Sur le banc

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L'éclair de douleur qui lui traverse le bras, à l'instant où son poing entre en contact avec le sac, lui arrache un cris. Cette fois-ci, le gant n'a pu l'épargner de la souffrance. Ravalant sa rage, Eva recule, regardant fixement son rival. Armant son bras gauche, elle assène un violent direct au punching-ball. Violent est le contre coup également et c'est au tour de son épaule de lui infliger une horrible douleur. Elle n'aura pas tenu deux minutes.

Prise de nausée et de honte, ses yeux ne retiennent plus les larmes. Sa partenaire s'avance vers elle mais Eva ne la laisse pas approcher, préférant plutôt lui tourner le dos. En se dirigeant vers un banc, elle grimace en essayant de retirer ses gants : si la douleur de l'épaule gauche commence à s'estomper, celle du poignet droit continue de la lanciner. Avec douceur et acharnement, elle finit par retirer ses protections. La cicatrice est encore rosée, lui rappelant ce que tous s'évertuait à lui conseiller : ne reprend pas. Mais elle ne pouvait pas abandonner la boxe. Elle ne pouvait briser ses rêves pour quelques os qui l'avaient étés, enterrer ses aspirations à cause d'un stupide accident.

D'aussi loin qu'elle voulait s'en souvenir, elle avait toujours voulu boxer. Elle ne ressentait pourtant aucun plaisir à cogner un adversaire. Mais chaque coup porté, c'était autant de mauvais souvenirs qui s'en allaient, jusqu'au son de la cloche. Un match, c'était vingt minutes où rien d'autre ne comptait sinon faire sortir la bête enfouie en elle et montrer son talent pour le noble art. La douleur qui imprégnait son âme disparaissait enfin, pendant ce court laps de temps que durait son combat. Aujourd'hui, ce feu qui la rongeait de l'intérieur ne pouvait être atténué qu'au profit d'une douleur plus réel ; un brasier brûlant ses deux bras.

Faisant choir ses gants, Eva se laisse tomber sur le banc et renverse sa tête contre la fraîcheur du mur. Fermant les yeux pour libérer son esprit et les dernières larmes prisonnières de ses cils, elle respire finalement un grand coup, évacuant petit à petit la peine et la douleur. Eva relève la tête pour fixer le portrait de l'idole de toute personne entrant dans cette salle d'entraînement : Rocky. Il était peut-être fictif, il représentait par moment une assez grosse caricature du milieu de la boxe mais ici, à Philadelphie, berceau de l'étalon italien, il représentait les valeurs que chaque boxeur rêvait de posséder. Puissant dans l'âme comme avec ses poings, généreux et simple, il avait surtout su apprendre de ses erreurs et revenir au meilleur de lui même pour atteindre un sommet toujours plus haut. Aujourd'hui, Eva lui en voulait. Il lui avait fait miroiter la promesse qu'elle pourrait toujours surmonter ses obstacles.

"On se prélasse Eva ?

-Pas maintenant Phill.

- Je n'aime pas les touristes dans cette salle. Si tu dois rester assis, tes gants et toi pouvaient aller dans un bar."

Eva ferme les yeux et les poings, ravivant de ce fait la blessure de son poignet. Son entraîneur renchérit :

"Pourquoi es-tu revenu Eva ?

-Tu sais très bien pourquoi Phill.

-Non. Je pensais le savoir. Je pensais que tu étais revenue car la boxe représentait quelque chose de fort pour toi. Je pensais que tu étais revenue car rien ne pouvait altérer ta motivation. Je pensais que tu étais revenue car tu avais l'intention de montrer à cette chienne de vie qu'elle n'avait pas son mot à dire lorsqu'il s'agissait de tes rêves ! Je pensais que tu étais revenue, mais l'Eva que je connaissais n'est jamais repassée par cette porte."

Les mot sont durs, trop durs. Les larmes reviennent. Les yeux embués, elle pose son regard sur son entraîneur et sa main sur son poignet endolori.

"J'ai mal Phill ! Merde, j'ai mal !

-Et alors ? Tu pensais que ça serait simple ? Qu'il te suffirait de renfiler tes gants pour boxer comme une pro ? Tu pensais que malgré un avis médical défavorable tu reviendrais à ton plus haut niveau ? Ou peut-être pensais-tu que tu pourrais surmonter la douleur comme si ce n'était qu'un simple petit obstacle dans ta vie ? Oh non Eva, oh non. Ce n'est pas un vulgaire obstacle. C'est une épreuve presque insurmontable. Peu de gens auraient la capacité d'en venir à bout ; mais toi, Eva, tu en as le pouvoir, j'en suis convaincue. Oh tu vas en chier, crois moi. Enfiler tes gants signifiera une torture pour toi, chaque entraînement sera un enfer. Revenir à ton niveau te prendra des semaines, des mois peut-être, qui sait, des années mêmes. Tu verras des gens ici progresser deux fois plus vite que toi et cela amochera encore plus ton moral. Mais au bout du compte Eva, si tu décide de quitter ce banc, tu sauras te relever et devenir la boxeuse que tu rêve d'être, que tu peux être. Ramasse tes gants, fait face au punching-ball et à ta douleur. Alors, tu pourras à nouveau lever la tête Eva. Tu pourras lever la tête et regarder tous ceux qui te déconseillaient de reprendre, tous ceux pour qui tu n'avait plus ta place sur un ring. Reste assis et la seule chose que tu auras faite Eva, c'est leur prouver qu'ils avaient raison. Mais tu n'est pas ce genre de personne, non. Alors tu vas te lever, enfiler les gants et repasser ces cordes. Car crois-moi Eva, cette idole que tu vénère, tu vas arrêter de la regarder et tu ne vas pas seulement l'égaler, tu vas la surpasser."

Eva est bouche bée en fixant son entraîneur. Depuis son retour, Phill ne l'avait à peine regardé. Elle pensait qu'il possédait le même avis que les autres. Après tout, il avait d'autres poulains à amener au bout de la course et un pantin brisé ne le mènerait à rien. C'était pourtant bien lui, monté sur ses grands chevaux, qui était devant elle, discourant sur son devoir de ne pas abandonner. Lentement, en silence, Eva ramasse ses gants et se lève du banc. Fixant fièrement son entraîneur, ne grimaçant pas lorsqu'elle enfile sa main droite dans le gant, elle finit par lui répondre :

"On fait quoi ? On lance une musique entraînante pendant que j'exécute des exercices idiots ?"

Son coach sourit, heureux de ce qu'il voit. Eva, dont la motivation n'a d'égale que la rage qui bouillonne en elle, s'avance vers le ring. Sa sparring-partner est déjà en place derrière le sac, elle aussi le sourire au lèvres. Passant sous les cordes, Lily se positionne, prête à frapper. Cette fois-ci, la douleur ne la stoppera pas.

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