Chapitre 21

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Toulouse, dix ans plut tôt

Jacques Pujol-Lacrouzette arriva à son bureau à neuf heures trente, comme tous les jours. Son office, sur la place Wilson offrait un environnement de travail agréable à une dizaine d’associés et employés en plein cœur de la ville. Sa secrétaire personnelle l’accueillit avec le café rituel et lui annonça que Monsieur Van Den Brouck avait téléphoné, demandant à être rappelé rapidement.

— A-t-il dit de quelle affaire il voulait s'entretenir ?

— Non, il a juste dit que c’était urgent et que c’était spécifiquement à vous qu’il souhaitait parler.

— Très bien, je vous remercie, je vais l’appeler.

Une dizaine de jours s’étaient écoulés depuis la soirée dans la villa du Busca. Dans le taxi du retour, puis à la maison, Béatrice s’était murée dans le silence. Le lendemain matin, elle lui avait demandé de ne plus en parler. Le notaire n’avait pas d’affaire en cours concernant Charles Van Den Brouck, il était donc intrigué lorsqu’il décrocha son téléphone.

— Bonjour cher Maître, je vous remercie de me rappeler aussi vite.

— Je vous en prie, c’est la moindre des politesses. Nous n’avons pas de dossier en cours actuellement, de quoi souhaitez vous me parler ?

— Et bien, j’envisage un nouveau projet pour lequel j’aurais besoin de vos conseils.

— Bien entendu, nous sommes là pour ça. Pouvez-vous m’en dire un peu plus ?

— Et bien, je ne préfère pas aborder cette question au téléphone. Pourriez-vous venir chez moi ? Cet après-midi par exemple. Vous connaissez l’adresse.

— Laissez-moi le temps de vérifier mon agenda. Je peux être chez vous pour seize heures. Est-ce que cela vous convient.

— Parfait, je vous attends à seize heures. Je vous souhaite une bonne journée.

Le notaire n’était que partiellement rassuré par les propos de son interlocuteur. Certes, il n’était pas rare que les gros clients préfèrent des entretiens en privé et VDB, comme les collaborateurs de l’office le surnommaient, était l’un des plus importants investisseurs de la région, mais il était aussi coutumier des montages opaques permettant de réduire l’impact fiscal de ses opérations.

À l’heure de la pause méridienne, il annonça à sa secrétaire qu’il rentrait déjeuner chez lui et qu’il ne repasserait pas au bureau du fait de son rendez-vous extérieur.

— Vous pouvez me joindre jusqu’à quinze heures trente chez moi si nécessaire.

Béatrice fût surprise de voir son mari rentrer prendre le repas avec elle. Ce n’était pas dans ses habitudes et elle lui demanda ce qui justifiait ce changement.

— J’ai rendez-vous cet après-midi avec Van Den Brouck, l’un de mes plus gros clients, chez lui au Busca.

— Ce n’est pas la personne qui nous a invités il y a quelques jours.

— C’est lui-même.

— Et pourquoi veut-il te voir chez lui ?

— Je ne sais pas, il a été mystérieux au téléphone. Il m’a dit qu’il voulait parler d’une nouvelle affaire.

— Il ne m’a pas fait très bonne impression, il a essayé de me peloter toute la soirée. Je suis sûre que si je l’avais laissé faire, il m’aurait prise comme ces femmes, devant tout le monde.

— Je ne peux pas me permettre de refuser de travailler pour lui. Nous avons besoin de continuer à gérer ses investissements et ceux des amis qu’il nous envoie.

— Je préfère ne pas être mêlée à ça.

— Je ne te demande pas de m’accompagner.

— De toute façon, je dois aller chez l’esthéticienne.

— Hum, tu vas te faire épiler ?

— Peut-être, si tu es sage et que tu ne me parles plus de ce type. Tu verras bien ce soir. En attendant, viens manger.

Après le déjeuner, le notaire aurait volontiers fait une petite sieste avec son épouse, mais celle-ci partit aussitôt le repas terminé. Il s’installa donc dans son bureau personnel pour traiter quelques dossiers jusqu’à l’heure de son rendez-vous.

Cinq minutes avant l’heure fixée, il sonna à la grille de la villa du Busca. L’homme qui les avait accueillis quelques jours plus tôt vint à sa rencontre, il était en tenue de ville cette fois. Il remarqua également la jeune femme qui tenait le vestiaire, elle tapait du courrier sur son ordinateur dans une petite pièce proche de l’entrée.

Charles Van Den Brouck lui serra chaleureusement la main avant de lui proposer un verre ou un cigare. Le notaire déclina les deux, préférant garder la tête claire pour écouter son client.

— Venez tout de même vous asseoir dans le salon, ce sera plus confortable que mon bureau.

Ils prirent place tous les deux dans de profonds fauteuils de cuir fauve, face à face. Un feu crépitait doucement dans l’âtre. VDB alluma un cigare et prit le temps de tirer quelques bouffées.

— J’ai oublié de vous demander, j’espère que la fumée ne vous dérange pas.

— Je vous en prie, vous êtes chez vous.

Le notaire était décontenancé par la tournure de l’entretien, son client ne semblait pas pressé d’entrer dans le vif du sujet. Enfin, après quelques banalités, il se lança.

— Je suppose que vous n’ignorez pas les déboires de Mayeux-Jonzac. Toute la région est au courant.

— En effet, j’en ai un peu entendu parler. Il semble qu’il ne se soit vraiment jamais remis de la crise de 2008.

— C’est un euphémisme. Il a déjà vendu deux de ses entreprises à des chinois et la troisième est en redressement judiciaire.

— Je ne traite pas les affaires industrielles, mais je peux vous adresser à un confrère.

— Ce n’est pas pour cela que je vous ai fait venir. Les Mayeux-Jonzac sont également propriétaires d’un joli petit château dans la Montagne Noire, du côté de Saissac que je souhaiterais acquérir.

— Rien de plus facile, je peux demander à l’un de mes clercs de prendre contact avec le notaire des Mayeux.

— En fait, ce n’est pas si simple, et pour le moment, je préfèrerais que cela reste entre vous et moi. Je n’ai pas l’intention de faire cette transaction à titre personnel. Je voudrais que vous mettiez en place une structure off-shore, sur une base d’association à but non lucratif. Vous voyez ?

— Je ne suis pas sûr de bien comprendre.

— Rassurez-vous, ce n’est pas vraiment illégal. Tout au plus « border line » comme on dit, mais je suis certain que vous allez m’arranger ça pour le mieux.

— Quel serait la vocation de cette association ?

— Disons que ce serait pour organiser des séminaires de développement personnel et spirituel !

— Et pourquoi une structure off-shore ? On peut limiter l’impact fiscal sans trop de difficultés.

— Et bien en France, certaines associations ne sont pas très bien considérées. Vous avez entendu parler de Miviludes ?

— Non, ça ne me dit rien.

— Faites une petite recherche et vous comprendrez. Je vous laisse quelques jours pour me proposer un montage et on se reparle.

— Entendu, je vais voir comment nous pouvons procéder.

— À la bonne heure ! mais je vous rappelle, pour le moment, juste vous et moi.

— C’est bien compris.

— Au fait, j’espère que votre charmante épouse a apprécié la soirée. Il me semble que vous êtes partis assez rapidement. Certains de mes amis, et je dois dire aussi de mes amies, ont regretté de ne pas avoir pu passer un moment avec elle.

— Elle ne se sentait pas très bien, elle avait sans doute bu un peu trop de champagne.

— Oh, j’en suis désolé. J’organise une autre fête samedi prochain. J’espère qu’elle sera en meilleure forme.

— C’est très aimable à vous, je vais lui transmettre l’invitation.

— J’espère vraiment qu’elle pourra se joindre à nous. J’ai très envie de faire un peu mieux connaissance.

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