Visions nocturnes

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Domenico est fourbu car il a chevauché toute la journée. Il voulait rejoindre le domaine du Seigneur Jean de Beaune avant le soir, mais il a mal estimé les distances et se retrouve à la tombée de la nuit en plein milieu de la campagne bourguignonne. Il va lui falloir passer la nuit à la belle étoile. Il soupire longuement et se cherche un petit coin où s’installer afin de se mettre à l’abri. Il jette son dévolu sur une petite clairière où il se construit un petit refuge avec des branches qu’il assemble sous le saule pleureur qui trône à un bout de cette espace de verdure.

Il lance un feu de bois qui bientôt crépite et le réchauffe un peu. L’automne est en train de s’installer et les soirées commencent à être fraiches. Il avale le reste de pain aux asperges qu’il a eu la bonne idée de ne pas manger à midi. Une fois ce repas frugal englouti, il attise le feu et y dépose plusieurs grosses branches qui devraient permettre aux flammes de durer jusqu’au lever du jour.

Il s’installe le plus confortablement possible contre le tronc du saule et il étale sa couverture sur lui, attendant que le sommeil le terrasse. Son regard se perd dans les flammes qui dessinent des ombres au sol, au gré du souffle de vent qui fait valser les végétaux alentours. Il observe le spectacle, hypnotisé par les arabesques qui se dessinent sur le sol.

Les pensées de l’enquêteur italien se mettent bientôt à divaguer au rythme des ombres dessinées par ce feu de camp improvisé. Il commence à voir deux ailes dans ce clair-obscur… Deux ailes qui battent lentement autour d’un corps qui se dessine de plus en plus clairement. Des braises s’envolent et il a l’impression que ces étincelles ne viennent pas du feu, mais bien du museau qui apparait dans les formes de ce qu’il arrive à distinguer de plus en plus nettement comme un dragon.

Domenico se frotte les yeux pour effacer cette vision. Il sort du petit sachet de cuir qu’il porte autour du cou le bijou de Sainte Marthe. Il admire sa forme allongée. Il se demande ce qui se cache dans ce tube doré. Du sang de la Sainte ? Un morceau d’os ? Des cheveux ? Quoi que ce soit, le pouvoir de cette relique est puissant… Les visions ne cessent de venir à lui. Il s’efforce d’imaginer la croix du Christ pour échapper au pouvoir de ce bijou, comme le lui a conseillé le Père de sa bien-aimée. Il parvient ainsi à calmer sa vision nocturne et l’ombre du feu ne dessine plus rien. Soulagé, il remet le bijou dans le petit sac autour de son cou et remonte la couverture jusqu’à son menton, espérant s’assoupir rapidement.

Mais les ombres du brasier se remettent à danser devant ses yeux. Il cherche à regarder ailleurs, mais les mouvements sombres sur le sol l’attirent inexorablement. Cette fois-ci, ce sont des courbes qui se mettent à danser ensemble. Il se dégage une telle sensualité des formes qu’il cherche à savoir d’où viennent ces ombres envoutantes. Il lève le regard et il a l’impression que l’ombre se redresse et se lève, écartant les branches du saule pleureur dans des mouvements ensorcelants. Il retient son souffle devant la vision qui se dessine devant lui. L’ombre a pris la forme d’une femme. Il devrait plutôt dire les formes car les galbes qui apparaissent sont très avantageux. Juste comme il les aime. Bien dessinés. Il devine l’arrondi des seins qui sont une véritable invitation à la caresse, la cambrure du dos qui n’attend que de tendres câlins, les fesses rebondies prêtes pour les baisers… Ou les fessées bien méritées...

Domenico admire la scène qui se déroule devant lui. L’ombre féminine se met à onduler, de manière lascive, une vraie invitation au péché. Son corps réagit au spectacle ainsi offert. Il ne ressent plus du tout la fraicheur ambiante. Un coup de vent un peu plus fort, les flammes vacillent, l’ombre disparait presque. L’italien serait prêt à le jurer, il a vu l’ombre s’accrocher à une feuille du saule pleureur afin de résister à l’effacement provoqué par la brise inattendue.

Il est ravi de voir que non seulement elle a résisté, mais qu’elle s’est renforcée. Il a l’impression de ne presque plus pouvoir voir à travers l’ombre qui prend de plus en plus de consistance. Elle se rapproche de lui et le recouvre totalement. Il sent son être disparaitre et se fondre dans celui du spectre nocturne dont il sent la présence partout sur son corps qui frissonne de plaisir. Leurs essences s’unissent. Il laisse son désir s’exprimer et répond à la chevauchée de son ombre sensuelle par des assauts endiablés. L’instant semble se prolonger indéfiniment. Félicité et volupté voguent dans l’esprit de Domenico jusqu’au moment où, tout à coup, un craquement retentit. Une branche du feu a cédé sous l’effet de la chaleur. Domenico rouvre les yeux. C’est le matin…

L’anneau du plaisir a encore frappé. Mais ce n’est pas Domenico qui s’en plaindra.

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