Chapitre 53

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Toulouse & Fronton, Haute-Garonne

En arrivant à Toulouse, après avoir déposé Philippe et pris en charge Julie, Ange consulta sa messagerie professionnelle. Il avait un court message de Sam.

De : Samira Saada – SRPJ Toulouse

A : Ange Segafredi – SRPJ Toulouse

Objet : Recherches demandées / Amélie Del Maso & Stéphanie Delmas

Bonsoir Ange,

Nous avons réussi à localiser Amélie Del Maso, elle a une adresse à Aucamville, mais n’a pas répondu à nos sollicitations téléphoniques. Nous pouvons en parler demain et envisager Avis de Recherche.

Stéphanie Delmas habite maintenant à Fronton, 31. Elle tient toujours son commerce à Montauban. J’ai rendez-vous avec elle demain matin à 9:00. J’irai avec Clem.

Je pense pouvoir être de retour en fin de matinée pour rapport.

Capitaine Samira Saada

Chef de Groupe

À huit heures trente, Sam passait prendre Clem devant chez elle, dans le quartier des Trois Cocus. Le nom de ce quartier l’avait toujours intriguée, se demandant qui pouvait être ainsi fier de son statut au point de donner nom au secteur. Si elle avait pris le temps de vérifier, elle aurait appris que le nom était en fait dérivé de l’occitan « Tres Cocuts » ou trois coucous ! Une demi-heure plus tard, Sam garait la voiture de service devant une coquette maison, dans un lotissement bien tenu. Les deux OPJ se présentèrent à la porte où une femme élégante leur ouvrit.

— Stéphanie Delmas ? OPJ Saada et Marchand, du SRPJ de Toulouse, nous vous avons téléphoné hier soir.

— Oui, c’est moi, enfin c’est Stéphanie Langlais maintenant, mais ça n’a pas d’importance.

— Nous aimerions vous parler de Béatrice Moreau. Vous la connaissez bien je crois. Pouvons-nous entrer ?

— Bien sûr, excusez-moi, tout ça est un peu ancien. Je n’ai plus rencontré Béatrice depuis bientôt dix ans, lorsque qu’elle s’est retirée au couvent. Elle n’a jamais répondu à mes lettres. Je ne sais même pas si elle les a reçues. Elle m’avait demandé de les envoyer dans une double enveloppe au jardinier du couvent. C’était un peu compliqué. Je lui ai écrit pendant deux ou trois ans, puis j’ai cessé.

— Pourriez-vous nous expliquer comment vous avez fait connaissance avec Béatrice Moreau ?

— C’est un peu délicat, j’aimerais que ça reste entre nous. Je me suis remariée depuis et mon mari n’est pas au courant des détails de cette période.

— Quand vous êtes vous remariée ? demanda Clem.

— Il y a cinq ans.

— Alors je ne pense pas que votre mari ait quoi que ce soit à voir avec notre enquête, répondit Clem.

— Pourrions-nous revenir à la chronologie, s’il vous plait, s’impatienta Sam ?

— Oui, excusez-moi. Je crois que la première fois que j’ai rencontré Béatrice, c’était il y a un peu plus de dix ans, onze ans peut-être. Elle se faisait encore appeler Pujol-Lacrouzette, le nom de son mari, avant la mort de celui-ci.

— Nous sommes au courant.

— Mon mari avait été invité à une soirée chez un certain Charles Van Der Berg, ou un nom comme ça.

— Van Den Brouck, corrigea Sam.

— C'est ça. Mon mari traitait des affaires avec lui. Il étaient tous les deux dans le milieu de la construction. Mon mari avait une entreprise de rénovation et ce Charles achetait des vieux bâtiments et les faisait remettre en état pour les revendre avec de copieux bénéfices. Nous sommes arrivés assez tard à cette soirée, car mon mari avait été retardé sur un chantier. Mon mari a tout de suite commencé à parler affaires avec Van Den Brouck et d’autres personnes que je ne connaissais pas. Je m’ennuyais ferme lorsque Béatrice est venue vers moi et a engagé la conversation. Elle était très jolie et on avait à peu près le même âge. J’ai remarqué sa robe. Elle avait une coupe très glamour qui lui allait à merveille. Je vendais déjà des vêtements pour femmes à l’époque car j’avais repris le commerce de ma mère, mais ma clientèle ne recherchait pas du tout ce type de produits. Nous avons bu un verre ensemble, puis comme je lui faisais remarquer qu’il y avait peu de monde, elle me proposa de monter à l’étage.

Clem prenait des notes et Sam s’impatientait. Elle ne voulait pas brusquer Stéphanie, mais voyait le temps tourner.

— J’ai été très surprise en arrivant à l’étage. Il y avait des hommes et des femmes plus ou moins dénudés, certains qui faisaient l’amour et d’autres qui les regardaient. Je n’avais jamais vu ça. Béatrice a pris ma main pour toucher une femme. Au début je ne voulais pas, mais elle a su me mettre en confiance. J’ai caressé cette femme et elle s’est tournée vers moi et Béatrice a commencé à me déshabiller. Je n’ai pas voulu aller plus loin, mais j’étais déjà très surprise de ma propre réaction. Nous sommes redescendues pour boire un verre ensemble. À ce propos, vous voulez boire quelque chose ? Un café peut-être.

— Non merci, répondit Sam, soucieuse d’abréger l’entretien.

— Je ne sais plus comment c’est venu, mais Béatrice m’a donné l’idée de créer un rayon de robes plus audacieuses dans ma boutique. J’ai trouvé l’idée amusante et nous avons aménagé un petit salon d’essayage. Béatrice et surtout son amie Solange faisaient venir des femmes, principalement de Toulouse, désireuses d’acheter des tenues de soirée un peu plus coquines que celle que l’on trouve habituellement dans les boutiques et plus élégantes et mieux cousues que ce qu’on peu acheter sur Internet.

Sam avait du mal à imaginer ce genre d’endroit, elle qui était habituée à acheter ses vêtements chez Décathlon ou C&A.

— Les ventes ont décollé très vite. Béatrice présentait les modèles, elle avait des mensurations de rêve. Ensuite on faisait les essayages. Il arrivait qu’on en profite pour se faire quelques caresses, quand il n’y avait personne d’autre dans le magasin. Ça a bien marché pendant quelques mois, puis il y a eu un problème avec la police chez ce Van Den Brouck. Je me souviens qu’elles l’appelaient Cornélius. C’est à ce moment là que le mari de Béatrice s’est suicidé. Lors de la venue de la police, on l’avait trouvé nu avec une femme qui lui introduisait un gros godemichet dans le derrière. C’est après que Béatrice et Solange ont commencé à venir moins souvent, elles parlaient d’un château quelque part dans la Montagne Noire, que Cornélius avait acheté pour organiser des séminaires. Et puis elles sont allées s’installer là-haut et Béatrice a complètement cessé de travailler avec moi. Béatrice continuait de me téléphoner et elle venait m’acheter des tenues, mais ce n’était plus pareil. J’ai rapidement arrêté cette activité et fermé le salon.

— Que pouvez-vous nous dire de l’accident et de ce qui a suivi ?

— Je me souviens très bien, c’était la nuit, pendant un week-end. Le téléphone a sonné, il devait être deux ou trois heures du matin. C’étaient les pompiers de Castelnaudary. Ils avaient trouvé mon numéro, avec la mention « à prévenir en cas d’urgence », dans le sac d’une femme qui venait d’avoir un grave accident le la circulation. Curieusement, la femme n’avait pas de papiers d’identité avec elle et ils me demandaient de venir rapidement à l’hôpital de Carcassonne, où ils l’avaient transportée. J’y suis allée le dimanche matin, à la première heure avec mon mari de l’époque. J’ai demandé après la femme accidentée. On m’a répondu qu’elle allait revenir du bloc de chirurgie où elle venait d’être opérée. On m’a proposé d’attendre un moment. Au milieu de la matinée, j’ai pu voir Béatrice qui commençait à retrouver ses esprits. Elle avait des bandages et des pansements un peu partout, mais le médecin ma rassurée en précisant que les blessures n’étaient pas trop sérieuses et qu’elle se remettrait rapidement. Un policier m’a demandé de confirmer son identité, pour son rapport avait-il précisé.

— Le dimanche matin, on ne vous a pas parlé du bébé ?

— Non, je suis rentrée chez moi en milieu de journée en disant à Béatrice que je reviendrais le lendemain. Le lundi, la boutique est fermée. Quand je suis revenu le lendemain après-midi, on m’a dit que Béatrice avait été emmenée en service de gynécologie à la suite d’une fausse-couche. Je n’ai pas pu revenir avant le dimanche suivant, mais je prenais des nouvelles par téléphone. Le dimanche, elle s’était apparemment bien remise physiquement, mais son moral était au plus bas. Elle avait appris que son amie Solange était morte dans l’accident et qu’elle avait perdu le bébé. Elle m’a dit qu’elle n’avait plus personne, ni de maison où aller après l’hôpital. Elle parlait de mettre fin à ses jours. Après une dizaine de jours, comme l’équipe médicale parlait de l’envoyer dans une clinique psychiatrique pour sa convalescence, j’ai proposé de la prendre à la maison. Elle m’avait désignée comme personne de confiance, je ne pouvais pas la laisser tomber. Elle est restée avec nous jusqu’à ce qu’elle puisse remarcher à peu près normalement. Les médecins ont jugé que ses blessures consolidaient très bien. Elle était en bonne santé physique, mais dans sa tête, c’était fracassé. Elle avait peur de mon mari, qui n’a pourtant jamais manifesté le moindre intérêt physique pour elle. Elle parlait souvent de Cornélius et du Diable. Elle disait que son bébé était l’enfant du Démon. Je lui ai proposé de parler avec un prêtre. Je ne suis pas pratiquante, mais je suis allée au catéchisme. Nous habitions encore Toulouse alors je l’ai emmenée à Saint Etienne. Pendant quelques temps elle a eu l’air d’aller mieux, puis un jour elle m’a demandé de la conduire au couvent à Dourgne. Nous y sommes allées toutes les deux. Je l’ai attendue dehors. Quand elle est ressortie, elle m’a expliqué que sa décision était prise.

— Etes-vous allée parler au jardinier il y a deux semaines ?

— Non, pourquoi aurais-je fait ça ? Pouvez-vous me dire ce qui est arrivé à Béatrice ? Pourquoi me posez-vous toutes ces questions ?

— Je suis désolée, nous ne pouvons rien dire pour le moment. Nous vous remercions de votre coopération.

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