#12 Le Fantôme du Bâtiment Douze- Cléa

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Elle m'a jeté.

Enfin, non... Elle ne m'a pas jetée tout de suite.

Je suis bête ! Si je veux pouvoir raconter cette histoire à quelqu'un un jour, je devrais m'en souvenir en entier.

Même si mes souvenirs essaient de s'en aller.

Ne rien oublier.

Du début... à la fin.

Et tout a commencé un matin d'hiver.

Cali brodait, assise sur son fauteuil à bascule, les pieds devant la cheminée. Moi, je pleurais, juste à côté.

Maman.

Je m'en souviens, c'était à cause de maman.

Pourquoi ?

Je crois qu'elle ne voulait pas que papa vienne ici, pour nous voir. Elle ne voulait pas que je le vois.

Elle n'avait rien dit à la soeur, aucune parole, auncun reproche. Rien.

De toute façon, depuis que ma sœur lui a dit qu'elle aurait préféré ne jamais l'avoir comme mère, elles ne se parlent plus.

Enfin bref, je n'avais pas accepté son refus. Et papa n'est pas venu, il n'avait même pas téléphoné. Moi, je savais bien que Cali et papa se parlaient régulièrement, et je n'attendais qu'un appel de lui.

Juste un petit appel.

Mais papa ne m'a jamais aimé.

Papa m'a toujours méprisé.

Il m'a toujours dit que j'étais faible, que je n'étais pas digne de lui, que j'aurai dû être comme ma soeur et qu'il y a quelque chose qui avait dû mal se dérouler à ma naissance.

Maman m'avait dit plusieurs fois que c'était chez lui que quelque chose ne tournait pas rond, et qu'il avait fait de mauvaises choses. Et que Cali était en train de devenir comme lui.

Mais ma sœur m'aimait.

Et c'est d'ailleurs pour ça que tout a commencé...

Elle brodait, donc.

Et moi, je pleurais.

Elle m'ignorait, mais je savais bien que, dans son cerveau torturé, elle compatissait à ma peine, qu'elle aurait aimé me serrer dans ses bras.

Mais elle n'en était pas capable, tout simplement.

Et je me souviens qu'à un moment j'ai lâché cette phrase, cette phrase fatidique qui allait faire basculer mon destin.

J'ai dis... J'ai dis, dans un moment de désespoir, que j'aurai préféré mourir que n'être pas aimée de mon père.

Il ne s'est rien passé, mais je l'ai bien vu tourner lentement son visage vers moi. Je l'ai bien vu, en train de me regarder, la mine indéchiffrable, avant qu'elle ne replonge dans son ouvrage.

J'ai frissonné. Elle m'a effrayé, ce soir là.

Mais je n'ai pas imaginé un instant ce qui allait advenir par la suite, et à quel point cette dernière m'avait prise au sérieux.

La semaine suivante, elle me disait que son copain s'était cassé la jambe et lui avait demandé de la remplacer, histoire de distribuer deux trois dossiers.

Je n'ai rien dit, mais ça m'avait semblé bizarre: je ne l'avais jamais entendu parler d'un potentiel petit copain, si bien que j'avais fini par croire qu'elle s'intéressait aux filles...

Mais je l'avais suivi. J'étais contente que passer du temps avec ma sœur. Elle était étrange, mais je l'aimais.

Je l'aimais.

Et ça a été la plus grosse erreur de ma vie.

Elle était bizarre ce jour là. Plus que d'habitude. Elle ne me quittait pas du regard, ne me laissait pas prendre de la distance. Comme si elle avait peur que je m'échappe.

Mais... pourquoi aurai-je voulu m'échapper ? Je trouvais ça ridicule, mais je n'ai rien dit.

Encore une fois.

En entrant dans le Bâtiment numéro Douze, elle m'a dit de poser tous les documents sur la table, que je devais la suivre, qu'elle devait me montrer quelque chose d'important et qu'on redescendrait aussitôt après.

Pourquoi ais-je accepté ?

Je ne sais pas.

Le fait qu'elle soit ma sœur me semblait être une raison suffisante.

Ce n'en était pas une, mais ça, je ne le savais pas.

J'aurai aimé le savoir, à cet instant.

J'aurai aimé que ma mère ne me laisse jamais sortir seule avec ma sœur, j'aurai aimé qu'elle refuse catégoriquement. Mais ma mère a accepté.

Elle m'a fait monter tout en haut, au dernier étage. Elle s'est baissé, à déplacé une planche. A tiré sur une sorte de levier et une trappe s'est dévoilée.

Il y avait des escaliers qui menaient au grenier. Dès que nous fûmes arrivées dans la petite pièce poussiéreuse, elle s'était baissé et avait ramassé quelque chose par terre.

"J'ai bien fait d'écouter maman parler avec la sorcière, la vieille Agatha. Elle ne sait pas tenir la langue, celle-là", avait elle maugréé pour elle même.

Curieuse, je m'étais approchée.

Cali contemplait l'objet avec une sorte de dévotion, et avait murmuré de nouveau: "Quelle chance j'ai ! Ce pistolet n'en est pas à son coup d'essai..."

Je n'avais pas compris.

J'ai eu peur.

Peur de... peur de ma sœur ? Sans doute. J'ignorais ce qu'elle était capable de faire en cet instant là.

J'aurai aimé l'ignorer encore longtemps.

Mais la vie ne m'a pas accordé cette chance.

Elle s'est approché de moi, m'a souris, et m'a dit: "Ton vœu va enfin être réalisé, innocente petite sœur. Grâce à moi... j'espère que tu es heureuse."

Figée d'horreur, je l'avais vu approcher le pistolet de ma tempe et tirer. Personne n'a rien entendu, aucun de ces vieux murs épais n'a laissé traverser le bruit.

Je suis tombée et c'est à ce moment que je suis morte.

Tout simplement.

Il s'est passé beaucoup de choses ensuite.

Elle a jeté mon corps...

Sauf ma tête.

Dans sa folie, elle l'a... découpé et... empaillée. C'est assez horrible.

Elle la garde avec elle, quand elle monte ici, et caresse mes cheveux en me parlant, comme elle le faisait jadis.

Quand j'étais encore en vie.

Les jours suivants sont passés très vite.

Du moins pour moi, sur qui le temps n'avait plus d'emprise désormais.

Elle était en haut, avec moi, lorsqu'on a entendu le coup résonner.

Ce n'était pas elle, et elle est rapidement descendue voir de quoi il s'agissait. Je l'ai suivi.

J'aurai préféré ne pas le faire, mais je n'ai pas pu m'en empêcher.

Une femme s'était tué. Elle était en sang, et... elle souriait.

Pourquoi ? Je ne sais pas.

Elle était contente de mourir, sans doute.

Elle était attendue, elle devait savoir que son âme allait s'envoler vers des contrées inconnues, contrairement à la mienne.

Qui se bornait à rester ici.

Fascinée, elle s'était baissé et avait admiré le pistolet dans la main du cadavre, nullement horrifiée.

C'est alors que, dans un vacarme de tous les diables, l'autre fille était arrivée, traînée par deux chiens.

Ma sœur, surprise et amusée, l'a pointé avec sa nouvelle arme.

Elle s'est évanouie, au grand amusement de Cali.

Je ne sais pas comment elle a bien pu faire, mais en quelques minutes à peine, elle à réussi à traîner les deux corps au grenier, sans laisser trop de trace.

Peut-être que la folie rend fort.

Moi, je crois surtout qu'elle m'a pris ma sœur... et ma vie, par la même occasion.

Elle a refermé la trappe avec calme et étendu les corps sur le sol.

Mais la fille s'était éveillée.

Pour la dernière fois, semblait-il.

Elle avait crié, s'était débattue, avait même appelé ses chiens que Cali avait fait partir depuis un moment déjà.

Elle allait sauter sur ma sœur, mais s'est pris une balle dans le cœur juste avant.

Puis une autre, dans la tête.

Moi, je n'avais pas réagi.

Peut-être que les morts ne peuvent plus rien ressentir.

Je m'étais simplement détournée, par décence.

Elle était morte quasiment aussitôt.

J'avais bien vu son âme, blanche et pure, s'envoler vers d'autres contrées. Elle était sans doute attendue, elle aussi, au contraire de moi.

Ensuite, elle a négligemment repoussé les deux cadavres avec ses pieds et a appelé papa.

Je savais bien qu'ils s'appelaient en cachette...

Elle lui a demandé de jeter un "paquet au fleuve"... pas trop difficile à comprendre.

Les deux femmes inconnues ont donc été emballées et ont été envoyées à mon père, complice et si fier de son aîné.

Maman m'avait prévenu qu'il n'était pas normal. Qu'il était un peu fou et qu'il était malsain de s'approcher de lui.

Elle l'avait dit à Cali, aussi.

Mais elle ne l'avait pas écouté. Elle n'avait pas obéi.

Et elle marchait tranquillement sur des cadavres pour la simple notion de fierté paternelle.

Chercher de l'admiration dans les yeux d'un père psychopathe peut faire perdre la raison, Cali en est l'exemple.

C'est triste, quand même, toutes ces vies gâchées juste... pour ça. Enfin, je crois.

Je pense que personne ne saura jamais.

Ma mère s'en est douté, sans doute. Mais elle n'a jamais su être très forte. Elle vivra avec, elle mourra avec, c'est certain.

Personne ne saura qu'une jeune femme, intelligente et promise à un bel avenir, a tué sa sœur ainsi qu'une inconnue. Qu'elle a jeté des corps. Qu'elle a sombré dans la folie, continuant à tuer tout au long de sa misérable vie, dans le grenier de ce bâtiment sinistre, déserté depuis longtemps. Qu'elle a brillamment trompé des dizaines de gens avec brios, toujours admirée, jamais soupçonnée.

Et moi, je la regarde.

Mais je commence à oublier, à présent. Mes souvenirs s'effacent.

Je ne suis plus rien. Je n'attends plus rien.

Je me promène, parfois, dans les longs couloirs déserts, tandis que ma sœur fait ses sinistres besognes.

Mon père est mort depuis longtemps déjà, et ce décès prématuré à creusé des rides sur la jolie figure de Cali, l'enlaidissant à jamais.

Elle est bien vieille, à présent.

Et moi... j'oublies. Qui je suis, qui j'ai été.

Après tout, peut-être que ce n'est pas vrai.

Peut-être que j'ai tout inventé.

Peut-être que je ne suis pas la victime d'une sœur trop aimante.

Peut-être ne suis je que le fantôme du Bâtiment Douze, tout juste bonne à errer dans les longs couloirs déserts, effrayant les rares personnes qui se risquent dans le bâtiment.

Peut-être ne suis je que cette enveloppe pâle et translucide qui s'efface peu à peu...

Peut-être...

Je ne sais pas...

Je ne sais plus.

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