Chapitre VII la destinée manifeste troisiéme partie

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Odette marchait vite, les rues vides de cette partie de la ville étaient mal éclairées. Les beaux quartiers étaient dépassés, le ghetto de Five Point n’était pas loin. Heureusement il était là, sur le trottoir d’en face, elle ne voyait plus que lui ! Hans l’attendait, il avait fini sa journée de travail plus tôt et n’avait pas rejoint les autres ouvriers qui se rinçaient le gosier au tord-boyau. Il n’aimait pas ça !

La petite blonde s’était lovée dans les bras de son géant, elle riait fort maintenant, et parlait beaucoup.

— Nous sommes bientôt chez moi, encore quelques marches à grimper et nous y serons, Hans habite à deux pas de là, ce gros nigaud préfère patienter jusqu’au mariage, il ne sait pas ce qu’il perd, il faut dire, je devrai me méfier, il est toujours fourré à l’église, il va devenir prêtre si ça se trouve !

Le gaillard ne répondit pas, sûr de lui et de sa force il souleva la blondinette comme si elle était une brindille et s’enfuit au grand galop. Odette posée sur l’épaule du géant n’en menait pas large, elle riait cependant à gorge déployée !

— Ho, Hans, je t’en prie…

— Tu verras, pendant la nuit de noces, si je suis un curé !

Ils arrivaient enfin devant l’immeuble, Hans déposa son fardeau et descendit dans la cave, il en revint avec un grand seau en ferraille rempli des pierres noires. Il vit l’interrogation dans les yeux du provençal et dit alors :

— Anthracite, ça brule mieux que le bois, et ça chauffe plus vite une pièce. Par contre, il faut éviter d’en mettre partout, car c’est très salissant. Mais c’est tellement pratique ! C’est avec ça qu’ils font rouler les trains maintenant.

Jean-Thomas lui proposa de l’aider, l’autre refusa, et hissa la charge sur son épaule comme s’il s’était agi d’un sac de plume. Il monta les escaliers quatre à quatre en soufflant fort, le provençal avait du mal à le suivre. Ce Hans, pensait le Varois, il vaut mieux l’avoir dans son camp.

***

Le poêle à charbon diffusait une bonne chaleur dans le petit appartement. Bientôt, il ferait même trop chaud. Odette se leva et prépara le café. Il fallait beaucoup de café pour tenir une discussion qui durerait sans doute une grande partie de la nuit. Hans sortit une carte, l’étala devant lui, tous se rapprochèrent un peu plus, leurs têtes se touchaient, Odette qui pépiait comme un moineau l’instant d’avant s’était tue, la belle voix grave de Hans maintenant occupait tout l’espace.

— Il y a plusieurs routes possibles, celle que j’ai choisi pour Odette et moi je ne sais si elle sera la plus rapide, mais elle sera la moins chère et la plus directe. Avec une bonne paire de chevaux bien robustes, nous devrions couvrir les 1200 miles de New York à Saint Louis en quarante jours, donc il faudra compter environ deux mois ! Qui veut aller loin ménage sa monture.

À Saint Louis nous troquerons nos canassons qui seront bien fatigués, contre un couple de bœufs et un solide chariot, ces bestiaux, ça n’avance pas ! c’est un animal résistant, mais lent. 3 ou 4 miles à l’heure, c’est sa vitesse de marche, à 5, ça court. Encore quinze à vingt jours pour arriver à Indépendence, au bord du Missouri, c’est la dernière ville de la frontière. Il faudra acheter le lard, le café, les haricots, la farine, le saindoux… Dans trois mois si tout va bien nous serons à Indépendence, là débutera la piste !

Jean Thomas était abasourdi, trois mois, c’était trop long. Il avait parlé avec des dockers, des hommes qui fauchés comme les blés, avaient tentés l’aventure de la ruée vers l’or et sagement voyant que la fortune n’avait pas été au rendez-vous étaient revenus heureux de ne pas avoir laissé leur peau dans ces régions désolées. Il se remémorait surtout ce qu’avait dit Jonas, l’un d’entre eux !

— Petit, de cette sierra si tu peux ne t’en approches pas, si tu réchappes aux Indiens, à la soif, à la faim, aux maladies et aux serpents tu auras de la chance. J’étais marin avant cela, j’étais sur le Marie Galante, j’ai doublé le cap Horn trois fois, on était secoués dans tous les sens, mêmes ceux qui ne croyaient en rien priaient Dieux ! Mais ces montagnes, cette Sierra Névada, c’est la pire salope que je n’ai jamais connue. Même l’enfer ne doit pas être plus terrible !

Il lui avait alors raconté cette tragédie, ces colons qui voulant prendre un raccourci avaient perdu beaucoup de temps et étaient arrivés trop tard.

— Les pauvres ils n’ont pas eu de chance, juste avant le dernier col ils ont étés bloqués par le blizzard et les congères de glace.

Ils y ont laissé leurs peaux, eux. Tous ceux qui sont passés par là me l’on dit : Au printemps c’est la pluie qui t’emmerde, toutes les rivières sont en crues au Kansas. Et si tu perds trop de temps sur la route, tu seras coincé aux pieds de ces fichues montagnes, l’hiver arrive vite dans cette région, un jour tu sues comme un âne, le lendemain tu te réveilles avec de la neige jusqu’aux genoux. Bon courage, mon garçon, si tu cherches un travail, ils ont toujours besoin de dockers, tu as l’air solide et pas crétin, tu ferais l’affaire. Mais si tu préfères crever chez les sauvages, ça te regarde, adieu l’ami !

Maureen s’inquiéta brusquement, Jean-Thomas ne paraissait pas bien, il avait les yeux dans le vague et transpirait abondamment, il faisait bon, presque chaud dans cet appartement, mais pas à ce point-là ! Elle le bouscula, Hans qui faisait l’inventaire du nécessaire à emporter se tut lui aussi. Tous les regards étaient tournés vers le Martinérois qui s’en rendant compte sortit de sa transe !

— E… ex... excusez-moi, j’étais loin, loin… très loin !

— Ou était -tu mon amour, lui demanda la jolie rousse !

Alors Jean-Thomas raconta… Ses peurs ses doutes. Sa rencontre avec Jonas le docker !

— Lorsque nous avons débarqué, il y a peu, je savais déjà que ce pays était immense !

Mais je ne pensais pas qu’il l’était à ce point. Trois mois pour aller à Indépendence, quatre à six de plus en roulotte, pour traverser le territoire des Indiens. On m’a dit qu’il fallait commencer la piste à la fin du printemps au plus tard… que mi-mai c’était vraiment la date limite, qu’après ça pouvait nous faire arriver courant octobre, début novembre. Et qu’à cette période il pouvait neiger abondamment !

— Oui, reprit Hans qui avait longuement potassé le voyage, ton raisonnement est bon, donc tu le sais probablement déjà, nous devrons nous arrêter à Indépendence, puisque nous y parviendrons en juillet ou en aout !

À l’évocation de la date, les deux jeunes femmes, les deux futures mariées s’insurgèrent, elles qui n’avaient pas pris part à la discussion s’entrecoupaient la parole toutes deux ! Apparemment, Hans n’en avait pas parlé à sa douce et tendre. Cette dernière avait troqué sa mine réjouie d’éternelle optimiste et arborait à présent un regard mauvais ! La brioche furieuse s’exclama d’un ton qui n’admettait aucune critique :

— Maureen, j’ai des comptes à régler avec mon fiancé ! Comme le géant s’apprêtait à répondre, elle haussa la voix !

— Tu me laisses parler ! Jamais tu ne m’as dit que l’on partirait cette année, pour passer la fin de l’été, l’automne et l’hiver dans une ville qui n’en mérite sûrement pas le nom ! La frontière, il paraît que c’est bourré d’Indiens de métis et d’aventuriers, qu’il y a une femme blanche pour dix mâles ! Des cafards et des serpents à sonnettes. Tu nous feras dormir ou ? Sous une tente !

Jean-Thomas tournait et retournait dans la tête toutes les informations qu’il avait reçues depuis qu’il était dans cette ville. À la dérobée, il observa sa petite Irlandaise. Elle écoutait Odette, opinait de la tête et semblait désespérée.

— Et le train, vous y avez pensé au train, si nous gagnons quinze ou vingt jours… nous arriverions mi-juin à la place de courant juillet, et si à la place des bœufs on prenait des mulets, on gagnerait du temps encore… ça marche plus vite un mulet… il faudra juste voyager plus léger !

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