Chapitre 41

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Abbaye de Sainte Scholastique – Dourgne, Tarn

Dans la voiture, Samira était restée anormalement silencieuse. Ange en conclut qu’elle était dans une situation inconfortable et préféra crever l’abcès.

— Je sens que tu n’es pas à l’aise. C’est le fait d’aller dans un couvent qui te pose problème ?

— Je ne sais pas, c’est sans doute idiot, répondit-elle, je crains de faire une erreur, de ne pas bien me comporter.

— Je comprends, les moniales obéissent à une règle stricte, c’est vrai, mais ce sont avant tout des femmes, comme toi. Elles n’attendent pas que nous observions leurs rituels. Tant que nous restons respectueux, il n’y aura pas de problème. Et ce n’est pas parce qu’elles vivent cloitrées qu’elles sont intolérantes ou intégristes. Nous sommes des laïcs, fonctionnaires qui plus est et nous intervenons comme tel. Notre enquête n’a rien à voir avec leur pratique de la religion.

— Tu as raison, bien sûr, mais il n’empêche, je préfère sauter sur une bande de voyous.

— OK, je te demande juste de parler avec Mélodie, ou Béatrice Moreau, comme tu veux. Oublie la sœur Marie des Anges. Tu ne lui demandes pas de te décrire sa vie au couvent, mais sa vie de femme libertine. Elle sera sans doute réticente, c’est le passé qu’elle a fui, mais je te fais confiance. Elle se livrera plus facilement à toi, qu’à moi.

— Tu aurais pu prendre Clem !

— Elle est trop jeune, elle n’inspirera pas assez la confiance.

Quand Ange et Sam sonnèrent à l’entrée, la portière reconnut le policier. Il présenta Samira et demanda des nouvelles de sœur Marie des Anges.

— Elle va mieux, elle a quitté l’infirmerie et a repris sa vie au milieu de nous. La prière l’aide à oublier ce tragique événement.

Sam regarda le commissaire. Celui-ci lui fit comprendre qu’il ne fallait pas réagir.

— Serait-il possible de lui parler ?

— L’Eucharistie se termine dans dix minutes. Pouvez-vous attendre dans le parloir ? je la préviendrai dès la fin de l’office.

— Je vous remercie. Pourriez-vous également avertir la Mère Supérieure que je souhaiterais également m’entretenir avec elle ?

— Je lui transmettrai, le parloir est par ici.

Ange et Samira entrèrent dans une petite pièce, très modestement meublée d’une table et quatre chaises.

— Ce n’est guère plus accueillant que la prison, remarqua Sam.

— Tu peux sûrement lui demander de te faire visiter le cloitre.

Quelques minutes plus tard, deux femmes vinrent les rejoindre. Béatrice avait repris l’habit de nonne, ne laissant voir que son visage encore un peu tuméfié. Ange essaya de relier cette image à celle qu’il avait pu voir sur le site de l’association. La femme qu’il avait en face de lui paraissait prématurément vieillie, ses traits exprimant le renoncement et l’abandon de la vie.

Il présenta à nouveau sa collègue, en précisant qu’il la laisserait s’entretenir avec la religieuse, pendant que lui-même souhaitait avoir une conversation avec la Supérieure.

— Vous pouvez m’accompagner dans mon bureau, répondit cette dernière. Et vous ma fille, si vous le souhaitez, vous pouvez aller dans le cloitre avec cette dame.

— Je vous remercie de m’accorder encore un peu de votre temps, mais il est important pour nous de vérifier certaines choses. Notre enquête nous a permis de découvrir une partie du passé de Sœur Marie des Anges, quand elle était encore Béatrice Moreau ou Mélodie, mais il nous manque un élément fondamental, pour comprendre ce qui l’a amenée dans cette communauté.

— Les voies du Seigneur sont impénétrables, répondit la Supérieure.

— Hélas, je crains qu’ici, Dieu ne soit pas vraiment le responsable de ces événements. Si je n’étais pas athée, je dirais plutôt que c’est le Diable.

— Que voulez-vous dire ?

— Que savez-vous vraiment du passé de cette femme ? Je ne vous demande pas de trahir le secret de la confession. Ce dont je parle est public.

— Et bien, je sais que Sœur Marie des Anges a connu beaucoup de malheurs dans sa vie antérieure. Je sais qu’elle a été mariée et que son mari s’est suicidé. Je sais aussi qu’elle a eu un grave accident de voiture. C’est peu de temps après qu’elle a frappé à notre porte.

— Qu’est-ce qui a pu l’inciter à se retirer du monde ?

— Je ne sais pas, comme je vous l’ai dit, elle n’a pas une foi très solide. Nous l’aidons de notre mieux, mais elle a encore des moments de faiblesse.

— Croyez-vous qu’elle puisse avoir peur de quelqu’un ? Est-elle venue ici pour se cacher ?

— Elle ne m’a jamais rien dit qui aille dans ce sens, mais après tout, ce n’est pas impossible.

— Saviez-vous qu’elle recevait des lettres en secret ?

— En secret, ce n’est pas possible. Tout le courrier passe par moi.

— Pourtant c’était bien le cas. Nous en sommes certains, et la dernière lui enjoignait de quitter le couvent après le dernier office.

— Ça ne peut être que Mario ! En dehors de moi, lui seul a la clé de la porte du potager.

— Mario est un brave homme. Il ne pensait pas à mal. Pas la peine de l’accabler pour ça. Au fait, pourquoi ne m’avez-vous pas dit que Béatrice Moreau avait été mariée lorsque je vous l’ai demandé l’autre jour ?

— Sur le moment, ça ne me paraissait pas important. En entrant au couvent, ces filles laissent leur passé derrière elles.

— Il semble bien que ce ne soit pas vrai pour Béatrice Moreau. Y a-t-il autre chose que vous auriez oublié de me dire ? Est-ce que le nom de Charles Van Den Brouck vous dit quelque chose ?

— Non, je vous assure, je ne sais rien de plus et je n’ai jamais entendu ce nom.

— Je vous redonne mes coordonnées, n’hésitez pas à appeler si quelque chose vous revenait. Et rassurez-vous, nous n’avons pas prévu de parler à la presse.

Dans le cloitre, Mélodie entrainait Samira dans un lent cheminement sous les voutes.

— Vous êtes aussi de la police, alors ? demanda la nonne.

— Je travaille avec le commissaire Segafredi. Je cherche à retrouver les personnes qui vous ont fait du mal. Nous avons déjà appris un peu de choses sur vous, vous savez ?

— Ah, et à quel sujet ?

— Nous savons que vous avez été mariée et que votre mari est mort.

— Il s’est suicidé. C’est à cause de moi.

— À cause de vous ? En quoi êtes-vous responsable ?

— J’avais une mauvaise vie à cette époque, mais maintenant que je suis ici, j’ai trouvé la voie de la rédemption.

— Ce n’est pas ça qui a tué votre mari.

— Je l’ai forcé à faire des choses immorales. Quand ça s’est su, il a été rejeté par ses collègues et ses clients. Il a été humilié à cause de ma conduite, alors il s’est pendu.

— C’est pour ça que vous êtes venue ici ?

— Non, c’est plus tard. Quand il est mort, j’étais bien contente. Je ne l’aimais plus. J’allais avec d’autres hommes, et des femmes aussi.

La sœur fit un rapide signe de croix avant de reprendre.

— Bien sur, ça m’a fait un choc quand je l’ai trouvé mort, c’est pour ça que je suis allée à l’hôpital.

— Et quand vous êtes sortie de l’hôpital, vous avez repris cette vie ?

— Oui, plus rien ne me retenait.

— Vous aviez gardé votre maison ? À Labège ?

— Oui, mais je n’y vivais presque plus. J'ai fini par la vendre. Après, j’étais au château, dans la montagne.

— Pour les séminaires ?

La nonne sourit.

— Oui, c’est drôle, on appelait ça des séminaires, comme pour les prêtres, mais ça n’avait rien à voir. Ce qu’on y faisait était plutôt inspiré par le démon.

La nonne se signa à nouveau.

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