Liberté

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La femelle birmane l’attend dans le verger. Elle sait qu’il viendra.

Le mâle se présente au crépuscule. Il a pris soin de se nettoyer, note-t-elle. L’odeur de sang frais est aguichante, pas celle de sang séché.

D’une vibration de la colonne vertébrale, elle s’enquiert de sa satisfaction. La mission est réussie. Le village ne compte plus de bipèdes.

Siam garde son sang-froid. Il est venu chercher des réponses. La mission est effectivement une grande réussite. Les enfants et les anciens sont morts dans leur sommeil. Ni les grands ni les petits ne se sont relevés de la sieste. Birm, encore elle, avait repéré la plante idéale : Les feuilles et les baies noires avaient macérées plusieurs semaines avant d’être ajoutées à la réserve d’eau de la cantine.

Chaque commando a rempli sa mission pour les deux-pattes ne se rendant ni à l’école ni à la maison des anciens. Et l’assaut final a été rapide et efficace. Siam revoit les voyageurs descendre de leurs voitures et entrer dans la cours de l’école, surpris de ne pas y trouver les enfants en train de courir. Et leurs visages dressés vers eux lorsqu’ils entendirent le feulement de centaines de chats, perchés tout autour de la cour et dans les arbres. Ses dernières recrues ne l’ont pas déçu. Les cris ne résonnèrent pas longtemps.

Le siamois se dresse de toute sa hauteur et plante ses yeux bleus foncés dans les yeux de Birm. Celle-ci accepte de répondre à la question silencieuse du mâle. Elle connait son fonctionnement et ne s’attend à aucune pitié. Elle est sûre d’elle : son action sauvera le Terrier.

Elle lui expliqua ce qu'elle avait planifié des mois avant leur accouplement. Les habitants du Terrier connaissaient finalement peu les bipèdes. La préparation des vacances pouvait se faire des mois à l'avance. Dès janvier, elle avait su que les siens quitteraient le village pour un long moment avant la dernière cloche de l'école. De grandes valises avaient été achetées. Salima voulait visiter le Gabon. Birm comprenait partiellement le langage humain et savait parfaitement compter. Ce voyage coïnciderait avec l'âge mature de la prochaine portée. L'arrivée précoce des naissances et la croissance accélérée de la portée avait failli tout faire capoter.

Le hasard étant un ami fidèle de Birm. Elle surprit une dispute des parents du jeune quatre-pattes, vrai raison de ce sauvetage même si elle lui avait trouvé depuis d’autres justifications. Il était question d'une palissade absente entre le potager et le jardin. Percevant la peur de Salima, Birm avait examiné les plantes et trouvé la solution. Juste après la sieste, Noam avait un temps au jardin. Salima le regardait d'un œil distrait tout en chargeant les valises dans la voiture. Il fut facile à Birm d'amener le petit vers les pieds de tomate. D'un coup de griffe, elle détacha une feuille et fit mine de la manger, la repoussant en réalité d’un coup de patte loin derrière. Puis elle procéda de même avec deux plus grandes feuilles et regarda Noam les manger avec une grimace.

Salima fut préoccupée du manque d'appétit de son fils ce soir-là. Lorsque Noam se mit à vomir et hurler au milieu de la nuit avant de retomber amorphe, les parents ne tardèrent pas et prirent la longue route vers l'hôpital de la vallée. La maison était vide à l'arrivée du commando.

Siam se sentit nauséeux à l'idée qu'il avait forniqué avec une traître à sa race : elle avait laissé vivre des deux-pattes. Birm demanda, narquoise, si il était sûr qu'elle était la seule à avoir laissé fuir un humain. Elle, au moins, avait l'honnêteté de le dire. Siam s'étouffa presque en pensant à leur ennemi. Gérard ne s'était pas présenté à l'école. Il avait fallu improviser un passage par sa tanière. Visiblement malade, il aurait dû être une proie facile. Mais il avait truffé sa maison de clochettes. Leur tintement l'éveilla et le premier assaut ne lui causa qu’une estafilade au visage avant une fuite désordonnée. Blessé et acculé dans le garage, c’est lui qui les avait piégés. Des quantités pharamineuses d'herbe à chat étaient tombées du plafond, réduisant à néant l'agressivité des chats, Siam inclut à sa grande honte.

L'envie de tuer cette chatte enflamma les yeux de Siam. Glaçante, Birm lui recommanda d'exécuter sa mission sans bavure, avec suffisamment de détermination et de jaune manganèse dans les yeux pour le retenir. Elle lui affirma que ses bipèdes seraient ceux qui les libéreraient à jamais des bipèdes.

Comment son argumentaire délirant parvint à convaincre le cercle de reporter son exécution, ce mystère n'était pas le moindre sur Birm aux yeux du siamois. Elle eut droit au sursis demandé : jusqu'à retour de ses deux-pattes, car clamait-elle, c’est eux, les seuls survivants, qui à leur retour, leur offriraient le village.

**

— Monte le son, monte le son. Un truc de dingue s’est produit dans l’arrière-pays.

La matrone regarde avec dépit leur jeune intérimaire. Les recrutements sont de plus en plus difficiles de nos jours. Celui-ci n’est pas si mal. Elle monte le son en surveillant ses patients du coin de l’œil. Luce berce sa poupée. Henri marmonne tout bas. Le dernier arrivé est assoupi sur sa chaise, enfin calme. Le dernier cocktail de médicaments était le bon. Deux mois qu’il fatiguait tout le monde avec ses délires.

Le reportage attire son regard une seconde. Un journaliste au visage fatigué essaie de rendre terrifiant son sujet : tous les habitants d’un village ont été retrouvés morts et partiellement consommés par des charognards « et très probablement par leurs propres chiens, assène le journaliste avec force. Un caniche s’est jeté sur moi à mon arrivée. Les animaux, abandonnés sans nourriture, se sont servis sur la viande froide présente à domicile. Un camion de la fourrière est présent derrière moi et cherche à récupérer les canidés pour les euthanasier. »

— Chuut ! tonne Agnès, en attendant les pieds d’une chaise qui grince derrière elle.

—Hun-un-un, hun-hun-hun, commence un patient en sourdine.

« Ce village isolé est le lieu d’une tragédie aux causes inconnues. Aucun habitant n’a survécu à l’exception du maire et de sa famille partie en voyage. Encore secoué par sa macabre découverte, le maire a affirmé ce matin que le village était désormais un lieu de mort et que les hommes n’y avaient plus leur place. Il est fort probable, effectivement, que le village soit définitivement abandonné suite à cet évènement »

Le reportage se termine sur une vue de la place du village. Près du porche de l’église, un chat siamois se lèche nonchalamment la patte.

— Lui…Grrrrr…Lui…aaarrghhhhhhh !

—Agnès, le nouveau part en sucette, je fais quoi ?

Agnès lève les yeux au ciel.

— On ne parle pas ainsi de nos patients.

Elle s’approche d’un pas lourd, en retirant un flacon de pilules de sa poche.

— Gérard, Gérard, nous en avons déjà parlé. Vous avez besoin de repos. Vous allez faire un gros gros dodo.

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