Prologue

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« Au nom du peuple français, l’Assemblée nationale est dissoute. Le suffrage universel est rétabli. La loi du 31 mai est abrogée. Le peuple français est convoqué dans ses comices à partir du 14 décembre jusqu’au 21 décembre suivant. L’état de siège est décrété. Le Conseil d’État est dissous.

Le ministre de l’Intérieur est chargé de l’exécution du présent décret.

Fait au palais de L’Elysée le 2 décembre 1851

Signé Louis-Napoléon-Bonaparte.

Contresigné, De Morny, ministre de l’Intérieur. »

  Le trois décembre à six heures du matin, les habitants du Faubourg Saint-Antoine avaient découvert cette proclamation du coup-d’Etat. Les hommes de Charlemagne de Maupas, le préfet de police de la capitale, l’avaient placardée la veille dans toute la ville. Elle était partout : sur les murs, sur les portes des ateliers, sur les arbres... Nul ne pouvait l’ignorer. Louis Napoléon, le prince-président, n’avait rien laissé au hasard. Sa police était omniprésente ; et s’il le fallait, Morny, son double maléfique, appellerait l’armée. Les agitateurs les plus radicaux avaient déjà été emprisonnés, sans eux, le peuple ne bougerait pas.  

Devant la porte cochère d’un immeuble vétuste, un rassemblement de sept parlementaires haranguait sans grande réussite les ouvriers matinaux qui se rendaient au travail. Ces républicains de l’aile gauche, le député Victor Schoelcher en tête, exhortaient à la résistance et à la lutte armée. Il n’était pas question qu’ils se laissent voler leur république. Ils invoquaient la révolution de février 1848, quand le peuple en colère avait chassé un roi. Les habitants de ce quartier populaire ignoraient leur appel ; eux, ils se souvenaient surtout des carnages de juin qui avaient suivi.

Trois ans plus tôt, le départ du vieux Louis-Philippe avait généré tant d’espoir ; la misère était si grande alors. Mais si au début le peuple fêtait la fin de la royauté, très vite la situation se dégrada. Il n’y avait plus de travail. Le nombre de désoeuvrés explosa. Les ouvriers mécontents et le ventre vide, protestèrent. Le gouvernement provisoire leur répondit par la force, réprimant avec violence ce début de révolte. Des centaines de corps gisaient dans la rue et la Seine charriait des cadavres par dizaines. Les gardes mobiles du Général Cavaignac fusillaient les émeutiers pris les armes à la main. Ainsi, lors des élections de décembre, le peuple déçu des républicains porta au pouvoir le fils d’Hortense de Beauharnais et de Louis Bonaparte.

Quelques dizaines de Parisiens avaient finalement rejoint le petit groupe d’élus Montagnards. Chômeurs, étudiants et artisans avaient réquisitionné ce qu’ils pouvaient. À l’angle des rues Cotte et Sainte-Marguerite, la charrette d’un paysan, la voiture du laitier et celle de la boulangère, renversées, faisaient office de barricade improvisée. Peu garnie et fragile, elle ne résisterait pas à un assaut armé. Ils n’avaient ni le temps, ni les moyens de construire un vrai barrage qui nécessiterait d’arracher les pavés de la rue ou de décrocher des portes et des volets. Cela ne faisait rien, sa raison d’être était surtout symbolique. Il fallait bien que la lutte commence quelque part.

Un policier en civil, un mouchard à la solde du prince de Morny, avait rapidement alerté l’armée. Le dix-neuvième régiment de ligne venait d’arriver, fusils chargés et sabres levés. Baïonnettes menaçantes, moustaches féroces et œil mauvais, les cerbères du prince-président étaient prêts au combat. Fébriles, ils avaient hâte de percer des ventres et éclater des cervelles. Sur la barricade, les prolétaires en colère, armés surtout de leur courage, rêvaient également d’en découdre. Leur République était en danger ; comme en quarante-huit, ils ne faibliraient pas.

Victor Schœlcher jaugeait, inquiet, les forces en présence. D’un côté, presque une centaine d’insurgés, pleins de courage, mais mal armés. En face, une armée rompue au combat, bien équipée et disciplinée. La confrontation s’annonçait inégale. Préoccupé par ce déséquilibre, le député s’avança avec ses confrères pour dialoguer avec les militaires. Parlementer, négocier il savait faire. Il maîtrisait avec adresse les grandes phrases et les envolées lyriques. À l’assemblée, il était un tribun hors pair. Mais pendant qu’il discutait, ceux de la barricade s’impatientaient. Tous voulaient en découdre. Un artisan goguenard se dressa sur sa charrette. Un pistolet dans une main et un drapeau tricolore dans l’autre, il apostropha le tribun en lequel il n’avait pas tout à fait confiance :

— Oh ! Vous n’êtes pas sur votre estrade à débiter vos beaux discours, le temps n’est plus à la parlotte ! Vous ne croyiez tout de même pas que nous allions nous faire trouer la peau pour vos avantages de parlementaires ? Si nous sommes ici, c’est pour défendre nos libertés, pas pour vos vingt-cinq francs par jour. Gardez votre salive pour vos prochaines joutes verbales, rentrez chez vous et laissez se battre ceux qui n’ont que leurs bras pour travailler !

Piqué au vif, le député Alphonse Baudin, armé seulement de sa fierté, abandonna la négociation et retourna sur la barricade. Il arracha le drapeau des mains de l’artisan et répondit crânement :

— Je vais vous montrer, moi, comment on meurt pour vingt-cinq francs !

À ce moment précis, tout bascula. Un militaire faussement maladroit bouscula Victor Schœlcher. Un émeutier, le voyant menacé, perdit son sang-froid et tira sur le bataillon. La riposte fut immédiate : Alphonse Baudin s’écroula, atteint en plein cœur. Sa mort symbolisait la fin d’un épisode glorieux. La deuxième République venait de s’éteindre, assassinée. Quelques-uns, dont le vaillant Victor Hugo, souffleront bien plus tard sur les braises de la démocratie et réussiront par leur ténacité à raviver la flamme pour qu’elle ne s’éteigne plus jamais. Mais pour l’heure, place à la tristesse et à la résignation. Malheur à ceux qui ne se soumettraient pas : l’armée du coup d’État frappait sans pitié.

En province, dans quelques cantons un peu plus rouges que les autres, des mouvements de colère naquirent çà et là. Mais ils étaient minoritaires ; dans l’ensemble, la France se résignait. Le souvenir ému de l’oncle du prince-président, petit général corse qui était devenu un si grand empereur, perdurait. Il avait mis l’Europe à genoux et porté la France à l’apogée. Le retour de l’Empire ne pouvait donc qu’être salutaire pour de nombreux Français. Cependant, tous ne partageaient pas ce sentiment. En Provence plus qu’ailleurs, si Napoléon Ier avait été un héros, son neveu n’était qu’un imposteur.

Dans de nombreuses communes du Var, du Vaucluse et des Basses Alpes, les habitants avaient voté en quarante-huit pour le Montagnard Alexandre Ledru-Rollin. Dans ces régions où les socialistes et les républicains étaient majoritaires, la population soutiendrait la démocratie jusqu’à la mort. Personne ici ne voulait le retour d’un roitelet ou d’un quelconque dictateur. Dans tout le territoire varois, la terrible nouvelle du coup d’État s’était propagée comme une traînée de poudre. De Toulon et ses environs, du massif des Maures et du golfe de Saint-Tropez, une fabuleuse troupe de bouchonniers, marins, bûcherons, employés de l’arsenal et vignerons, s’était levée. Camille Duteil, journaliste marseillais du peuple, en était à la tête. Ces formidables ouvriers et ces paysans remarquables, dépenaillés, mal armés, mais pleins d’ardeur, étaient déterminés à faire trembler le pouvoir parisien.

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