Une courte vie

6 minutes de lecture

“A l’aide!... Au secours!!” Michel, le brin d'herbe, gigotait de gauche à droite. Le vent s’était levé, les nuages annonçaient le mauvais temps à venir et Michel n’aimait pas la pluie, même si elle le faisait pousser. Il n’était pas le mieux taillé ni le plus gras, mais, au milieu de la touffe, il avait plutôt fière allure.

“Aidez-moi!!...” Comme bien souvent, les rafales lui donnaient l’impression d’être arraché, petit à petit, et de ne rien pouvoir y faire. Ca lui faisait peur, partir avant d’être arrivé à maturité. Il ne voulait pas perdre un jour de sa vie aussi courte soit-elle. Se sentir tiré du sol, s’étirer encore et encore, ça n’avait rien de bon ni de naturel.

“Le voilà encore en panique!” Marguerite, juste à ses côtés, avait étalé ses beaux pétales blancs pour que son cœur jauni puisse être butiné. Ca n’était pas la première fois qu’elle subissait les angoisses de son voisin et à vrai dire, si elle avait pu se déplacer, elle l’aurait fait avec joie, mais en belle petite fleur des champs, elle restait clouée à la place que l’essaimage avait choisie. “Ce n’est que le vent, ça ne va pas durer, arrête de hurler comme ça!

  • Je ne veux pas! Je vais m’envoler!!
  • Mais non, c’est n’importe quoi! Personne n'a jamais été arraché sous une tempête sauf les chétifs ou les plus vieux…
  • Je ne veux pas, j’ai trop peur…
  • Arrête! Tu ennuies tout le monde avec tes âneries!” Effectivement, dans la touffe personne ne lui répondait, chaque herbe essayait de l’ignorer, se tournant autant que possible, pliant à l'excès sous l’effet des rafales, histoire de faire comme si... C’était déjà assez difficile pour soi-même...

Un peu plus loin, les coquelicots, tout comme les pissenlits ou les autres marguerites, tentaient de faire fi de ce qui se disait. En somme, tout le monde en avait effectivement ras-le-bol des plaintes de Michel.

Mais le brin d’herbe n’y pouvait rien, c’était une véritable phobie, une idée fixe de finir sa vie prématurément, tout ça à cause du vent.

En plaine, sur le versant nord d’une montagne, Michel, tout comme ses acolytes vivait en toute tranquillité. Rares étaient les promeneurs et jusqu’à présent, personne n’avait foulé cette étendue d’herbe. Les quelques randonneurs suivaient généralement, bien sagement, les chemins balisés. Michel ne craignait donc pas les venues impromptues, les chaussures à crampons qui, inévitablement, mettaient fin à une existence de délices.

Bien sûr, Jeanine, sa voisine lui avait conté l’histoire de l’herbe des villes qui, en plus d’être souillée par la pollution, connaissait les déboires des piétons qui marchaient inlassablement sur les pelouses où elle poussait, laminant les brins sans aucun scrupule. Sans parler des parties de foot ou des joggings matinaux qui fauchaient, lacéraient ceux qui avaient résisté, rompant alors les dernières attaches... Une horreur dont lui se tenait loin. En y pensant, il ne pouvait réprimer un rictus de dégoût: “Comment rester serein avec une telle destinée?!”

Il les voyait presque, les sentait mugir sous les assauts, injurier les malotrus, pleurer sous les coups qui pleuvaient. Certainement que rien ne repoussait là-bas, matraqué par les allers et venues incessants des hommes. Et si ce n’était pas eux, il s’agissait des véhicules qui, sous leur poids imposant, ne laissaient qu’une maigre chance à l’herbe de se redresser, enfoncée dans la terre comme elle l’était, encastrée, fossilisée. Pourtant, il n’y a aucun doute, l’herbe est dotée d’une consistance toute particulière et sait très bien s’adapter aux aléas. Il lui faudra du temps mais elle repoussera même dans les endroits où le béton a pris toute son ampleur et érigé sa loi. Peu lui importe, c’est naturel, se répandre pour continuer à exister et ça marche plutôt bien, il suffit d’observer pour la voir pousser dans les endroits les plus invraisemblables.

Michel se souvenait parfaitement des nouveaux venus, des derniers nés ou encore de ceux qui sont ainsi déposés. Il se rappelait aussi parfaitement de ceux piétinés par quelques animaux sauvages et qui arrivaient, à force de volonté, à reprendre leur position initiale. L’adaptabilité est essentielle à la survie d’un brin d’herbe, une évidence et les exemples ne manquaient pas, Michel les gardait en mémoire et restait complètement épaté par tous ceux qui montraient une telle force.

Mais voilà, lui ça n’était pas son cas. Michel était un peureux, une flipette, une herbe qui manquait de caractère. Impossible de s’imaginer au milieu des pelouses des villes, il serait déjà mort d'asphyxie, impossible aussi de faire partie d’un parterre de jardin, comment résister à la tondeuse ou aux courses folles des gamins? De même pour les espaces verts ou les parcs, victimes de leur succès au nombre de promeneurs qui foulaient sans vergogne tout ce qui se trouvait sous leurs pieds. Non, une chance, Michel faisait partie de la nature sauvage, abandonnée, perdue sur le flanc de la montagne et ça lui plaisait bien, même beaucoup, s’il n’y avait ce vent bien trop présent.

Oh, bien sûr, il ne se plaignait pas intérieurement. Il se félicitait même d’être si loin de tous ces tracas. Comment aurait-il pu survivre au chien de la maison, creusant des trous un peu partout? Comment ne pas s'inquiéter de la tonte mensuelle ou encore de la piscine placée là, sur un coup de tête, lors d’un été trop chaud? Toutes ces incertitudes sur son avenir, de quoi devenir fou alors il était plutôt content d’être si loin mais voilà, une phobie est une phobie et Michel avait peur de la mort, d’où qu’elle vienne en véritable hypocondriaque.

“Il n’y a aucune raison de paniquer, regarde, le vent se calme déjà.” Effectivement, les bourrasques étaient moins violentes et malgré tout, il se passait quelque chose, il l’entendait dans le sol, comme un grondement sourd mais permanent. Marguerite aussi s’était tue, prise au dépourvu comme toute la plaine. Le bruit était caverneux, comme souterrain et s’amplifiait peu à peu.

“Mais qu’est-ce que…” Michel avait la chlorophylle qui frémissait devant ce vrombissement inconnu. Une frayeur nouvelle naissait, mais cette fois, elle touchait toute l’étendue. C’était comme un tambourinement incessant, une galopade souterraine, une multitude qui s’approchait puis, la cavalcade s’estompa, le piétinement se fit plus clair, les pas plus précis. Devant cette surprise il n’y eut plus un bruissement dans la vallée. Tétanisé, Michel osa un regard vers Marguerite. Elle aussi était immobile, apeurée. Elle lui jeta un regard, empli d’appréhension. Ses pétales, si ouverts à la vie, semblaient se faner à chaque seconde. En temps normal, Michel comme ses compagnons de la touffe lui en auraient fait la réflexion en riant devant son embarras et son air grognon mais aujourd’hui… Le brin d’herbe ne pouvait détacher son regard d’elle, si vulnérable en cet instant, si fragile pour la première fois. Et puis, d’un seul coup, sans qu’il comprenne ce qu’il advenait, elle disparut, dans un souffle, en une seconde, elle n’était plus. Horrifié, Michel ne pouvait détacher son regard, abasourdi, stupéfait. Marguerite n’existait plus, il ne restait aucune trace d’elle, sa place était vide, totalement, et ses compagnes alentour manquaient, elles aussi. Le néant régnait, juste devant lui. Des ténèbres qui ne laissaient qu’une trace transparente et collante à l’endroit de leur passage.

S’il avait pu s’envoler dans le vent, Michel aurait dit oui sans hésitation, mais le mistral ne se déchaînait plus, les éléments paraissaient rire de sa nouvelle détresse.

Michel s’immobilisa. Quelque chose s’était mis à couler sur lui, un liquide visqueux et clair, un peu comme ce qui restait en face de lui, à la place de Marguerite. Son angoisse grandit. Le liquide était lourd et entravait ses mouvements. Il n’eut pas la possibilité de hurler, ni même de plaider sa cause, en une fraction de seconde, un tentacule rosâtre et odorant l’attrapa avant que des espèces de roches noirâtres ne l’extirpent de la terre, ne laissant derrière elles qu’une écume blanchâtre et billeuse.

A ce jour et pour la première fois depuis de nombreuses années, la vallée, après d’âpres discussions fut offerte au retour de la transhumance des troupeaux alpins. Un petit coin sauvage, fleuri, avec de l’herbe bien grasse, fut donné aux vaches des agriculteurs de la municipalité pour leur bien-être et la production de produits de qualité. Il est tellement important de manger sainement! Ni trop gras, ni trop sucré, ni trop salé…

Annotations

Vous aimez lire Plume29 ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0