Chapitre Deux.

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(Attention, ce chapitre est écrit d’un nouveau point de vue)

2. Rêves.

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Le vent frais fait virevolter mes longs cheveux, les rayons du soleil parsèment la clairière qui me fait face pour venir s’échouer sur mes jambes. Je laisse sa chaleur m’entourer, me réconforter, m’apaiser. Je n’ai jamais vu de plus beau décor, et je me sens bien, je me sens libre. J’inspire profondément l’air pur de la forêt et des fleurs sauvages qui m’encerclent et soupir de bien-être. Il n’y a pas d’endroit plus calme sur terre. Seul le chant des oiseaux vient donner une touche plus romantique à ce paradis. C’est mon cocon, le lieu où j’aimerai passer ma vie, et même mourir. Il n’y en a pas de meilleur. Je sais qu’ici, je serai heureuse pour toujours. Je cueille une anémone et admire la pureté de sa couleur tirant vers la fin du pétale sur le violet.

Soudain, les oiseaux ont cessé de chanter, le soleil quitte peu à peu mes jambes, l’air se refroidit. Je regarde autour de moi si quelque chose explique ce phénomène, mais je suis seule. J’entends pourtant des pas approcher et je sursaute lorsqu’un frottement se fait sentir sur ma main. L’anémone est fanée et a perdu sa couleur blanche pour laisser entre mes doigts un tas de cendres. J’ignore ce qu’il se passe, mais je me lève rapidement et observe la scène, comme étrangère à celle-ci. La clairière laisse peu à peu place à un sol brûlé, qui avance dangereusement vers moi. Je sens le froid, la chair de poule hérisse mes poils, la terreur me force à me tenir droite. Mes mains tremblent, mes jambes menacent de me laisser tomber, mais je suis paralysée. Et dans cette nuit sombre qui m’absorbe, un hurlement à glacer le sang déchire le ciel, avant que la foudre ne frappe à mes côtés.

C’est la musique de mon réveil qui me tire de ce songe étrange. Je mets plusieurs minutes à trouver mes repères et me rassure finalement d’être dans ma chambre. Protégée entre ces quatre murs entre lesquels j’ai grandi. J’éteins l’alarme et réalise que cela fait dix bonnes minutes qu’il sonne lorsque je regarde l’heure. Je m’extirpe difficilement de sous ma couette, enfile mes chaussons molletonnés et rejoins la cuisine, d’où une délicieuse odeur de café se fait sentir. J’embrasse tendrement la joue de ma mère et me sers une tasse.

— Bien dormit ma chérie ? me demande-t-elle doucement.

— Ça va, j’ai fait un drôle de rêve, mais ce n’est rien, pas vrai ?

— C’est de plus en plus fréquent, non ? s’inquiète-t-elle.

Je la regarde par-dessus le récipient en réfléchissant. Elle n’a pas tort. Mais ce ne sont que des songes, alors pour lui répondre, je hausse simplement les épaules.

— Peut-être que c’est le stress de l’entretien ? insiste-t-elle.

J’éclate de rire devant son air si sérieux. Ses yeux azur, se reflétant aux miens, s’arrondissent de surprise. Ma mère est une très belle femme, une grande blonde, un visage fin, et une silhouette svelte grâce à ses cours de yoga. Dans son tailleur — trop strict à mon goût — et avec ses cheveux relevés en un chignon parfait, cela lui donne une mine autoritaire, même si c'est la femme la plus douce au monde. C’est la personne qui compte le plus à mes yeux, c’est mon repère.

— Ne te fais pas de souci, la rassuré-je. Moi, je ne m’en fais pas, dis-je avec un clin d'oeil.

— Tu ferais mieux pourtant, avant d’arriver en retard, m’informe-t-elle en souriant et pointant l’horloge de son index fin.

Et en effet, si je ne termine pas mon café rapidement pour me préparer, je le serai. Je mets la tasse vide dans l’évier avant de courir dans la salle de bain, une douche chaude pour finir de me réveiller et me donner la pêche. Je sèche mes cheveux et les laisse détaché, j’enfile un pantalon blanc avec un petit chemisier rose et dépose une bise sur la joue de ma mère — qui n’oublie pas de me souhaiter bonne chance — et quitte l’appartement.

Dans les rues de la Capitale, l’ambiance chaleureuse se fait ressentir. Les vacanciers profitent des derniers rayons de soleil du mois de septembre. Les potentiels clients flânent sur l'avenue pavée, les restaurateurs installent les terrasses pour les personnes qui aimeraient déjeuner à l’extérieur. Je salue presque tout le monde puisque je les connais depuis l’enfance. Grandir ici a été enrichissant, il y a énormément de touristes et d’ethnies différentes que nous avons l’impression de voyager avec eux. J’arrive devant une immense bâtisse aux briques blanches, qui fait l’angle de la rue Öde et Forbannet et admire la devanture. Il n’y a pas à dire, c’est très chic. J’hésite quelques instants à entrer. Pas parce que j’ai peur, mais parce que je suis surprise de la tournure des événements. Tout semblait bien parti jusqu’à ce que je reçoive un message hier soir, me demandant finalement de passer un entretien.

Je souffle un grand coup et m’introduis dans l’entrée. Celle-ci est spacieuse et lumineuse grâce aux murs peints d’une couleur pistache. Il y a disposé dans les coins des bambous, rendant l’atmosphère zen. En face de moi se tient un beau bureau droit agrémenté d’un angle clair et satiné. Je m’avance doucement et glisse mes doigts sur le rebord de celui-ci constatant à quel point la surface est lisse. J’aperçois une silhouette approchée et je me redresse instantanément.

— Je suis désolé pour le dérangement, s’excuse la personne en arrivant.

— Ce n’est rien Jace, dis-je en lui faisant une bise, ta collègue a raison de vouloir me rencontrer et me faire passer un entretien.

— Je l'aurai bien évité moi, crois-moi, rit-il.

— Encore en train de dire du mal de moi ? nous apostrophe une voix féminine derrière lui.

— Moi ? s’exclame-t-il faussement étonné. Jamais voyons !

Jace se place à mes côtés en dissimulant son sourire et je peux enfin découvrir la mystérieuse inconnue. Je suis éblouie, cette femme est juste... splendide, c’est le premier mot qui me saute à l’esprit. Ses longs cheveux ondulés de jais entourant son visage rond, son teint diaphane, ses yeux charbonneux, mais vifs et ses fines lèvres recouvertes d’une magnifique couleur bordeaux qui illumine le tout. Sa silhouette athlétique avec une belle poitrine que sa robe affirme tandis qu’elle s’élargit le long de sa taille. Et ses hauts talons lui permettent de s’affiner quelque peu. Elle s’approche de moi, tandis que je reste scotchée sur place. Elle semble avoir tellement d’assurance, pourtant lorsque je serre sa main, je sens sa moiteur et je remarque aussi qu’elle mordille sa lèvre inférieure de gêne.

— Bonjour, je suis Opaline, la collègue de Jace, vous devez être Coraline ? glisse-t-elle d’une voix si douce que je me demande si je ne rêve pas.

« Allez reprends toi Cora, oui elle dégage une aura de confiance qui mettrait n’importe qui à terre, mais toi aussi, tu peux le faire, m’encouragé-je. »

— Oui, c’est moi, dis-je en souriant. Jace m’a tellement parlé de vous.

— C’est vrai ? rougit-elle. Il parlait aussi beaucoup de vous lorsqu’il revenait à Fordommer, avoua-t-elle d’un petit sourire. Je suis désolée de vous faire venir, mais… J’avais besoin d’être sûre que vous conveniez au poste, vous comprenez ? hésite-t-elle.

— Bien sûr, je n’y vois aucun souci rassurez-vous, affirmé-je.

Aussitôt, je remarque ses épaules s’affaisser. Était-elle si tendue que cela de me rencontrer ? En l’observant de plus près, je constate que ces yeux en amandes sont légèrement cernés. Je note aussi son petit grain de beauté sous son œil droit. Elle semble — presque — fragile de si près.

— Venez, nous allons boire un thé et discuter de ce travail plus en détail, dit-elle en m’invitant à la suivre.

Je traverse un long couloir de la même couleur de l’entrée où de chaque côté se trouvent deux portes en bois fermées. Au fond, il y a une porte kaki qu’Opaline ouvre pour pénétrer à l’intérieur et se diriger vers la bouilloire.

— C’est la salle de pause, explique-t-elle. En général, nous mangeons ici le midi, mais si tu préfères, tu pourras déjeuner en ville, conclut-elle.

— Euh attendez, dis-je surprise, je suis engagée ?

— Bien sûr, rit-elle. J’ai étudié votre CV et je vous connais plus ou moins par l’intermédiaire de Jace, s’il vous fait confiance cela me va.

Je m’installe sur une chaise abasourdie. Moi qui prévoyais un entretien dur et aux nombreuses questions pièges, je ne l’avais pas vu venir celle-là.

— Je suis vraiment désolée, s’excuse Opaline tandis que Jace s’assied face à moi. J’avais… Je ne voulais pas que quelqu’un que je ne connaissais pas dans ce lieu qui représente beaucoup à mes yeux, explique-t-elle.

— Il n’y a pas de problème, rassuré-je. Cela aurait fait bizarre de se rencontrer parmi les patients, nous n’aurions pas eu une minute pour parler et apprendre à nous connaître comme nous allons le faire là, argumenté-je.

Voyant sa mine contrite laisser place à un petit sourire, je comprends que j’ai visé dans le mille et me détends aussitôt.

***

Je suis attablée dans le restaurant de Gustavo, qui prépare les meilleurs dés de saumon à la ciboulette. Je repense à la rencontre avec Opaline et au déroulement du faux entretien. Une fois les thés servis, j’avais l’impression d’avoir toujours fait partie de leur équipe. Opaline est restée quand même très discrète, mais Jace a su à lui seul mettre l’ambiance. Je secoue la tête en revoyant son imitation très peu réussie — d’après Opaline — d’une de leur ancienne voisine à Fordommer. Je bois une petite gorgée de vin blanc et admire le restaurant. Toutes les tables sont recouvertes d’une nappe rouge aux rayures vertes. Les murs crépis d’un jaune pâle offrent de la luminosité à ce lieu. Et les poutres en bois apparents du plafond lui donnent de la chaleur. Je profite de l’attente de mon plat pour cette fois-ci regarder les clients. Ils sont peu nombreux, mais on peut vite remarquer que tout le monde passe un excellent moment. Les fourchettes piochent dans les assiettes avec envie. Gustavo a toujours eu ce don. On voit que c’est la passion qu’il porte à son travail qui les rend si uniques. Mais dans ce décor convivial, une silhouette se démarque des autres. Un homme attablé seul dans un coin reculé et peu lumineux semble lui aussi être perdu dans ses pensées.

Son corps recroquevillé sur lui-même, il prête attention à ce qu’il n’ait aucun contact physique ou bien même visuel avec qui que ce soit. Il mange doucement sa brochette de flétan et crevette, quand sa tête se relève pour regarder dans ma direction. Aussitôt, j’attrape mon verre pour boire et ainsi détourner les yeux.

« Bravo, Cora, tu as été trop insistante à le détailler de la sorte. » me maugréé-je.

Sven apporte mon plat que je me hâte de déguster. Le poisson fond en bouche, la sauce est délicieuse que je n’en laisse pas une goutte. Je finis mon verre de vin et demande la note que je règle avant de rentrer chez moi. Je me balade un peu dans les rues, profitant de l’air doux, la pleine lune éclairant le chemin qui me ramène à l’appartement. J’entre silencieusement et remarque qu’il n’y a pas de lumière. Soit ma mère n’est pas encore de retour, soit elle s’est déjà au lit. J’opte pour la seconde idée lorsque je me rends dans la cuisine pour boire un verre d’eau et que je vois la casserole dans l’évier. Je suis rassurée de la savoir ici et décide d’aller me coucher. Même si je commence le travail dans trois jours, je veux être en forme. Et profiter de mon week-end pour me prélasser soit devant mes séries, soit dehors sur le bord de la plage. J’aviserai selon le temps. Je m’installe dans mon lit froid et me blottis contre la couette avant de rejoindre Morphée.

Je suis plongée dans la clairière. Cette fois, le soleil a laissé place à la lune et j’essaie d’avancer à tâtons dans le peu de lueurs qu’elle m’offre. Je vois qu’au loin ses rayons sont plus fort et cherche à les atteindre en faisant attention à ne pas me blesser. Une fois au centre de la lumière, je peux admirer le décor qui se dévoile à moi. La rivière scintille, les lucioles virevoltent autour de mon corps. C’est presque aussi féerique qu’en plein jour. Dommage que les fleurs soient closes. Je me sens calme et bizarrement, j’ai l’impression que la lune me protège, qu’avec elle je ne risque rien. Ce n’est pas la même sensation que lorsque le soleil caresse ma peau et me charge de bonnes ondes. Là, c’est elle qui a tout en main.

J’entends une respiration lourde, un sanglot étouffé. Je cherche des yeux d’où ce son provient et finit par remarquer un pied d’un chêne une silhouette en boule. J’essaie de m’approcher, mais un grognement résonne. J’aimerais aller voir de plus près et venir en aide à ce qu’il se trouve là, à quelques mètres de moi. Mais les rayons de la lune m’en empêchent. Ils font barrières alors je décide de m’asseoir dans l’herbe humide. Peut-être que ce qui me fait face bougera. Mais rien ne se passe si ce n’est cette respiration qui ne cesse de s’alourdir comme l’air autour de nous. Je commence à transpirer, puis arrive la suffocation semblable à un étau qui se resserre sur ma gorge. Les larmes me montent aux yeux tandis que je remarque que les rayons de la lune s'éloignent et ne m'offrent plus leur précieuse protection. Et ce qui se trouve face à moi remue, mais la seule chose que j’aperçois à travers mes yeux larmoyants, c’est un regard rempli de trahison qui me percute de plein fouet.

Je me sens secouée, et lorsqu’une douleur fulgurante vient se heurter à ma joue, je quitte ce décor sinistre pour entendre des hurlements.

— Réveille-toi Cora ! Bon sang réveille-toi ! sanglote ma mère.

Lorsque je réalise que je suis dans ma chambre, j’inspire tout l’air possible comme si je sortais la tête de l’eau après une longue apnée.

— Oh par Helgener, tu respires enfin ! soupire-t-elle de soulagement.

— Maman ? questionné-je difficilement.

— J’ai eu si peur ! J’ai entendu du bruit et… et… Quand je suis entrée ! Mais par Helgener, tu n’as rien !

Les bras fins de ma mère m’étouffent contre elle, mais à cet instant ce n’est pas le plus important. Je suis heureuse de sentir sa présence réconfortante à mes côtés. Mais je sais que ce sera de courte durée. J’inspire et expire profondément, pour calmer le rythme effréné de mon cœur. Mais je suis incapable de ralentir celui de mon cerveau qui m’oblige à me remémorer ce rêve troublant. Et petit à petit, le message crypté se délie. Et je sais que quelque chose a été brisé et que j’ai perdu.

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