Chapitre XV : Entre les herbes folles

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 Heureusement, le matériel n'était pas abîmé. Les trois Myrmidons parvinrent sans encombre en bas de la région de Cayoulle. La maison, ou le Bloc, se dressait au-dessus d'eux, dominatrice, impénétrable. Clématite sentit sa gorge se nouer.

  • On va dormir ici ? demanda Millepertuis avec espoir.
  • Non, répondit Clématite sans se soucier de la grimace qu'il fit, il faut qu'on se dépêche. Mauve m'a demandé d'arriver avant demain.
  • Il est déjà tard, fit remarquer le Guide, inquiet.
  • Raison de plus pour arrêter de discuter !

 Mimi grommela un peu, mais il suivit le mouvement. Mais un mur d'herbe, plus dense et plus haut que tout ce que Clématite avait pu voir, se dressait devant eux comme une muraille.

  • On ne peut pas savoir ce qu'il y a là-dedans. Laissez-moi y aller en premier. Si je ne suis pas revenu dans dix minutes, vous me rejoignez.
  • Et comment on te retrouve là-dedans ?
  • Avec les triangles-signaux qu'on a achetés à Jonquille. Regarde : pliés comme ceci, ça veut dire « avancez tout droit », croisés «mauvaise route » et une moitié rabattue indique le côté ou il faut tourner. C'est enfantin. Mimi, tu restes ici, tu surveille Clem. Elle a une fâcheuse tendance à faire des bêtises quand je ne suis pas là.
  • Hé, protesta l'intéressée, c'est pas vrai !
  • Tu peux compter sur moi ! répondit le porteur hilare.

  Cerfeuil jeta un regard à ses deux amis, écarta les herbes d'un geste et se faufila entre elles. Le silence retomba. Clématite s'assit et massa sa cheville. L'essence de violette faisait des merveilles. Il fallait qu'elle retienne cette recette. Elle pourrait en parler à Gentiane et même à Myosotis, si elle avait la chance de la recroiser. Ce voyage, en plus de lui rendre sa sœur, lui apprenait beaucoup de choses. Jamais elle n'avait rencontré autant de personnes nouvelles en si peu de temps. Cerfeuil, Pavot, Myosotis, Droséra, Mimi... Les Myrmidons, à part les Colonbois qui font figure d'exceptions, n'étaient pas de grands voyageurs. Pourquoi donc ces ravisseurs avaient-ils fait un aussi long trajet ? Simplement pour Mauve ? Qu'avait-elle de si particulier ? Il aurait été tellement plus simple de la sauver si elle avait su ce qu'ils lui voulaient !

 Elle leva les yeux vers les murs gris et, à partir de ce qu'elle voyait et de la position supposée de Mauve, elle tenta de se représenter les lieux. Comment monter là-haut ? La fenêtre du grenier se trouvait à une hauteur vertigineuse, inaccessible. Clématite jeta un œil à sa boussole magnétique. La flèche, si claire qu'elle peinait à la voir, indiquait droit devant elle, vers le haut. Millepertuis avait surpris son regard.

  • Tu as une idée ?

 Clématite haussa les épaules.

  • On ne sait pas qui la retient, ni pourquoi, ni comment elle est gardée...
  • Ça fait beaucoup d'inconnues, admit le jeune Noïteren.
  • Ben alors ! Z'êtes qui, vous ?

 Les deux voyageurs sautèrent sur leurs pieds. Clem cherchait déjà son épée, mais le vieil homme éclata d'un rire tonitruant.

  • Faut pas avoir peur, ma petite demoiselle. Moi c'est Rumex, mais appelez-moi Mex, d'ac ? Chuis du coin.
  • Enchantée...Mex, dit Clématite qui, prudente, garda la main posée sur la garde de son arme. Je croyais que personne ne vivait au-delà de Cayoulle ?
  • Ça, c'est les Cayoullais qui le disent. Moi, je suis un Blocot. Et chuis pas seul !
  • Vous connaissez bien les lieux ? Vous êtes déjà entré? demanda Millepertuis, plein d'espoir.
  • Non, sûrement pas ! C'est dangereux, vous savez, et pas seulement à cause des Mégas...
  • Ah oui ? Pourquoi donc ?
  • Pasque le dernier étage est occupé par une sorte de secte. Des vrais malades, c'est moi qui vous l'dis ! C'est qu'l'année dernière, leur chef est mort, alors au lieu d'en prendre un nouveau, y cherchent à le ressusciter ! Des grands fous, hein ? 'Puis les Mégas sont revenus, y a quelques jours. Pour une fois qu'on avait la paix ! Enfin, depuis, là-haut plus personne ne sort, et nous, ben on va pas s'plaindre !
  • Mais vous vivez où ?
  • Oh, moi, j'ai une fille, alors je bouge plus trop. C'est qu'c'est une fière Blocotte, ma Lily !
  • Lily ?
  • Glycine, ma fille. Elle vit sous l'pommier avec son mari.
  • Dites-moi, Mex, comment pourrait-on accéder au grenier dont vous parlez ?

 Le vieux les considéra d'un œil soupçonneux.

  • Me dites pas qu'vous êtes de la secte ?
  • Non, pas du tout ! Nous cherchons à libérer ma sœur, qu'ils tiennent prisonnière.
  • Ah, alors j'veux bien vous donner un coup de main. Le mieux, c'est la fenêtre de derrière. Les Mégas n’y regardent jamais ! Mais pouvez pas passer par l'intérieur, ça c'est sûr. Faudra vous débrouiller pour grimper...Y a une touffe de lierre, j'crois, ça devrait pas poser de problèmes pour des jeunots comme vous ! Mais faites-y gaffe, c'est rien que de la mauvaise herbe, là-haut...

 « Mauvaise herbe » est la pire insulte que puisse proférer un Myrmidon. Elle désigne en général quelqu'un qui ne mérite pas de naître.

  • Merci beaucoup, Mex !
  • Boafff, de rien, ma petite dame ! Ce fut un plaisir !

 Le vieux Blocot serra chaleureusement la main des deux étrangers et longea la bordure de l'herbe d'un pas claudicant.

  • On a eu de la chance de le rencontrer ! D'après toi, c'est cette secte qui a enlevé Mauve ? Ils veulent lui faire ressusciter leur chef ?!
  • C'est bien ce que je crains. Mais pourquoi ont-ils cru qu'elle le pourrait?
  • Aucune idée. Quelqu'un vous en veut qui aurait pu leur mettre ça dans la tête ?
  • Je ne vois pas...
  • La mauve... Cette plante a quelque chose de particulier ?
  • Je ne crois pas. On l'utilise pour la médecine et comme produit de beauté, je ne vois pas le rapport.
  • Moi non plus, soupira le Myrmidon.

 Il jeta un œil au chrono qu'il portait au poignet.

  • Ah, le temps est passé, on peut rejoindre Cerfeuil. On y va ?

 Clématite respira profondément. Si c'était une secte qui détenait sa sœur, elle affronterait une secte. Elle dégaina son épée et défia la forêt végétale du regard.

  • On y va.

 Et avec une détermination jamais vue dans ses yeux pourpres, elle s'enfonça entre les herbes folles.

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