11. Une crémation peu ordinaire

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Une après l’autre, les bûches sont apportées par la foule des anonymes qui ne connaissaient pas Santander. Participer au dressage du bûcher funèbre leur semble un moyen respectueux de partager la peine de l’équipage. Les déesses de l’agriculture ont offert les essences les plus odorantes, les bois les plus colorés, les plus beaux. Les strates de branchages et de troncs forment un dessin représentant un vaisseau stylisé. Le bruit court qu’Athéna a dessiné le plan précis du Feu de Désespoir. Elle aurait expliqué aux moines de Dionysos comment procéder pour l’élever en respectant les consignes.

Une procession transporte donc les billots de bois qui seront brûlés. Chaque dépôt coïncide avec une prière. Tous les noms des illustres guerriers et guerrières sont égrenés comme la litanie des Saints. À chacun, il est demandé de recevoir avec bienveillance Santander qui servit si bien la Fédération.

Ensuite, les prières pour les Morts s’enchaînent, dans toutes les religions, dans toutes les langues. Tous les peuples ont un rituel pour conduire leurs défunts.

Des brassées de laurier, de thym, de romarin, sont ajoutées à de la lavande. Plusieurs jeunes filles tressent des couronnes de lauriers qui seront jetées sur le corps. Il n’a pas gagné la guerre contre les pirates. Il a semé les graines de la victoire. Il a redonné confiance aux civils bloqués dans la station. Leur voyage est suspendu pour une durée indéterminée. Certains, fatigués d’attendre ont décidé de prendre un commerce. Un boulanger, un poissonnier, des jardiniers… Ils amélioreront le cadre de vie qui, par certains aspects, semble bien spartiate.

Le feu funéraire est achevé ; un plan incliné permettra à dix hommes de déposer sereinement le corps enseveli dans les plis du linceul immaculé. Il se murmure que le Seigneur Anubis a fourni le lin blanc, celui qui sert aux bandelettes de la momification. Les rares oiseaux, échappés de volières se sont tus. Des sièges ont été apportés ainsi que le Livre des Chants, pour accompagner le départ en chanson.

Hors de vue du bois sacrificiel, l’orchestre symphonique s’est installé. Ils font grise mine, les copains du joueur de mandoline ! Mais ils vont interpréter son œuvre favorite que chacun a répété une ultime fois dans ses quartiers. Mais voilà que s’avance sa dernière procession. Tous se sont découvert au passage du char que précède Sébeknefer fière mais triste. Anubis est derrière, à la tête de tous ceux qui l’accompagnent dans son dernier voyage. Il porte sa tenue de Peseur, avec sa Blanche Balance. Sa longue cape lourde le dissimule un peu. Il n’a pas rabattu le capuchon sur ses cheveux. Il estimait qu’on devait savoir que même les dieux pleurent parfois un Mortel.

Sébeknefer, en larmes, s’est, reculée pour que les officiers tirés au sort puissent soulever le linceul et le déposer sur le carré de bois. Une grosse vasque de fonte est apportée par quatre soldats. Elle contient des brindilles, des feuilles de lauriers et des herbes aromatiques.

Le corps est finalement déposé sur ses bûches régulières. La trompette sonne le Salut aux Morts. Salut militaire. Le drapeau de la Fédération est descendu du mat ; il est détaché méticuleusement et étalé sur le linceul. Un second. Sébeknefer relie enfin le dernier rabat et dépose un ultime baiser sur le front de son ami.

- Adieu, mon ami, mon petit frère, tu cavaleras bientôt dans les vertes prairies de l’Île des Bienheureux. Prie pour le repos des vivants. Nous aurons tous notre calvaire à finir avant de te rejoindre un jour.

Avec dignité, elle se recule et descend le plan incliné qui aussitôt est retiré. Anubis allume la vasque avec la méthode traditionnelle des Mortels : du papier et des allumettes. Il aurait pu claquer des doigts. Il sait que cette façon aurait été malvenue. On dirait la flamme des Jeux Olympiques. Elle est belle, danse sur son brasier. Le dieu plonge une flèche à la pointe entourée de coton imbibé d’alcool qui s’enflamme sans rechigner. Beau signe que le départ se passera bien. Il bande son arc et la décoche, toute enflammée.

Il a visé un point précis recommandé par le Général Alvéradis, ce qui embrase divers points, formant une étoile. Alors, chose surprenante, la 9e de Beethoven monte d’un coin de la station, derrière les arbres. La foule se recueille, en écoutant, l’œuvre accompagnant la durée de la crémation.

Les cendres sont recueillies par les moines, puis placées dans une urne plombée qui est remise à Sébeknefer éperdue. Dionysos passe alors son bras autour du cou et lui ordonne de les lui remettre. Il va les placer dans un endroit précieux : dans la figure de proue. Le ventre est muni d’un mécanisme qui ouvre une trappe. Ensuite elle sera scellée hermétiquement et le vaisseau aura terminé sa fête. Il sera opérationnel pour le départ qui ne devra pas être retardé plus longtemps.

Sidérée, la foule observe le dieu se déplacer sur un surf volant autopropulsé. Elle le regarde ouvrir la serrure, placer l’urne oblongue dans la trappe, refermer, souder puis jeter la clé dans le vide ! Voilà un message précis : le vase funéraire disparaîtra avec son vaisseau.

La foule applaudit une dernière fois le Capitaine Santander qui vient d’entrer dans la légende : il est le premier capitaine mort sans combattre, d’un vaisseau sans nom qui reçut sa nomination en catimini loin de son port d’attache, après le décès de son premier patron.

Puis elle se disperse. Chacun remporte son siège. L’Agora retrouve son calme et son silence.

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