Chapitre IX. Le retour du fils prodigue !

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Une escouade de soldats campait sur la place Majourale. Ils étaient plus occupés, à siroter leurs liqueurs et leur vin, en se chauffant, au braséro central, qu’à surveiller la grand-route et les abords de Saint-Martin. C’était, pour la plupart, de jeunes paysans, mal dégrossis, qui venaient, de régions déshéritées, où la misère était dure à supporter.

Jean-Thomas n’eut aucune peine, à se faufiler dans le village sans être vu d’eux. Il avait l’avantage de connaître les lieux. Il entendait, le rire graveleux des fantassins . Cela l’irritait. Il était ici, chez lui. Il se sentait humilié de devoir raser les murs, pour échapper à ces caramantrans.

Lorsqu’il arriva, devant la maison familiale ; il n’osa pas y entrer immédiatement, malgré la faim et la fatigue. Une gêne l’empêcha d’aller plus loin. Il avait honte de rentrer seul. Il le savait, après les embrassades et la joie des retrouvailles, il devra raconter… Les questions, les interrogations qu’il appréhendait. Il devra donc s’expliquer . Il se cacha dans un renfoncement. Il ressassa, encore et encore, les funestes événements, la défaite, les morts, les prisonniers. Il culpabilisait. Aurait-il préféré, la chaine du bagne, comme son père et son frère ?

Il n’eut pas à attendre longtemps. Sa sœur, Mélanie, venait de remplir un lourd baquet de bois, à la fontaine. Les yeux rougis, la mine soucieuse, elle semblait triste. Elle était si guillerette, habituellement. C’était un crève-cœur de la voir ainsi. Il ne put patienter plus et jaillit tel un diable !

Elle sursauta, jeta son seau plus qu’elle ne le déposa et bondit dans les bras, du nouveau venu.

— Oh mon dieu, quelle surprise ! tu es revenu, quelle joie. Mais rentrons ! Je soignerai Messidor plus tard !

— Non-sœurette, laisse-moi m’en occuper. J’ai besoin de te parler avant…

Il ne termina pas sa phrase.

Il prit, le lourd ustensile, des mains de la jeune femme et ouvrit l’étable. Le mulet, c’était son travail normalement !

En entrant, dans le hangar, à la suite de son ainée ; il remarqua son allure hésitante. Elle se méfiait des équidés. Elle avait été blessée, par une ruade intempestive, dans son enfance.

Lorsqu’il approchât de Messidor, ce dernier, effrayé, se cabra. Il hennit et recula vivement, vers le fond de la grange. La voix de Jean-Thomas calma quelque peu l’animal. Mélanie s’abstint d’intervenir. Elle avait peur, de ce mulet, aux sautes d’humeur imprévisibles. Soigner cette bête avait été une corvée pour elle.

À la dérobée, elle observa Jean-Thomas. Il paraissait plus affirmé . Ses gestes étaient ceux d’un homme désormais. Elle pensait, à toutes ces horreurs, qu’il avait dû subir. Elle en avait mal pour lui.

Jean-Thomas avait réussi à calmer l’animal. Il lui avait passé la bride qu’il tenait très courte. Messidor s’apaisait. Seul un tremblement agitait encore, son pelage pommelé. Le patron était enfin de retour.

Jean-Thomas s’adressa alors à sa sœur. Il lui dit, la tête baissée, dans un souffle.

— C’était un désastre ! Tout le monde s’était sauvé, dès les premiers combats. Le Père et Victorin ont été faits prisonniers. J’ai réussi à m’en tirer de justesse. Je n’ai rien pu faire, c’était horrible ! J’ai fui, comme un lâche, j’ai fui.

Mélanie l’interrompit.

— Tu n’as pas à te morfondre ni à te sentir coupable ! J’ai vu ceux qui sont revenus. Ils étaient brisés, pitoyables ! Ce n’était plus les mêmes qu’au départ. Ils n’étaient pas fiers du tout. Puis, ce matin, très tôt, l’armée a investi le village. Le juge de paix de Rians était avec eux. Accompagné d’une troupe de soldats, il avait une liste. Il savait qui arrêter. Ce devait être ce salopard de maire, qui la leur avait fournie. Tous ceux, qui étaient revenus la veille, ont été cueillis, au saut du lit. Ils ont embarqué l’oncle également. Il était le fomenteur de la révolte, parait-il ! Vous auriez dû fusiller cette vermine de Jean-Clotaire, avant votre départ ! Il n’y a plus d’hommes dignes de ce nom , dans le village. Célestin, mon fiancé, était rentré, ils l’ont ramassé aussi. Je mourrai vieille fille, probablement. Tu es arrivé, juste après, heureusement, sinon, ils t’auraient capturé. Si tu dois rester, il faudra que tu te caches.

Elle fut obligée de reprendre son souffle, la voix étouffée par l’émotion. Elle continua la parole hachée sanglotante. Il serra très fort sa sœur dans les bras. Elle s’y abandonna un moment avant de se dégager brusquement. Ses yeux se firent durs !

Elle cria, presque !

— Le malheur est sur notre maison, Jean-Thomas, tu es revenu seul et maman est très malade. Elle a probablement attrapé froid à La Glacière dimanche. Elle ne va pas bien du tout. Tu rentres juste pour lui dire adieu, je le crains !

Il la retrouva alitée. Lorsqu’elle le vit, pourtant, ses yeux fatigués brillèrent d’un peu de joie. Elle ouvrit mollement ses bras pour l’accueillir, un sourire fugace ourla sa bouche. Il s’approchât, le cœur déchiré, elle l’attira contre elle et le tint longtemps serré sur sa poitrine. Elle murmura d’une voix tellement faible qu’il devait tendre l’oreille pour comprendre ce qu’elle chuchotait.

— Tu es revenu, c’est bien, je suis contente !

Une quinte de toux la força à faire une pause, elle reprit son souffle laborieusement et la respiration sifflante continua :

— Tu vois ! je dois être un triste spectacle, je suis foutue.

Alors qu’il lui tenait le bras, elle s’endormit un sourire aux lèvres.

Les jours suivants s’écoulèrent monotones et sinistres. La malade n’allait pas mieux malgré les soins que lui prodiguait Mélanie. Elle somnolait la plupart du temps. Seule Césarine, la fille de Victorin animait un peu la maisonnée. Ses rires clairs comme de l’eau de source cascadaient de pièce en pièce et faisaient oublier quelque temps la tristesse du moment. La petite débordait de joie de vivre, elle était le bonheur de sa tante et les très rares sourires de sa grand-mère.

Normalement en cette période tous préparaient Noël. D’abord c’était le blé que l’on posait dans trois soucoupes, le jour de la sainte Barbe, arrosé quotidiennement, il devait être haut le vingt-cinq décembre. Il devenait alors signe d’abondance et de prospérité. Avant le réveillon, on mangeait maigre, une assiette d’aiguo boulido agrémentée d’ail, de romarin et d’huile d’olive, à laquelle, on rajoutait souvent un jaune d’œuf. Puis suivait le gratin de cardons. C’était après la messe de minuit, les fameuses messes basses que tous fréquentaient même les mécréants que commençait vraiment la fête, on sortait de dessous les fagots les bonnes bouteilles, les liqueurs et le mousseux. Au moment de passer à table, on devait déposer dans la cheminée une énorme buche d’arbre fruitier qu’on badigeonnait de vin cuit, la cendre de ce feu devait porter bonheur. Sur la nappe attendaient les douceurs, toutes plus succulentes les unes que les autres ; amandes, noix, raisin chasselas, melon verdaou, pâte de coing, nougats et pompe à l’huile. Surtout, il ne fallait pas oublier de rajouter entre l’âne et le bœuf le petit poupon aux joues pleines. Ensuite on chantait le Boute celle .

La gambe mi fa maou… boute celle moun chivaou !

Le lendemain de la nativité, le repas devait être pantagruélique, il en salivait d’avance ; sa mère qui était une bonne cuisinière concoctait toujours des plats délicieux qui accompagnaient une volaille farcie, une bête que l’on choyait toute l’année pour la sacrifier le 25 décembre. Rares étaient ceux qui sortaient de table la faim au ventre. Mais cette année, c’était différent ; presque toutes les familles du village avaient soit un fils ou un frère ou un mari prisonnier. Alors non, l’envie de préparer la veillée n’y était pas. Dans de nombreuses maisonnées, ce serait Noël au rabais. Dans le foyer d’Augustine et de Jean-Baptiste, il n’y aurait pas de fête du tout cette année.

Jean-Thomas tournait en rond, il ne pouvait quitter la demeure aux risques de se faire arrêter, désœuvré, il pensait aux jours heureux aux réveillons d’avant, aux blagues que racontait son père quand il avait un coup dans le nez. C’était singulier alors la vision de cet homme sobre et toujours maitre de ses émotions qui ce jour-là riait aux éclats.

*

Le maire transpirait à grosses gouttes malgré le froid vif et le vent glacial qui soufflait à nouveau. Comme à regret, mal à l’aise, il s’avançât face à la cheminée. Il semblait gêné devant le visage fermé de Mélanie, il était surpris de trouver Jean-Thomas sagement assis sur son tabouret alors que tous le pensaient en fuite. La mère était là aussi. Avachie sur sa chaise, le teint cireux, l’haleine putride, la pauvrette avait déjà un pied dans la tombe.

Il retrouva rapidement son aplomb, s’éclaircit la gorge et déclama d’une voix forcée de baryton d’opérette.

— Au nom du pouvoir qui m’est conféré ; au nom du préfet Pastureau du président Louis Napoléon…

Il fut coupé par Mélanie. Elle l’interpella avec colère. Elle aurait aimé enfoncer le couteau à découper le cochon dans cette bedaine bien grasse, mais elle dut se contenter de lui cracher sa haine.

— Parle saloperie et après, disparais !

Il ignora la remarque et continua comme s’il n’avait rien entendu.

— Tout d’abord, j’ai de bonnes nouvelles ! Jean -Thomas Ycard, fils de Césarine et de Jean-Baptiste, cultivateurs, vu ta reconnaissance pour sédition, désobéissance, et insubordination au pouvoir établi, pour avoir participé a une armée d’émeutiers, tu as été condamné par contumace a une peine de prison de trois mois. Par mansuétude du tribunal, vu ton jeune âge et par la bonté du président, cette peine est commuée en une simple surveillance. Tu n’as donc pas le droit de quitter la commune et tu dois te présenter régulièrement à la mairie, à la fin de chaque semaine pour faire tamponner tes papiers.

Il se tourna vers Jean-Thomas et lui dit sur un ton paternaliste.

— C’est bien que tu sois là mon petit, tu pourras seconder ta sœur !

Il rajouta à l’intention de Mélanie :

— Tu vois, le prince-président peut faire montre de clémence auprès de ses enfants, même les plus ingrats

Il marmonna.

— Tu sais que je serais toujours disponible pour vous aider.

Aurélie serrait ses poings dans sa poche, se mordait la langue également pour ne pas répliquer d’une remarque assassine dont elle avait le secret. Elle était contente malgré tout qu’il n’y ait plus de charges contre son frère, c’était déjà ça. Alors elle baissa la tête et se recula prestement, car le vieillard adipeux essayait de lui caresser la main.

Tous étaient plutôt soulagés par ces propos. Ils attendaient cependant avec impatience le départ du triste personnage. Ce dernier ne semblait pas pressé. Il prit à nouveau la parole d’un ton faussement compatissant, il ôta son chapeau dont il était toujours affublé, un haut- de- forme de couleur noire. Il le posa sur son vaste ventre comme sur un guéridon et bégaya d’une voix pleurnicharde de mauvais comédien.

— Ce n’est pas le maire, mais l’ami qui est là ce soir…

Mélanie faillit le couper encore une fois, mais le regard de la mère, qui avait réussi à se lever malgré sa fièvre, l’en dissuada.

— J’ai de tristes nouvelles : Victorin Ycard pris les armes à la main à la bataille d’Aups, risque le bagne en Algérie ou même la peine de mort. Marius Ycard emprisonné au Fort- Lamalgue, fatigué et malgré tous les soins que lui ont apportés les infirmiers, s’est éteint, d’épuisement probablement. Le corps sera rendu pour sépulture prochainement. Après ces terribles nouvelles, je vous souhaite une bonne soirée et vous présente mes plus profondes condoléances.

Sur-ce, Jean-Clotaire, revissa son couvre - chef, sur sa grosse tête chauve, ajusta sa veste trop étroite et enfin sortit.

La mère décéda cette nuit-là.

Auparavant elle avait tenu à avoir ses deux enfants auprès d’elle. Dans un râle, elle s’adressa à eux.

— Mes pitchouns, mon heure a sonné, je m’en vais voir là-haut s’il y a quelque chose. Je vais retrouver votre père, je l’ai aimé cet homme, je lui en ai voulu de ne pas pardonner à son fils ainé. Mais, maintenant j’en suis convaincue, il avait dû faire la paix avec ce fils depuis longtemps. Ce vieux têtu n’aurait pas pu le reconnaître, il était bien trop fier. Cela ne fait rien, je continuerais de me disputer là-haut avec lui tout en veillant sur vous !

Un sourire fugace éclaira brièvement son visage émacié, l’idée de rejoindre son mari lui plaisait. Ses enfants auraient préféré qu’elle se repose, elle fit non avec sa main. Elle était épuisée, mais tint absolument à poursuivre. Elle avait toujours été comme ça. Elle pouvait se taire, tout encaisser. Mais, lorsqu’elle s’y mettait ; elle devenait un orage d’été ,quand les rues charriaient des torrents d’eaux boueuses. Rien ne pouvait l’arrêter. Elle reprit, plongeant son regard dans les yeux de son fils.

— Lui as - tu montré la lettre ?

Jean-Thomas, confus, baissa la tête et dit :

— Je n’ai pas pu le faire, mère, Victorin m’en a empêché. Ce n’était jamais le bon moment…

Elle le coupa.

— Ce n’est pas grave, tu as fait comme tu as pu.

Elle ne put continuer. Elle n’arrivait plus à s’exprimer. Son corps fut secoué par une interminable quinte de toux ,qui la laissa exsangue. Elle chercha longtemps sa respiration. Elle luttait, c’était une vaillante, la mère, elle reprit dans un souffle.

— Je sais que j’ai déjà déposé énormément de choses sur tes épaules d’enfant. Non, tu es un homme maintenant ! Tu l’es devenu en tout cas. Je te demande de ramener Auguste-César. Un jour sur cette tombe, vous serez tous les quatre réunis. Une fratrie est faite pour vivre ensemble. Promets-le, promets-le-moi !

Le visage brouillé de larme Jean-Thomas embrassa sa mère. Dans un murmure il répondit.

— Oui, mais, oui, je promets, je jure, je reviendrais avec Auguste.

Alors le sourire aux lèvres, à moins que ce ne soit déjà le rictus effroyable de la mort, elle expira.

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