Chapitre VI. l'exécution de Martin Bidouré !

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Longtemps, il resta prostré, accroupi. Il finit par se relever. Prudemment, il sortit à tâtons de son refuge. L’air empestait le soufre et la poudre noire. À ses pieds, le village grouillait de gendarmes. C’était là où ils devaient garder leurs prisonniers, ceux qu’ils avaient glanés sur le champ de bataille. À moins, qu’ils soient conduits, à Toulon, cette antichambre du bagne africain. À moins que… non, il ne pût envisager qu’on puisse les fusiller. Ils devaient attendre leur transfert pour le sinistre fort Lamalgue.

Jean-Thomas était indécis, partagé entre le besoin de rentrer chez lui, pour oublier ce cauchemar, ou, enfin, participer à ces combats, dont il était frustré. Il choisit finalement de rejoindre le Bourg d’Aups où était massée la grande légion du général Camille Duteil. Les insurgés plus nombreux et surtout mieux commandés sauront tenir tête aux fantassins, pensa-t-il.

En lisière de bois, il suivait à distance l’armée régulière. Impossible de les perdre, ils laissaient un cortège sanglant derrière eux. Ils venaient d’intercepter un cavalier qui galopait sur la route principale, et l’avaient violemment désarçonné.

Protégé par un épais rideau d’arbres, Jean-Thomas pouvait voir sans être vu. Il reconnut la grosse pouliche blanche du féfé de Tourtour. C’était donc Martin qu’ils avaient arrêté. Mon Dieu, espérait-il ; pourvu qu’ils ne trouvent sur lui aucune missive. Sinon c’était le peloton d’exécution à coup sûr. Il rampa encore un peu, pour être au plus près de ce triste spectacle. L’infortuné barjolais à terre était roué de coups. Le Martinérois, témoin de tout cela malgré lui, ne pouvait agir. Comme pour ses proches il ne pouvait que regarder impuissant.

Un gradé, le même qui plus tôt avait donné l’ordre d’attaquer les républicains, questionnait rudement le pauvre émissaire. Jean-Thomas caché par la végétation avait dans le viseur de son arme le militaire. Bon chasseur, comme il l’était malgré son jeune âge, il ne pouvait le rater. Une fois de plus il ne put se résoudre à tirer. De toute façon Martin était condamné, puisqu’un hussard hilare brandissait victorieusement le message que le Bidouré avait dissimulé dans sa large taillole de laine rouge. Maintenant, des soudards frappaient le prisonnier avec les crosses de leurs fusils, le piétinaient de leurs lourds godillots. Les cris, les gémissements du supplicié étaient terribles. Le chef des soldats, un capitaine ou un colonel brutal, lui assena violemment un coup de sabre derrière l’oreille. Puis comme si cela ne suffisait pas, un civil, qui accompagnait le régiment l’acheva d’un tir de pistolet dans la tête. Le spectacle était insoutenable, Jean-Thomas retenait sa respiration. Tremblant, il s’éloigna sans bruit, écoeuré. Il vomit tripes et boyaux dans un fossé un peu plus loin. Il ne voulut pas en voir davantage, il ne pouvait plus rien pour le brave Barjolais désormais. Plus tard, il reviendra accompagné d’un ou plusieurs camarades. Il ne pouvait laisser là le corps du pauvre supplicié à la merci des bêtes sauvages. Le héros, car c’en était un aux yeux de Jean-Thomas, méritait une sépulture digne d’un être humain. Il entendit alors… D’une voie triomphale où perçait une joie mauvaise, l’officier sabreur pérorait en lisant le pli cacheté, signé par Camille Duteil.

— Mr le préfet, les enragés sont à Aups, en nous rendant à Draguignan, nous les laissions filer, ils sont à deux pas de là, permettez-moi un petit détour.

Ainsi le civil . un sale bonhomme assurément, était le nouveau préfet ! Le Var méritait mieux ! D’une voix mielleuse, il répondit au gradé !

— Je vous en prie colonel, je ne peux vous priver du loisir d’aller sabrer ces crapules. Nous avons eu une chance inouïe de croiser cette racaille. Je vous accompagne bien entendu, je veux avoir moi aussi le plaisir de vous voir punir ces criminels. Colonel Trauers je vous invite donc à commander vos troupes, partons sur le champ, nous n’avons plus rien à faire ici !

L’officiel, alors, épousseta son uniforme, essuya son sabre sur le col de la vareuse de la malheureuse victime et d’un geste impeccable sauta sur son cheval et cria

— Fantassins, demi-tour droite, changement de direction !

Écoeuré par ce qu’il venait d’entendre, Jean-Thomas tremblant s’éloigna sans bruits,

Le plus urgent était d’avertir les copains du danger qui allait fondre sur eux. S’il le pouvait, ensuite, il prendra part au combat, pour racheter ses couardises.

Malgré ses jambes chancelantes, il courut le plus vite possible. Les branches souples des cornouillers sanguins lui fouettaient la figure. Les rideaux de genévriers , lui griffaient les bras et le cou. Les murs de pierre sèche à sauter, les vallons caillouteux, les ronciers et les restanques, casse jarrets, à escalader, rien ne freinait sa cavalcade. À six reprises, il tomba ,il avait le genou écorché les mains et le visage en sang. Chaque fois, il se releva.

Il arriva juste à temps pour assister à la curée. La colonne des césaristes était déjà là, il resta caché à l’orée du village. Il ne pouvait percer les lignes ennemies et se rendre dans le bourg aider les copains. Décidément, il passait sa vie camouflé en ce moment. L’armée régulière encerclait Aups, un feu nourri s’abattait sur les insurgés, ce fut la débandade. Duteil, aussi piètre tacticien qu’Arrambide s’était laissé surprendre. Chacun s’enfuyait comme il le pouvait. La troupe disciplinée avançait en ordre serré dans la plaine des Usclanes. Les fuyards pourchassés par les hussards du prince-président étaient tirés et sabrés tels des lapins de garene. Les cadavres et les blessés gisaient entre les rangs de vigne, les plants d’oliviers. La défaite était totale, plus qu’une bataille c’était une boucherie, tout était fini. Il oublia la dépouille du pauvre Martin pour ne penser qu’à lui. Trop heureux de n’être ni mort ni prisonnier.

*

Avec des ruses de chats, il avait réussi à éviter les barrages. Par des chemins de traverse, il avait pu contourner le bourg. Partout des soldats et des gendarmes traquaient avec acharnement les républicains. Tous ceux qui n’avaient pas pu quitter cette nasse à temps étaient faits prisonniers. La place du marché d’Aups était transformée en vaste geôle.

Il pensa à nouveau à ses proches, étaient-ils détenus ici ? De toute façon, il ne pouvait rien faire pour eux. Il ne s’attarda pas ; le risque était trop grand. Il désirait simplement s’éloigner de ces lieux maudits, de cette horde d’assassins. Dès qu’il pourrait, il bifurquerait vers le couchant.

Les fines giboulées qui tombaient du ciel depuis le petit matin étaient remplacées désormais par une neige lourde et collante. Le tapis blanc était conséquent à présent, il recouvrait la cheville du marcheur. La visibilité était pratiquement nulle également, il avançait à tâtons. Il ne savait plus si c’était le jour, la nuit, et depuis combien de temps durait sa randonnée. Il ne connaissait pas du tout ces lieux n’y étant jamais venus auparavant.

Il était bel et bien perdu désorienté. Il marchait, marchait mécaniquement. Ses chaussures, de gros godillots de cuir épais étaient complètement trempés. Le froid, l’humidité insidieusement prenait le contrôle de son corps. Il grelottait tremblait de tous ses membres.

Des ombres glissaient à la limite de son champ de vision. Était-ce des fuyards comme lui, des soldats qui allaient l’arrêter, ou bien des spectres nés de son imagination fatiguée ? Il distinguait des formes en mouvements partout autour de lui. Il crut voir luire au détour du chemin des yeux de fauve jaune. Il pensa alors que ce pouvait être des loups descendus du plateau de Canjuers tout proche où les précipitations étaient si abondantes. Il savait ces animaux trop couards pour attaquer un adulte même isolé. Cela ne l’empêchait pas d’être inquiet, la peur de la malbête comme on l’appelait dans les temps anciens était dans les gênes des êtres humains depuis toujours. Les jeunes enfants qui gardaient autrefois les moutons seuls dans la forêt finissaient souvent dépecés. Mais il n’était plus un gamin et il était de surcroit armé de sa carabine. Pour se donner du cœur, il chantait fort, le plus fort possible. Il gueulait, beuglait, ce qui passait dans sa tête. Il inventait des paroles, des airs… le plus importants, c’était de meubler ce silence si angoissant.

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