. Et tant mieux parce que cet après-midi la danse a remplacé la natation. Je n'ose pas danser, parce que je suis maladroit avec mon corps. Si un jour on m'invite en soirée, les gens seront déçus de ma performance. Je ne sais pas danser du tout, même ma soeur qui m'adore roule de rire lorsque nous sommes invités au bal dans ses jeux. Ce moment me fait peur, mais la classe de danse est un très bon exercice pour mettre mon ego de côté et m'affirmer.

La prof de sport nous demande de se mettre par groupe de trois, et d'inventer une chorégraphie de trente secondes. Aziz, Romain et Mathieu me laissent seuls malheureusement, alors je demande timidement à Cora et à Flore si je peux me joindre à elle. Elles acceptent, sans enthousiasme ni hostilité non plus.

– Alors Cora, nous on va se mettre à l'arrière et on va commencer assises dos au public, récite Flore. On va onduler les bras doucement en se relevant, puis on fera volte-face en effectuant une pirouette. Pendant ce temps-là, Raphaël, t'auras qu'à faire ce que tu veux. Et quand on te rejoint, on fera une ronde, mais décalée vous allez voir...

J'imagine divers pas de danse que je pourrais faire seul pendant que les filles danseront de dos. Si personne ne devait me regarder ensuite, je sais ce que je choisirais de faire, mais au lycée c'est trop risqué...

En déviant mon regard j'aperçoit le groupe de Gus. Allongés en boule sur le sol, ils se roulent et se tortillent. Ca me rassure. Si des gens vont faire ça devant les autres, je pourrais danser sans crainte je crois.

En premier se produit la bande de Manon. Elles savent évoluer sur scène; on dirait le travail de véritables danseuses. Vient ensuite le tour de mes soi-disant amis. Ils sont synchronisés, mais je suis content de ne pas avoir pu me joindre à eux finalement... Je ne sais pas si je continuerais à les fréquenter le reste de l'année, considérant la manière dont ils me traitent... La prof nous appelle, c'est à nous.

– Encore trois filles! note la professeure. Ce serait intéressant des groupes mixtes la prochaine fois.

Toute la classe se met à rire, Cora aussi, juste derrière moi. Je me rembrunis, mais j'interviens à mi-voix:

– Je suis un garçon...

– Mais madame, c'est quoi ce sexisme?! C'est un garçon, il s'appelle Raphaël. s'indigne Flore en venant à ma hauteur.

Je retrouve le sourire en voyant l'enseignante se troubler. La classe retrouve le silence et confuse, la prof déclenche la musique.

Flore et Cora se positionnent quelques mètres derrière moi. Je suis seul face à face avec la classe. Je les vois tous qui m'observent, Gus qui me fait un clin d'oeil, Manon et Romain qui me jugent déjà, Aziz et Mathieu qui sourient encore de l'erreur de la prof.

En fixant un point au dessus des élèves, je commence ma chorégraphie en me concentrant uniquement sur mon corps. J'avance en ouvrant un bras puis l'autre, et tourne sur moi-même. Je croise les jambes en sautillant, mime quelqu'un qui tire à l'arc à droite, à gauche. Je découvre, un peu décontenancé, que mes partenaires n'ont pas encore terminé leur partie à deux. Plutôt que de les attendre sans agir, j'improvise complètement la fin. Autrefois je me serais trouvé ridicule, et n'aurais jamais accepté de danser seul devant. Mais Flore me sourit en me rejoignant avec Cora et lorsque nous exécutons l'enchaînement final, je ressens beaucoup plus de bonheur dans cette danse mal effectuée que dans les évènements où je me focalisais sur le regard que les autres porteraient sur mes actes.

-FIN-

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