L'implacable générale

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Une table en pierre trônait au milieu d’une salle prévue pour une réunion. Penchée au-dessus de cette surface rugueuse, la rebelle masquée examinait un schéma esquissé d’un trait grossier. Çà et là, des torches illuminaient les différents Libérateurs groupés pour l’occasion. L’index de leur chef glissait sur le papier lisse pendant que son regard se promenait partout autour d’elle. Dans ce mutisme complet, les inspirations hachées des personnes angoissées troublèrent la placidité. Des pensées brumeuses circulaient d’un individu à l’autre. Ils partageaient ensemble le lourd fardeau du sauvetage d’une ville, acteurs d’une révolution interne. Jaugeant chacun de ses suiveurs, la meneuse indiqua la carte d’une main et enserra l’autre.

— Chers amis, dit-elle, nous progressons dans notre révolution, mais ce n’est pas encore fini. Depuis mon discours sur la place publique, nous avons attiré l’attention de Kurilas Tihan. Même si ses partisans commencent à douter de lui, il n’hésitera pas à déployer toutes ses armées pour nous arrêter. Et je songe à une personne en particulier…

Ses phalanges crissèrent sur la table avant de se fixer sur un bâtiment dessiné sur la carte ébauchée.

— La Générale Olyra Drok, prononça-t-elle sur le ton du dédain. La plus proche collaboratrice de Kurilas Tihan. Elle était aux premières lignes quand ces misérables militaires se sont emparés de Tesserac. Sur son passage, elle a massacré de nombreux innocents dans une satisfaction assumée. D’après mes renseignements, elle est sortie de l’ombre pour nous affronter.

— Si nous voulons vaincre Kurilas Tihan, interrompit une mage novice, il faut d’abord la vaincre, dans ce cas ?

— Perdre Olyra affaiblirait considérablement ses troupes, confirma la chef. Cependant, vous ne devez surtout pas la mésestimer. Elle est puissante, presque autant que son supérieur. C’est une Mage-Guerrière impitoyable, qui n’hésite pas à sacrifier les siens pour son bon plaisir. Triompher d’elle sera difficile, mais cela nous fournira un avantage décisif.

La mention de son statut inquiéta Lusha. Elle arqua les sourcils, tout comme Fleid, avant de faire part de sa perplexité.

— Une Mage-Guerrière ? fit-elle. Je n’ai jamais entendu ce terme avant…

— Tu as encore beaucoup à apprendre, jeune fille, répondit la meneuse. Manier les armes est un exercice difficile auquel tu t’es retrouvée confrontée, comme beaucoup d’autres ici. D’autres pratiquent la magie, un apprentissage encore plus délicat. Seuls des personnes expérimentées peuvent maîtriser les deux domaines. Olyra compte parmi eux, idem pour Kurilas. Voilà l’une des raisons de leurs triomphes, à l’époque de leur conquête.

Tant d’informations risquaient fort de démoraliser les Libérateurs pourtant convaincu du bien-fondé du plan. Ainsi, la rebelle masquée éluda les interrogations en enfonçant son doigt sur le bâtiment désigné.

— Demain, projeta-t-elle, nous envahirons cet entrepôt. Nous avons deux intérêts à nous y rendre. Premièrement, les soldats stockent la plupart de leurs armes à cet endroit : si nous les détruisons, alors leur puissance sera sensiblement amenuisée. Mais cet entrepôt se situe à proximité du centre. L’agrandissement de notre influence a eu pour défaut de réduire notre discrétion. Comme Olyra est très futée, elle se doutera que notre prochain plan consistera à attaquer ce bâtiment. Usons de ce fait à notre avantage. Le château du tyran est étroitement surveillé, nous ne pourrons le prendre d’assaut par les entrées conventionnelles. Or, même si notre despote tente de le cacher, les anciens citoyens savent qu’il existe… d’autres entrées. Et Olyra saura où.

Avant de conclure, elle balaya l’assemblée des yeux et s’assura qu’ils saisissent tous les tenants et aboutissants de son projet périlleux. Comme prévu, des hochements de tête discrets succédèrent à des questions concernant la répartition des groupes et leur méthode d’approche. Pourvue d’une âme de stratège, la rebelle masquée leur décrivit précisément la procédure à suivre. Nonobstant sa certitude, les occupants furent taraudés d’une angoisse persistante à l’idée de se mesurer à des adversaires surpuissants. En ce sens, leur sommeil se révéla peu réparateur. Dormant dans la même chambre, Fleid et Lusha ressentirent toute la portée atteinte par leur groupuscule. Aujourd’hui plus que jamais, cette union révélait sa fragilité, pourtant signe de son efficacité. Dans leur conquête de la liberté, les musiciens s’apercevaient de la dangerosité du monde, plus encore qu’ils ne l’eussent soupçonné.

L’obscure clarté vespérale s’abattit sur Tesserac. Au coucher du soleil, les étoiles scintillantes se déployèrent sur la voûte noirâtre, dominant des bâtiments grisâtres. L’entrepôt se présentait au croisement d’un alignement de hauts bâtiments et surmontait une large allée. Après le couvre-feu, seuls les gardes guettaient encore. Au cours de leurs allers et retours incessants, aucun n’était dupe : les citadins soumis s’étaient endormis, mais des présences nuisibles rôdaient dans les parages. Désormais, connaître une nuit paisible relevait du miracle.

De légers effleurements sur les murs cadençaient les pas feutrés. Une odeur singulière purifiait les environs. Les bâtons enflammés inondaient les alentours d’un halo jaunâtre. Vrombit alors les lourdes portes ferrées de l’entrepôt tandis qu’un goût amer débordait de la bouche des soldats. Sans s’éloigner de l’entrepôt, leurs craintes se trouvèrent avérées. D’abord des dizaines, puis des centaines de rebelles envahirent les lieux, tel un soulèvement de masse.

L’influence grandissante des rebelles s’accordait avec leur progression. Ils ne se méprenaient plus à une cohue de jeunes désorientés, mais à une véritable troupe organisée que seule la ténacité militaire pouvait ébranler. Leur entrée s’effectua à toute vitesse : s’immiscer dans ce long dédale de salles et s’y repérer ne leur posèrent aucune difficulté. En revanche, des troupes imposantes de soldats entravaient leur intrusion, aboutissant à des duels sanguinaires. Une fois encore, le métal chuinta et l’hémoglobine saillit. Les uns protégeaient corps et âme leurs biens, les autres s’évertuaient à les détruire. À cet effet, des mages se glissèrent au milieu des groupes de guerriers : ils jetèrent des rayons incandescents sur les caisses disposées à même les râteliers. Les corps choyaient au rythme des cris véhéments, le désespoir montait à l’enchaînement de décès et les larmes étaient ravalées au profit de la rage. Au sein de cet entrepôt, personne n’était épargné, l’affrontement atteignait son paroxysme.

Émergeant de ce milieu dissident, la rebelle masquée traçait habilement son chemin et laissait un sillon de sang sur son passage. Face à tant d’oppositions, ses suiveurs peinaient à rejoindre ses mouvements. Derrière la femme qu’ils admiraient, Lusha et Fleid se défendaient contre des partisans forcenés et se voyaient obligés de les transpercer de leur épée pour s’extraire de ces obstacles. Autour d’eux, leurs camarades succombaient les uns après les autres, et la vue d’une telle quantité de fluide vital les révulsa. Mais ils ne fermèrent pas leurs paupières ni ne détournèrent le regard. Ils ravalèrent juste leur dégoût et s’élancèrent opiniâtrement pour mettre un terme à ce massacre perpétuel.

Soudain, une silhouette sinistre se découpa dans l’obscurité. Une femme grande au regard transperçant s’avançait vers les jeunes rebelles, la démarche aussi souple qu’inflexible. Tout son environnement paraissait insignifiant en comparaison, de l’amoncellement de caisses d’armes jusqu’à la bande de soldats qu’elle dirigeait d’une poignée de fer. Une cape écarlate suivait ses mouvements, et le bruit régulier émis par ses guêtres en cuir révélait peu à peu une combattante terrifiante. Un être capable de tétaniser quiconque croisait ses yeux violets d’une intensité sans pareille. Un surcot smaragdin pavoisé d’un poing brandi sur fond gris encadrait ses manches bouffantes, cohérent avec son gabarit svelte. Sa figure carrée était striée d’une longue balafre mise en exergue par ses franges argentées. Un visage détonnant, témoin d’une carrière prolifique dans le milieu.

La vision d’une générale glaçante cloua les rebelles sur place. Peu importait leur faculté d’adaptation, ces jeunes individus étaient confrontés à leurs pires frayeurs, face à une adversaire plus insurmontable que tous leurs précédents obstacles. Lusha et Fleid comprirent la frayeur dans laquelle la pièce baignait. Leurs propres épées vibraient de concert avec leurs mains tremblantes tandis que la transpiration dégoulinait de leur front. Seule leur meneuse demeurait insensible par-devers son ennemie. Armée de cet aspect propre, Olyra Drok identifia ses cibles, l’œil plissé, et les toisa longuement.

— Voici donc les Libérateurs, ironisa-t-elle d’une voix froide. Mais qui êtes-vous, au juste ? Des forgerons, des tailleurs, des artisans, des alchimistes, des guérisseurs… des musiciens ? Vous n’êtes rien de plus que des jeunes idéalistes naïfs, rêvant d’une société que vous n’avez jamais connue. Vous vous êtes procurés des armes, vous avez tué quelques-uns de nos soldats, vous avez lancé des discours de ralliement. D’accord, suis-je censée vous féliciter pour ça ? Votre raison a été détruite, il ne reste qu’un semblant de passion. Pourquoi suivre une chef trop couarde pour montrer qui elle est ? Vous êtes si candides… Vous me faites pitié.

— Abattez-la ! s’égosilla une archère. Elle n’a pas d’armure !

Elle fut la première à exécuter sa suggestion, ce qu’elle regretta aussitôt. La tireuse décocha une flèche qui fusa à haute vélocité avant de s’arrêter net. Armée d’un sourire malsain, Olyra saisit ses deux masses d’armes accrochées à sa ceinture dorée et poussa un cri. En un instant, des éclairs pourpres sillonnèrent sur le manche. La générale pointa l’archère, et la foudre suivit une ligne droite. Puis il y eut un atroce vrombissement, si rapide que personne ne put sauver la victime. L’archère s’écroula net, les poumons perforés. Une fumée blanchâtre s’exhalait de son trou béant, l’effluence d’une vie détruite en un rien de temps. Autour du corps de la pauvre jeune femme, les Libérateurs écarquillèrent les yeux, ouvrirent grand la bouche et laissèrent leur fureur s’exprimer à leur place, quoique modérée par leur peur. Devant eux, Olyra se permit même un rire sardonique, histoire de les narguer davantage.

— Erreurs de la nature, je vais tous vous tuer, menaça-t-elle. Votre prétendue indocilité était à prévoir après la politique nataliste instaurée par notre dirigeant. Il souhaitait former une nouvelle génération abondante, ce qui impliquait beaucoup de procréations. Voilà pourquoi je n’aurai aucun scrupule à vous tuer. Au contraire même, je vous hais, jeunes imbéciles, et je crois avoir mérité mon moment de plaisir.

Toutes les armes furent brandies, amorce de la lutte à venir. En position de domination, Olyra jaugea une dernière fois ses adversaires et s’avisa de leur expression atrabilaire.

— Oh, vos regards lancent des étincelles, constata-t-elle. On dirait que je me suis attiré vos foudres, c’est bien.

Sans se tourner vers ses subordonnés, la meneuse chargea des éclairs dans ses armes et leur éructa une instruction succincte.

— Massacrez-les jusqu’au dernier.

— À vos ordres, générale ! s’écrièrent les soldats à l’unisson.

Et l’affrontement prit son envol dans un flot impétueux, Libérateurs contre partisans, adhérents contre rebelles. Proche de leur chef, Fleid et Lusha firent face à des dizaines de militaires déchaînés. Ils unirent leurs aptitudes et parèrent les premières estocades avant de reculer par précaution. Aussitôt, leurs alliés les rejoignirent et allièrent eux aussi leurs compétences afin de repousser leurs assaillants. Les épées heurtèrent les haches, les poings rudoyèrent les os, les cris redoublèrent d’intensité, et des rayons lumineux déchirèrent les ténèbres. À plusieurs reprises, les bardes furent projetés à terre mais se relevèrent à la hâte, la tête secouée. En dépit de leur vue confuse, leur perspective leur offrait une scène nette et âpre. Du métal collisionné jaillissait de fugaces étincelles, incomparables à celles de leur principale opposante. L’allure triomphante, Olyra dédaignait les capacités de ses ennemis. Elle se tenait en retrait, attendant l’arrivée de la rebelle masquée avec un sourire narquois.

— Es-tu digne de moi, jeune séditieuse ? défia-t-elle. Pour rassembler autant de personnes sous une même bannière, il faut disposer d’un certain charisme. Mais le charisme ne fait pas l’habileté.

— Ne me jugez pas, répliqua son adversaire. Vous vous qualifiez de combattante alors que vous guettez à l’arrière de vos troupes. Moi, je me bats devant eux.

En première réaction, la générale se contenta de ciller et de claquer des doigts. Deux épéistes se ruèrent alors vers la rebelle masquée et lui assénèrent une attaque de biais. Cette dernière les bloqua et les écarta tous les deux. Ce faisant, elle s’approcha à pas courts, ses lames dégoulinantes de sang, puis accéléra vers sa cible, les jambes légères et graciles. Des éclairs célères zébrèrent l’air alors que la meneuse plongea sur la militaire chevronnée. Le métal résonna à une fréquence élevée et vrombit dans les oreilles de tout un chacun, à la manière d’une puissante vibration. Sans se quitter des yeux, les deux combattantes se figèrent tout en maintenant la pression, les genoux ployés. Courbée vers l’arrière, Olyra ne flancha pas, et son sourire s’élargit encore.

— Je n’attends pas à l’arrière, précisa-t-elle. J’ai juste besoin d’un peu… d’élan.

Son appui sur le sol lui fournit assez d’impulsion pour s’extirper de la contrainte adverse. Désemparée, la chef des rebelles perdit l’équilibre et devint alors incapable de ralentir la frénésie de la vétérane. À la stupéfaction de tous, Olyra réalisa un bond prodigieux de plusieurs mètres, accumulant de la puissance. Elle atterrit au centre des troupes et abattit ses masses contre la pierre lisse : une secousse brutale ébranla toute la structure et éjecta une dizaine de personnes, alliés comme ennemis. Dans sa lancée, elle écarta ses bras, réceptacle d’une foudre destructrice, et exécuta deux adversaires sur-le-champ. Et la terreur vainquit l’optimisme. Et les hostilités révélèrent le pire de l’humanité.

Les yeux de la générale scintillèrent comme des chandelles survoltées. Faisant fi des dommages collatéraux, elle s’accorda une pause et laissa son flux magique s’écouler dans ses veines. Ses opposants, meurtris de toute part, persistaient à lutter, ce qui vivifiait son cœur galvanique. Qu’ils portassent des armes ou non ne les prémunissaient pas de la douleur des décharges. Adaptée à cette atmosphère, Olyra ne distinguait personne et canalisait ses forces. Nul ne se risquait à l’esquinter, bien que leur animosité leur dictât le contraire.

— Haïssez-moi ! provoqua-t-elle, des étincelles sillonnant ses armes. Soumettez-vous à votre cœur plutôt qu’à votre cerveau ! Grâce à vous, je me rends compte des bienfaits de notre système. La jeunesse doit être réprimée avant tout. Si on lui confie trop de libertés, alors les civilisations sombrent dans la décadence, jusqu’à l’anéantissement total.

Vrillée de fatras, accablée de responsabilités, surchargée de remords, la rebelle masquée contint sa rage et égorgea quiconque d’opposé à sa volonté entravait sa route. Entre l’attraction et la répulsion, elle resserra ses poings sur les poignées carminées et foudroya sa cible de ses yeux imperceptibles.

— Priver les jeunes de leur liberté fondamentale est le plus ignoble des crimes, riposta-t-elle. Ils doivent vivre dans l’épanouissement et découvrir le monde qui les entoure pour mieux préparer les futures générations à l’affronter. Voilà l’une des raisons de notre combat ! Comprenez-vous cela, Olyra ?

— Le chaos au lieu de l’ordre…, marmonna la générale. Un point de vue déraisonnable sur l’avenir. Vous êtes un danger pour la société, et je vais vous occire maintenant !

En un éclair, Olyra terrassa toute notion de bienveillance. Son corps entier guidait le cheminement effréné de la magie de la foudre, elle devint une lumière malfaisante, un vif éclat dans l’obscurité. Pendant que ses subordonnés étaient surmenés, la soldate voyagea d’une cible à l’autre à une vitesse inouïe. Elle fendit le crâne d’un épéiste, broya la jugulaire d’un arbalétrier, puis fonça vers une mage qui lui lança aussitôt une sphère enflammée. Le feu explosa au contact de la foudre, projetant tous les assaillants alentour. Dotée d’une ardeur hors norme, la générale vainquit la fumée, la poussière, pour se jeter contre la combattante, laquelle expira dans une terrible géhenne alors que ses côtes étaient calcinées et son thorax perforé.

Estimant sa victoire acquise, Olyra subit une abrupte désillusion. Ses yeux s’embrasèrent davantage à la vision éblouissante des flammes virevoltantes. Inapte à la maîtriser, les quelques mages pétris de chagrin se vengeaient sur les caisses. À la perte des précieuses armes s’ajoutait les décès des soldats, dépassés de tous les côtés. Érubescente de colère, la générale céda à ses pulsions et se mut de son emplacement délicat. Elle tournoya sur elle-même et étendit ainsi des kyrielles d’éclairs qui frappèrent ses multiples assaillants. Une unique étincelle se rompit au contact d’une rondache soutenue par une guerrière enragée. Dès qu’elle la repéra, Olyra la désigna comme prochaine cible. D’un saut parabolique, elle réduisit drastiquement la distance entre elles deux, puis elle fit éclater le bouclier en une myriade de morceaux. Cependant, la foudre ne s’abattit pas sur la combattante déséquilibrée, car deux personnes vinrent à son secours. Plus déterminés que jamais, Lusha et Fleid calèrent les masses d’arme sur le tranchant de leur lame. Agacée d’emblée par leur résistance, Olyra ne parvint plus à intensifier son flux magique et se reposa sur sa langue incisive.

— Pitoyable ! lâcha-t-elle. Votre meneuse était si désespérée qu’elle a accepté des chétifs tels que vous dans ses rangs. Regrettez votre choix de carrière, maintenant !

Les artistes luttèrent contre les tressaillements et se dressèrent face à la générale, quelles qu’en fussent les conséquences. Néanmoins, contre toute attente, Olyra ne répandit plus le sang. Elle avait beau déployer toutes ses forces, d’autres volontés s’opposèrent à la sienne. Encerclées, elle n’aperçut plus aucun allié et essaya tant bien que mal de se dégager. Une lame manqua d’entailler sa colonne vertébrale, mais elle ripa jusqu’à son épaule droite avant de s’y enfoncer. En s’effondrant par devant, la victime retint un cri de souffrance et lâcha une de ses armes. De prédatrice indomptable, elle devint la proie d’une horde exaltée. Dans un sursaut de conscience, sa magie s’imprégna dans son être et lui insuffla tant d’énergie qu’elle bondit de quelques mètres. En l’air, elle exécuta une roulade arrière avant de se réceptionner d’une main leste.

À présent, Olyra se sentait esseulée alors que des dizaines de dépouilles tapissaient les salles d’une couche vermeille. Des adversaires essoufflés, tailladés, fauchés, mais pourvus d’une âme obstinée. La rebelle masquée s’était emparée de sa masse d’armes et la maniait avec vivacité, de quoi surprendre la générale déstabilisée. Pour rendre honneur à sa cause, elle la fixa simplement. Le souffle lent, l’œil vif, le cœur palpitant.

— Tu ne peux pas me vaincre, affirma-t-elle, crachant du sang. Personne ne maîtrise cette combinaison à part moi !

Brandissant le poing, la meneuse suggéra aux siens de la laisser achever leur ennemie. Les crépitements des flammes aiguisèrent l’instinct d’Olyra qui se focalisa sur une unique cible. Les combattantes chargèrent, et les masses d’arme se cognèrent dans un tintement tonitruant. Alors, des éclairs jaillirent selon des angles dirigés, mais la générale perdit son emprise. La rebelle masquée résistait à tout. La puissance de la foudre ne l’affectait guère, pas plus que la mélodie du métal hurlant. Jusqu’au bout, la vétérane acharnée préserva sa contrainte, parce qu’elle voulait assujettir, triompher à tout prix. Mais les armes s’entrechoquaient, encore et encore, et plus rien ne la protégeait. Après d’autres collisions, la foudre émergea dans un ultime murmure. La femme mystérieuse repoussa son adversaire d’un coup de pied puis lui jeta un rayon d’éclairs qui atteignit sa poitrine. Olyra s’affaissa sur le dos, les membres étendus, le souffle des flammes soulevant ses mèches. Son halètement paraissait pathétique en comparaison de la marque torturant son torse. Avant que les rebelles ne criassent victoire, ils triomphèrent des derniers partisans, certains ayant déjà décampé suite à la défaite de leur supérieure.

Abattue de honte, la générale déchue se perdit un instant dans le chuintement des flammes. Une étincelle de vie subsistait dans son regard, lueur dont la chef ne souhaitait pas s’emparer.

— Savoure le goût de la défaite, nargua-t-elle. Tu auras bien le temps de digérer…

— Vous ne la tuez pas ? s’indigna un soldat. Elle le mérite, combien d’amis allons-nous devoir enterrer aujourd’hui ?

— Une victoire amère, je le concède. Mais Olyra Drok est la seule personne qui pourra nous dire comment gagner cette rébellion. Et elle nous le révèlera bien assez tôt.

La rude confrontation s’éteignit avec les flammes, laissant un souvenir immortel dans le cœur des survivants. Des armes jadis affûtées, il ne substituait plus qu’une nappe de métal fondu. Heureusement, le feu contrôlé n’avait pas rongé les murs au-delà de l’entrepôt. Bien que la propagation de l’incendie fût endiguée, une âcre odeur tourbillonnait dans l’air glacé de la sorgue. Ainsi, les citadins assistèrent eux aussi, depuis leurs lucarnes caduques, à l’affrontement, et leurs yeux horrifiés eurent beaucoup de peine à supporter autant de tueries. Et la lumière du brasier disparut à l’apparition de la lueur diurne.

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